Patricia Petibon brille de mille feux à l'inauguration du Festival de Paris
Sur la scène : un piano à queue, sur lequel sont posés des escarpins rouges. La soprano colorature entre, vêtue d'une somptueuse robe en satin rouge et dentelle noire. Elle semble émerger tout droit d'un cabaret du Paris des années folles. Sur ses cheveux tressés se dresse une Tour Eiffel miniature qui n'est pas sans rappeler les affiches publicitaires des Galeries Lafayette. La pianiste prend place, et Patricia Petibon entonne les premières notes de La Marseillaise, puis enfile les escarpins. Commence alors un récital aussi émouvant que drôle.
Satie, Poulenc et Fauré se succèdent, dans des airs célébrant la capitale française et tous ses symboles : l'amour, l'euphorie et la mélancolie. La diva est parfaite : tantôt amusante lorsqu'elle s'affuble d'accessoires ridicules, tantôt émouvante, laissant sa voix cristalline toucher le public. Elle tient à rendre hommage à la dimension culturelle de Paris, ville de voyages, de partage et d'accueil « pour les parisiens et les Français de toutes nationalités ». Entre deux airs du répertoire français, les deux femmes interprètent des mélodies espagnoles, mais aussi des morceaux issus de la musique populaire. Ainsi, le public prend plaisir à entendre la chanteuse hors de son répertoire habituel, avec le légendaire Padam, composé par Norbert Glanzberg pour Edith Piaf, ou le Chabadabada, d'Un Homme et une femme au beau milieu d'un air.
Patricia Petibon (© Felix Broede / Deutsche Grammophon)
Fidèle à elle-même, la chanteuse place la pantomime au cœur de sa performance. Entre deux morceaux ou pendant les pauses musicales, elle s'approche des parois vitrées de la salle et observe la vue imprenable, tournant le dos au public. Sur son tabouret, Susan Manoff est parfaitement complice avec Petibon, la suivant dans ses frasques déjantées, participant à une mise en scène délurée. Elles enfilent des oreilles d'animaux ou des nez de clowns, imitent les bruitages d'un match de tennis à l'aide d'un doigt dans la bouche, ou des lapins en croquant dans des carottes crues. Elles invitent même certains chanceux dans le public à interagir avec elles, leur lançant des objets de toutes sortes. L'apogée de ce délire arrive avec Les Recettes de Cuisine de Bernstein : la soprano assassine un poulet en peluche à l'aide d'une cuillère de bois et s'amuse avec un jouet pour chien tandis qu'elle porte une toque de cuisinier et de grosses lunettes rondes. Les deux artistes déclenchent l'hilarité du public à de nombreuses reprises.
Au delà de son jeu d'actrice, Petibon réaffirme son statut de diva internationalement reconnue (si d'aucuns doutaient encore de ses talents). Sa technique vocale est parfaitement maîtrisée et elle se montre d'une dextérité exceptionnelle, alternant les graves puissants, les filets de voix à peine audibles, et les larges vibratos. Lorsqu'elle sort du répertoire classique français, elle n'a pas peur d'utiliser sa voix de poitrine, d'imiter la gouaille d'un « Titi parisien » ou encore de chanter du nez, pour coller avec les personnages qu'elle interprète. Sur son visage se lisent toutes les émotions qui passent à travers son extraordinaire voix.
À deux reprises, le temps semble suspendu : elle termine un air sur un contre-mi qui ne semble lui demander aucun effort, puis fait résonner les cordes du piano par sympathie sur un majestueux sol. À la fin de chaque morceau, le public reste suspendu au son sortant de ses lèvres, dans un silence religieux.
Susan Manoff n'est pas en reste, et participe, au coucher du soleil, à un pur moment d'émotion : tandis qu'elle fait résonner les notes mielleuses d'un prélude de Gershwin, la Tour Eiffel s'illumine, sous les regards extasiés du public.
Les deux artistes mettent un terme à cette douce soirée sur les notes mélancoliques d'une berceuse cubaine, avant que le public, totalement épris, ne les couvre d'applaudissements.