Shades of Love : Cantates italiennes de Haendel par Anna Kasyan
En route pour devenir un immense maître baroque, Georg Friedrich Haendel effectue à 20 ans un voyage de cinq années en Italie. Cet épisode marquant pour son style lui offre l'occasion de composer des cantates pour les grands mécènes et aristocrates de Rome, Naples et Venise. Cinq de ces opus sont ici défendus par la sensuelle soprano Anna Kasyan. Or, justement, alors que les voix féminines étaient alors monopolisées par les castrats, les soirées offertes à l'Italie par Haendel mettaient en vedette Margherita Durastanti, chanteuse professionnelle et grande actrice, qui suivra le compositeur à Londres.
Les cinq cantates choisies pour ce tour de chant et de sillon, proposent un parcours de la vie amoureuse, faite de bonheur mais surtout d'espoir et de douleurs. La grande vocalité est mise au service des émotions, par la sublime plume du jeune Haendel et par la technique assurée d'Anna Kasyan. Dans une alternance implacable de récitatifs et d'arias, mouvements lents et rapides, les trois premières cantates proposent l'union de la soprano, du clavecin et du violoncelle, avant que deux violons ne s'adjoignent à la quatrième et un alto à la cinquième.
Le drame commence immédiatement avec la terrible figure de Lucrezia, résolue à se suicider pour ne pas éclabousser Rome de son déshonneur d'avoir été violée. Le récit qui ouvre l'album le porte vers l'air, dans une continuité dramatique, qui mènera tout aussi puissamment vers les autres personnages du disque, malgré la diversité des histoires et des affects. La voix enfle immédiatement sur les accents ("infulminati"), mais les graves savent être voisés, leur chaleur portant jusqu'à l'aigu mélodique. Expressifs et rapides, les changements ne sont pas brutaux et ils donnent l'intensité au texte et au drame par une batterie d'accents vocaux, sur l'implacable et délicat clavecin. Hormis quelques transitions parmi les plus rapides à travers l'ambitus, les vocalises sont appliquées et ne perdent que peu d'énergie et de volume.
Cela étant, le chant est moins à l'aise dans les mouvements lents, la voix traîne alors quelque peu. L'émotion et la voix y sont tirées, mais l'articulation reste délicate et si la longue ligne legato halète, l'expression en est indéniablement renforcée. D'autant que l'émotion et le tempo repartent avec la puissance dramatique des deux cantates suivantes : la cavalcade effrénée du clavecin pour Se pari è la tua fè (Si ta fidélité est égale au feu qui anime mon cœur), avant l'humeur sautillante bien qu'embrumée de larmes et d'échos sur Clori, mia bella Clori.
Les accents frondeurs rappellent hélas que ces amours restent impossibles : Sento là che ristretto (J'entends que là-bas, prisonnier). Le récit inspiré mène vers sept minutes du long bercement d'une aria, la peur se dissipe par des soupirs, mais déjà la cinquième cantate repart, vers la tristesse et l'espoir : Crudel tiranno Amor (Cruel amour tyrannique).