Tendres déclarations d’amour enregistrées par Vox Luminis
Dietrich Buxtehude (1637-1707) était en son temps célèbre pour ses grands talents d’organiste. On connaît encore aujourd’hui surtout ses œuvres pour cet instrument-roi. Toutefois, la musique pour orgue n’occupait qu’une partie de sa vie et de son répertoire : dès sa nomination au prestigieux poste d’organiste de l’église Sainte-Marie de Lübeck, en Allemagne du Nord, il semble que Buxtehude ait développé son intérêt pour la musique vocale. Cette passion grandissante fut encouragée par une habitude des bourgeois de Lübeck qui aimaient à se réunir en l’église Sainte-Marie pour partager un moment musical en compagnie de l’organiste, hors du cadre des services religieux, en fin d’après-midi. Suite au succès de ces Abendmusik (musiques vespérales), Buxtehude eut les moyens d’engager musiciens et chanteurs pour participer à ces concerts, pour lesquels il jouissait d’une grande liberté de création. Ainsi se mêlent pièces instrumentales et cantates aux inspirations littéraires et stylistiques plus ambitieuses et personnelles.
Les ensembles Vox Luminis et Masques, respectivement dirigés par Lionel Meunier et Olivier Fortin, proposent une reconstitution d’un de ces concerts d’après-midi, avec un programme alternant œuvres vocales et instrumentales. Les musiciens plongent immédiatement l’auditeur dans le désespoir contenu, l’imploration humble de Gott hilf mir, denn das wasser geht (Dieu, aide-moi, car l’eau m’arrive jusqu’à l’âme), grâce à un son moelleux et le discret mouvement produit par un superbe vibrato d’archet. Ils répondent comme un appel de la vie à la confiante et expressive basse Sebastian Myrus dans « Gott hilf mir » (Dieu, aide-moi). « Fürchte dich nicht ! » (Ne crains rien !) lui répond le chœur, consolateur et assuré. Grâce à la parfaite attention musicale de tous, l’auditeur ressent chaque respiration, mises en valeur par les silences habités d’une belle résonance. Les chanteurs font preuve d’un phrasé qui paraît évident dans « Wer hofft in Gott und dem vertraut » (Celui qui espère en Dieu et place en Lui sa confiance), porté par le texte et le chant expressif des cordes qui mettent en valeur le beau choral « Vater unser Im Himmelreich » (Notre Père qui êtes aux cieux) - souvent trop en retrait et quasiment absent. Les trios du « Ach ja, mein Gott » (Oui, mon Dieu) et le chœur final « Israel hoffe auf den Herrn » (Israël, mets ton espoir dans le Seigneur) sont touchants par leur expression retenue qui donne sens à la musique et au texte qu'elle porte. Il en est de même dans l’interprétation vivante et contrastée, aux phrases toujours bien dessinées et fluides, de l’arrangement du choral Befiehl dem engel, dasse er komm (Ordonne à ton ange de venir).
Jesu, meine Freude (Jésus, ma joie) est magnifiquement interprété : chaque partie est bien distincte, les musiciens respectant l’équilibre déjà parfait de l’écriture de Buxtehude. Ils savent prendre leur temps, celui de l’auditeur se suspend. Les voix sont subtilement mises en avant par des instruments qui savent être d’attentifs accompagnateurs et excellents commentateurs. Il faut retenir notamment la voix rassurante de Sebastian Myrus et particulièrement la voix charmante, consolatrice et maternelle de la soprano Caroline Weynants. Après le chœur final, on ne peut qu’avoir le cœur apaisé. La cantate Herzlich lieb hab ich dich, O Herr (Je t’aime de tout mon cœur, ô Seigneur) ne déçoit pas non plus : tandis que les instruments créent un doux mouvement, les sopranos déclarent d’une seule voix céleste leur amour avec simplicité. Les différentes interventions qui suivent s’enchaînent avec une grande cohérence.
Les voix se mêlent, fusent parfois dans des jeux vocaux, dont le contrepoint crée un contraste saisissant avec l’homorythmie qui suit, pour passer ensuite à une écriture en imitations. Les quelques silences ne cassent en rien le discours, au contraire : ils en font pleinement partie. Le magnifique « Es ist ja, Herr » (Vraiment, Seigneur) sollicite sans cesse l’oreille par des nouveautés du discours musical qui pourtant ne la heurte jamais. Les cordes font de nouveau entendre leur maîtrise du vibrato d’archet dans « Ach herr, lass dein’ lieb’ engelein » (Ah Seigneur, que ton ange bien-aimé) qui crée un mouvement superbe sur lequel planent les harmonies vocales. La précision du chœur et la régularité de chacun dans une conduite globale et commune manifestent une direction précise et souple, dont l’énergie est patente et très équilibrée. On connaît peut-être la chaconne de Jesu, meines Lebens Leben (Jésus, vie de ma vie) dans des versions entraînantes, presque théâtrales, aux interprétations très séduisantes. Olivier Fortin et Lionel Meunier se refusent de céder à cette facilité et préfèrent respecter le texte tendre et simple de cette nouvelle déclaration. L’équilibre se veut parfait, avec une basse obstinée que l’on voudrait peut-être plus présente mais qui prendrait alors trop d’importance sur l’expressivité des instruments, toujours excellents commentateurs, sachant réagir aux belles propositions des choristes, à la diction impeccable.
Les sonates en trio, qui font office d’intermèdes instrumentaux, ne perdent en rien la tendresse, la simplicité et le naturel des œuvres voisines. Leurs élans musicaux communs, toujours emplis de vie, entraînent l’auditeur dans leurs chants, l’agrémentant d’une virtuosité jamais démonstrative.