Agitata par Delphine Galou et l'Accademia Bizantina d'Ottavio Dantone
Agitata ne saurait mieux mériter son nom avec un départ en trombe, un grand chapelet d'accents lançant les double croches endiablées des cordes sur les croches martelées du clavecin. Cette première piste donne à l'album son titre, hommage à l'air "Agitata infido flatu" dans l'oratorio Juditha triumphans de Vivaldi. Le jeu est aussi un hommage rendu au compositeur, dans son discours typique qui consiste à alterner les nuances mais aussi les projections, en-dehors, en-dedans.
La voix s'agite de trilles, accents et hoquets, sachant elle aussi alterner les projections et les placements au long d'un seul et très long souffle. Cette qualité lui permet aussi de passer aisément et dans la continuité, des graves appuyés aux aigus. Le médium bénéficie à la fois de cette chaleur et de ces résonances. Le placement un peu nasal contribue même à bien figurer l'agitation acide alternant avec une couleur rauque menaçante.
L'aria qui suit, "Prigionier che fa ritorno" de La Betulia liberata (Niccolò Jommelli associant la tradition religieuse avec l'école napolitaine) est inspirée du même épisode biblique : Judith sauvant son peuple en décapitant Holopherne. Le tempo ralentit mais garde son intensité aussi bien aux instruments qu'à la voix qui file des lignes tendues. Un thème rythmé et continu traverse le morceau, unissant la suite de flux et reflux musicaux. Les da capo (reprises) permettent alors d'apprécier à nouveau ces merveilleux motifs, de profiter des amples mélodies portées par la basse continue du clavecin et des ornements savants mais évidents.
Avec un effectif instrumental d'une qualité aussi admirable que cette Accademia Bizantina d'Ottavio Dantone, les pistes intermèdes du Concerto grosso de Giovanni Lorenzo Gregori laissent sans voix, passant d'une Toccata virevoltante du clavecin à la délicate souplesse fleurie. Une nouvelle occasion est ainsi donnée d'apprécier l'alternance de mouvements lents et rapides qui rythme tout l'album lorsque la phalange repart de plus belle dans le frémissement, variant la projection lointaine avant un cérémonieux dialogue en imitation avec la voix ("In procella sine stella" de Nicola Porpora). Les alternances et échanges d'accents et ornements entre les pupitres impressionnent, mais les vocalises de cette autre aria "agitée" sont bien moins expressives et aisées qu'en ouverture du disque (d'autant que la ligne convoque les graves, moins sonores chez l'interprète). Il en va de même pour les vocalises, lentes cette fois, du troisième mouvement de l'œuvre (pourtant amenées par un récitatif très expressif), tandis que les cordes vrillent et tournicotent avec grâce. Dans le mouvement suivant, l'assurance de l'immense vocalise (décidément le thème récurent de cet album) revient pour l'Alleluia, le mot constamment attaché aux ornements dans la musique occidentale.
Alessandro Stradella, compositeur des Lamentations du mercredi saint et sa longue récitation latine processionnelle s'animant à mesure, ne saurait alors mieux prouver les liens entre sacré et profane, lui qui commit de sublimes œuvres religieuses malgré la vie dissolue dont nous vous parlions au sujet de l'album à lui consacré par Chantal Santon-Jeffery et le Galilei Consort de Benjamin Chénier.
L'heure de musique et ses 22 pistes se referme alors par deux opus imposants. Les quatre mouvements de la cantate Lumi dolente lumi signée Giuseppe Torelli font résonner l'orgue soufflé au son du clavecin et du luth, d'émouvantes transitions menant vers la douleur christique. La douceur de ces instruments au service de la Passion caractérisant tout autant la douceur initiale d'O spiritus angelici (Giovanni Battista Brevi), mais qui sait s'animer et tourner, célébrant la vie éternelle vers la conclusion allègre d'un Alleluia !