Aïda en Technicolor : Renata Tebaldi chante en playback pour Sophia Loren
De la première à la dernière image, le spectateur est submergé par l'immense spectacle en Technicolor, reconstituant un immense palais de marbre envahi par une nature luxuriante intérieure, des Champs-Élysées pour porter le triomphe des vainqueurs devant des centaines de figurants, des scènes de guerre aux combats avec lances, arcs, épées, ainsi que des chars dignes de Ben-Hur. Les costumes bariolés et les incroyables chorégraphies (du Ballet de l’Opéra de Rome mené par Margherita Wallmann) semblent porter le spectaculaire à son apogée, mais l'attraction est aussi du côté des corps solistes et des voix.
Cette version coupée à la hache, concentre l'intrigue d'Aïda en 1h31 de compilation musicale, aux airs reliés entre eux par un narrateur, permettant aux acteurs et aux chanteurs qui les doublent de briller constamment.
La Tebaldi ayant renoncé à jouer son personnage, la production choisit en effet Sophia Loren pour mimer le rôle sur la voix de la cantatrice de légende. Il en va de même pour tous les interprètes (sauf le roi), qui sont assez bien doublés, le playback atteignant le niveau d'un film musical (mais un amateur d'opéra aura toutefois bien du mal à associer d'autres visages à des voix familières).
Sous le maquillage de Sophia Loren, perce l'étincelle d'un envoûtant regard bleu-vert, sublimé par l'intensité vibrante de Renata Tebaldi. Sonore, elle est grande prêtresse de la projection vocale, qu'elle peut changer en cours de souffle, plusieurs fois dans la même phrase et par des intensités très variables. Ses lignes sont d'interminables merveilles, qu'elle maîtrise même sur la tension dramatique d'une fin de souffle.
Son Radamès est incarné par un duo acteur/chanteur à la plastique de Luciano della Marra aussi sublime qu'Aïda et à la voix éblouissante de Giuseppe Campora. Dans sa tenue verte digne d'un Robin des bois égyptien avec un carquois en peau de léopard, il impose une noble stature et un sourire étincelant, en même temps qu'il déploie une ligne de ténor héroïque aux couleurs typiques du bel canto italien. D'un regard, l'acteur charme la caméra et montre l'étincelle qu'Aïda allume dans son cœur, tandis que le chanteur confirme la puissante émotion par les intenses décrochements vocaux parfaitement contrôlés, montant en quelques notes assurées jusqu'aux aigus couverts avec puissance.
Mais la splendeur ne s'arrête pas là et ce film offre un véritable trio de beautés, complété par l'Amneris de Lois Maxwell/Ebe Stignani. La mezzo très assurée dans les aigus atteint les graves en voix pleine, deux registres extrêmes parfaitement combinés pour montrer la duplicité du personnage, d'autant que le vibrato rapide puis la caresse de sa voix renforcent la beauté machiavélique d'une actrice dont le regard sait se muer en terribles éclairs. Les deux femmes se complètent pour jouer à merveille la fausse confidente attentionnée.
Le baryton Gino Bechi en Amonasro, roi d'Éthiopie et père d'Aïda a lui aussi des accents héroïques, qu'il sait mettre au service de la fierté guerrière incarnée par le regard enragé de l'acteur Afro Poli, rendant aussi la douleur du vaincu qui voit sa fille prisonnière. Son semblable et ennemi héréditaire le roi d'Égypte Enrico Formichi est appliqué et homogène, bien en rythme jusque dans son vibrato. Le Messager (joué par Domenico Balini et chanté par Paolo Caroli) accomplit exactement dans le registre ténor un peu tendu ce que réalise le roi dans le registre basse un peu pompeux. Une voix de basse qui répond à celle de leur grand prêtre Ramphis, cérémoniel, ample et large en gorge.
Le son de cet enregistrement faisant reluire les aigus, est un peu baveux pour les Chœurs et l'Orchestre de la RAI dirigés par Giuseppe Morelli, mais percent des couleurs orientales et une certaine superbe aux bois, amples, chauds, pincés. Idem pour les violoncelles, les flûtes, les percussions et surtout les cuivres qui offrent ainsi une marche triomphale.
Cette édition DVD est simple, basique, la résurrection d'un vieux film ne permettant pas à BelAir Classiques d'offrir les options auxquelles la maison nous a habitués (les sous-titres ne sont qu'en français et le menu permet seulement de choisir parmi les 12 chapitres), mais cette parution a le mérite insigne d'offrir en qualité numérisée un film dont il n'existait que des VHS étrangères de piètre facture.