Le TCE pêche une perle rare !
Il s’en est fallu de peu pour que la carrière de Georges Bizet n’eût jamais lieu. Sans la volonté du directeur du Théâtre Lyrique de Paris Léon Carvalho de créer chaque année le premier opéra d’un Prix de Rome, l’œuvre Les Pêcheurs de Perles n’aurait jamais vu le jour et la carrière de Georges Bizet n’aurait peut-être jamais pu être lancée. Dans cette œuvre écrite douze ans avant son succès Carmen, Bizet démontre déjà sa grande maîtrise musico-dramaturgique. Certes, certains passages manquent encore de singularité stylistique, mais le souffle dramaturgique qui traverse cet opéra conjugué à la beauté des mélodies tant vocales qu’orchestrales fait de cette œuvre une page incontournable de l’histoire de l’opéra français de la fin du XIXe siècle.
Pour cette version concert, Les Grandes Voix réunissent au Théâtre des Champs-Élysées quatre jeunes solistes plus que prometteurs de la scène lyrique française : la soprano Julie Fuchs, le ténor Cyrille Dubois, le baryton Florian Sempey et la basse Luc Bertin-Hugault. Accompagnées par l’Orchestre National de Lille (sous la baguette d’Alexandre Bloch) et le chœur Les Cris de Paris (préparé par Geoffroy Jourdain), les voix de ces jeunes pousses conquièrent le public parisien. Si la plupart des ensembles suscitent l’enthousiasme du public, c’est le duo du premier acte entre Nadir et Zurga (« Au fond du temple saint ») qui constitue le temps fort de cette soirée.
Les Pêcheurs de perles version concert (© Ugo Ponte / ONL)
À l’image de ce duo, la prestation de Cyrille Dubois est remarquable tant du point de vue de la musicalité que de l’expressivité. Passées les premières mesures de « chauffe » (et ses évitables petites faussetés), le chanteur déploie le spectre de sa voix pour le plus grand bonheur de l’auditoire. Certes, sa technique vocale n'est pas infaillible à tout moment, mais la diversité de ses nuances et de ses attaques rend son interprétation de Nadir très touchante et surtout très crédible. Véritable moteur de cette soirée, Cyrille Dubois met sa voix au service de l’intention, de l’émotion musicale et non pas de la performance. Et le public apprécie ! Les longs applaudissements qui interrompent la représentation pendant plusieurs minutes après son air « Je crois entendre encore » (acte I) parlent d’eux-mêmes.
Cyrille Dubois (© DR)
Bien qu’elle soit au centre de cet opéra, Leïla reste un rôle secondaire par rapport à ceux de Nadir et de Zurga. Si elle apparaît pour la première fois au milieu du premier acte (« C’est elle, elle vient »), sa voix ne résonne qu’à la fin de ce dernier, dans un air vocalement délicat. Comme la plupart des chanteuses interprétant cet opéra, Julie Fuchs préfère assurer techniquement sa première intervention (au détriment de la musicalité). Si ses premières mesures sont un peu scolaires et manquent de relief et de profondeur, son air du deuxième acte (« Comme autrefois ») convainc l’auditoire. Son timbre s’assombrit, son articulation devient plus précise et son phrasé plus naturel. La technique vocale laisse place à la musicalité pour le plus grand bonheur des spectateurs.
Julie Fuchs (© DR)
Passant de la mélancolie à la fureur avec une facilité déconcertante, Florian Sempey incarne un Zurga solennel, mais rongé par sa passion aveugle pour Leïla. Prenant le contrepied de la plupart des interprétations de l’air du troisième acte « L’orage s’est calmé », le baryton propose une version agitée plutôt qu’une version de lamentation. Porté par un tempo plus rapide qu'à l'accoutumée, son agitation se transforme en fureur crédible lorsque Leïla vient implorer sa clémence pour Nadir (« Je frémis »). Son intelligence musicale se remarque jusque dans son jeu d’acteur, tout en restant sobre et efficace (version concert oblige). Son phrasé raffiné et son sens de la diction sont également appréciés.
Sempey Florian (© Pierre Virly)
Des quatre rôles, celui de Nourabad (interprété par Luc Bertin-Hugault) reste le plus secondaire. Si sa présence scénique (déplacements et attitudes) contribue à la théâtralisation réussie de cette version concert, sa prestation musicale reste en-dessous de celle de ses camarades, notamment à cause de son timbre qui ne perce pas la masse orchestrale. Il faut cependant rappeler que le rôle de Nourabad s’apparente plus à celui d’un comédien que celui d’un chanteur et que, de ce point de vue, il remplit pleinement son office.
Luc Bertin-Hugault (© DR)
Préparé par Geoffroy Jourdain, le chœur Les Cris de Paris colore les ambiances sonores de l'ouvrage. Si l’articulation (et parfois la justesse) des femmes laisse à désirer, la prestation des hommes est très réussie (notamment l’homogénéité de leurs timbres lorsque paraît pour la première fois Leïla dans l’acte I, « c’est elle »). À noter également la richesse et la grandeur du son du chœur dans son ensemble lors des passages tutti comme après le duo de Leïla et Nadir au deuxième acte.
Enfin, il faut saluer le travail de détail du jeune Directeur musical de l’Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch. Il utilise avec brio toute la palette des nuances : du tutti forte et violent comme lors du trio du troisième acte aux pizzicati triple piano dans le premier acte. Malgré un timbalier au son un peu fort ou des cuivres aux accents jazz par moment, la proposition musicale du jeune chef est très appréciée. Ménageant ses effets en proposant une montée en puissance tout au long de l’œuvre, il accompagne à merveille le drame qui lie Nadir, Zurga et Leïla.