Jeu des 7 différences musicales : Faust originel de Gounod, épisode 2
Vous ayant présenté les 6 premières différences essentielles entre les versions du Faust de Gounod, dans une première partie (à lire absolument ici avant celle-ci), nous pouvons désormais plonger dans les différences musicales :
Pour passer d'une version avec dialogues parlés à une version entièrement chantée, il a fallu bien évidemment adapter le texte puisque la parole théâtrale n'a pas les mêmes rythmes, pas la même dynamique, longueur (ni les mêmes rimes) que le texte chanté. Le changement de texte a aussi entraîné pour Gounod toute une série de petites adaptations dans les lignes mélodiques et les effets orchestraux pour les accompagner (d'autant que le compositeur en a profité pour retravailler son œuvre et lui apporter certaines modifications).
Des ajouts et retranchements ont également été effectués. Certains sont minimes (quelques mesures à la fin de la scène de l'église ou de la prison), mais tout de même signifiants comme cette phrase de prières commisératrice émise par Siebel, Marthe et la Foule pour la mort de Valentin après qu'il ait maudit Marguerite. Enlevée dans la seconde version, elle contribue à en faire un drame plus sombre.
D'une manière plus générale, les textes parlés allant nettement plus rapidement que les textes chantés, la première version du Faust donnait bien davantage la parole, en particulier à certains personnages et certains événements :
Dialogue et Trio entre Faust, Siebel et Wagner
Dès la fin de sa toute première scène, la version d'origine du Faust propose un passage disparu par la suite qui permet de mieux détailler le caractère, la place, l'esprit des personnages "secondaires"
Dans ce dialogue, Wagner plaisante avec sarcasme sur les enjeux même du livret et de ce genre musical (mélangeant le joyeux et le tragique) en disant qu'ils étaient, avec son ami Siebel, "à la taverne honnêtement occupé à boire", ce qui les mit dans un état "philosophique". Siebel niant être ivre, Wagner réplique qu'il l'est assez pour deux avant de poursuivre en annonçant qu'il renonce à la carrière de médecin pour laquelle il n'est pas fait (rappelant à la fois la légèreté des comédies de Molière avec ses médecins malgré eux mais également le destin de nombreux musiciens contraints de faire tout de même des études "sérieuses" pour rassurer leurs parents : médecine ou droit, principalement). Ce passage permet en outre de creuser le caractère moralisateur de Faust, qui peut alors leur faire la leçon.
Le dialogue est suivi par un trio chanté qui mêle les personnages, leurs caractères et destins : Wagner fait ses adieux à l'étude, en clamant le plaisir de la jeunesse, ce qui rend Faust mélancolique sur sa ligne de chant, alors que Siebel clame son amour pour Marguerite, puis les trois voix et sentiments se mêlent.
Évocation ou Invocation ?
Faust de Gounod change dès le tout début de l'histoire : la fin de la première scène, la deuxième mais aussi la troisième scène disparaîtront dans le retravail de l'opus. Cette dernière est pourtant importante dans la logique et la dynamique de l'intrigue, puisqu'elle introduit la relation entre les deux personnages masculins principaux sur lesquels repose le drame : Faust (représentation de l'Homme) et Méphistophélès (le Diable).
La scène 3 du premier acte offre ainsi un mélodrame par lequel Faust se lamente et une "évocation" où il en appelle "À moi Satan !", ce qui explique l'entrée de Méphistophélès et le duo qui suit.
Séparation entre Valentin et Marguerite
La version originelle de l'opus permet de renforcer la présence de plusieurs personnages, et notamment leurs relations comme c'est aussi le cas pour Valentin et Marguerite. Leurs adieux émouvants "Adieu, mon bon frère ! / Adieu, chère soeur !" dans la scène 7 (suivant un autre épisode original entre Siebel, Wagner et les étudiants) permet de montrer un moment qui s'avérera capital, lors duquel Marguerite donne à Valentin la médaille (sans laquelle celui-ci succombera au pouvoir du diable, entraînant sa mort par Faust et la fin du drame).
Rat, scarabée, veau
Outre les suppressions effectuées par Gounod pour sa seconde version, le compositeur a également opéré à des changements, et même des substitutions substantielles : le chant du rat de Wagner (qui sera conservé dans la version opéra) est ici déjà interrompu, mais par un dialogue et surtout par l'ode à un autre animal, le Chant du Scarabée de Méphistophèlès. Le diable s'y fait charmant en semblant dénoncer l'or comme un diable (alors qu'il en fait l'éloge comme d'un trésor). Dans la seconde version, c'est un autre animal et le même métal qui remplacent ce scarabée : le « Veau d’or » (qui est donc logiquement absent de cet enregistrement)
La beauté d'une sœur remplacée par la Gloire des aïeux
Les couplets de Valentin qui chante les beautés de sa sœur au chœur de soldat sont remplacés pour laisser la seule voix aux militaires dans le chœur "Gloire immortelle de nos aïeux", un chœur qui n'était pas même prévu par Gounod pour cet opus (mais pour un Ivan le Terrible) et qui fut rajouté à la demande du Directeur du Théâtre Lyrique, Léon Carvalho).
Enfin, même le légendaire Air des bijoux de Marguerite, ("Ah ! je ris de me voir Si belle en ce miroir !...") connaît un changement entre les deux versions : une variation, certes minime mais notable étant donnée la popularité de cet air si souvent donné en récital.
Dans la tradition des arias, cette chanson est reprise mais si la répétition est intégrale dans la première version de l'opus, elle est ensuite raccourcie (Marguerite ne chante pas à nouveau "Non! non! -- ce n'est plus toi! Ce n'est plus ton visage! C'est la fille d'un roi, Qu'on salue au passage!...") pour passer directement à la conclusion.
Faust
Livre-disque Opéra français
Collection « Opéra français » | Bru Zane
Distribution Outhere
Volume 22
SORTIE 23/08/2019
3 CD - 173 pages
Enregistrement disponible en download et streaming sur les principales plateformes digitales et livret téléchargeable en ligne