Sonya Yoncheva - The Verdi Album
Un pas de plus vers le vérisme, vers le naturalisme réaliste italien avec sa largeur vocale expressive est également accompli ici par Sonya Yoncheva. Cet album (intitulé sobrement The Verdi Album) donne ainsi une nouvelle occasion d’admirer le parcours accompli par la grande soprano de sa génération, qui se fit connaître avec l'ensemble Les Arts Florissants de William Christie, pour un répertoire baroque auquel elle fera un étonnant retour cet été 2018 à Salzburg, dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi.
Puissante et profonde d'emblée, dès la première piste ("Tacea la notte placida ... Di tale amor che dirsi" d'Il trovatore-Le Trouvère), sur tout l'album et le registre, jusque sur ses vocalises et trilles tirés vers un aigu presque criard : Callas encore ! Et que dire de la deuxième piste, "Tu puniscimi, o Signore" de Luisa Miller, qui ressemble à un exercice d’imitation (certes beau mais plus encore confondant) de Callas par Yoncheva, depuis sa première note mêlée à un élan de comédienne jusqu'à son médium sombre s'appuyant par-dessous une voix de poitrine râpeuse mais qui s'envole bientôt à travers des piani maîtrisés jusqu'au filin de voix et dont les crescendi écartent pourtant de la justesse par la largesse du vibrato. À ce titre, "Tosto ei disse! ... A te ascenda, o Dio clemente" extrait de Stiffelio est symptomatique, le rythme tournant sur ses mediums de velours vers des aigus un peu rêches.
La puissance dramatique des arias choisies pousse certes à la démesure, d'autant que l'album prend le temps de déployer pleinement la voix et le drame (si le disque ne compte que neuf pistes, c'est parce qu'elles durent plus de 6 minutes en moyenne, avec pour acmé de durée les 10:58 de Don Carlo, "Tu che le vanità ... Francia, nobile suol"). La puissance est de rigueur pour La Force du destin, "Pace" s'imposant avec un "a" aussi immense que le "fatale", intense, parfait. D'autant que la voix sait se parer de douceur poussant d'abord ses talents a cappella sur "Liberamente or piangi ... Oh! Nel fuggente nuvolo" (Attila) avant que l'orchestre n'entre et même ne s'élance sur une grande subtilité (parfois même trop, les beaux contre-chants instrumentaux se plaçant en retrait alors que le long souffle de Yoncheva soutenu par le mixage en studio ne menace pas d'être couvert). Cet air culmine ainsi, davantage dans la douceur d'une ballade accompagnée que dans des aigus manquant de maîtrise. Une douceur qui se retrouve avec l'"Ave Maria, piena di grazia" d'Otello.
Ainsi, à travers les émotions et les chefs-d'œuvre lyriques, les nuances et les registres, Yoncheva déploie-t-elle une même intensité, une même profondeur sombre des mediums graves, un même appui puissant sur les aigus, une même longueur de souffle qui permet de grandement varier l'intensité en cours de phrases embras(s)ées d'un trait, bien aidée en cela par des instrumentistes dévoués. L'Orchestre de la Radio de Munich sous la baguette de Massimo Zanetti brosse à Simon Boccanegra une forêt à la fois pépiante et pleurante portant même certaines roucoulades vocales, pour mieux creuser la profondeur des cuivres, qui se transmet ainsi aux cordes subito piano très tenues et ténues. De quoi permettre à la chanteuse de prendre sa revanche sur Don Carlo (après sa prestation en demi-teintes dans la version française de cet opéra, à Bastille). L'assise orchestrale contribuant même à ancrer finalement le vibrato de Yoncheva, sur la dernière mélodie : "Anch'io dischiuso un giorno ... Salgo già del trono aurato" (Nabucco).
Après son abandon définitif d'Eugène Onéguine, son rendez-vous manqué avec La Bohème à Paris et sa prise de Tosca au Met, Sonya Yoncheva confirme avec cet album combien il faut suivre l'évolution de ses moyens vocaux...