Budget "exceptionnel" en 2021 : la culture en 5G ?
Le premier budget présenté par Roselyne Bachelot s'annonce "exceptionnel" par son ampleur, pour résister à une crise inédite. 2021 annonce des "moyens sans précédent" avec une "forte augmentation des crédits budgétaires", +4,8% pour la Culture par rapport à 2020 en sus du volet culturel du plan de relance, "un moment critique exceptionnel imposant une action résolue, efficace, immédiate". Le Ministère de la Culture annonce qu'il disposera ainsi en 2021 d'1,25 milliard d'euros supplémentaires par rapport à 2020, en additionnant la hausse de son budget et les mesures du plan de relance.
"Je veux que la culture sorte encore plus forte de ce drame que nous vivons"
Cette hausse du budget de la Culture est aussi à rapporter au budget global et à celui de chaque Ministère. La Culture bénéficie en effet d'un point de hausse supplémentaire par rapport à la moyenne (+3,8% de dépense pour les Ministères, à 290,1 milliards d’euros au total). C'est moins que le grand gagnant des arbitrages : la Justice qui bénéficie d'une augmentation avoisinant les +8% (600 millions d'euros supplémentaires pour atteindre 8,2 milliards). Le Ministère de l'Intérieur bénéficie d’une hausse légèrement supérieure en valeur absolue (200 millions d’euros) mais bien moindre en valeur relative à son budget global : environ 1,5% de ses 13,9 milliards.
Le budget de la Culture est donc présenté comme inédit (bien que son augmentation reste infiniment loin du doublement de budget de la Culture décidé à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand). Sa tonalité porte l'empreinte désormais bien connue du Premier Ministre Jean Castex, insistant sur les "territoires". De fait, Roselyne Bachelot enchaîne dans sa présentation de budget des concepts dont le rapprochement étonne : reliant le besoin de décloisonner les lieux culturels "traditionnels" (opéras, musées, théâtres) afin d'avoir des pratiques culturelles plus "intimes", enchaînant sur l'apport des outils numériques. La Ministre de la Culture d'annoncer alors la création d'une nouvelle délégation au sein du Ministère, opérationnelle au 1er janvier et ayant rang de Direction d'administration centrale, chargée de favoriser l'ancrage de l'action dans les territoires auprès de tous les habitants.
Un tel enchaînement de considérations et de propositions laisse imaginer un programme où toutes les "zones blanches culturelles" (autre formulation qu'affectionne le Ministère) seraient couvertes grâce à la 5ème Génération de réseaux mobiles, permettant à tout le pays d'accéder à des opéras en streaming.
La rue de Valois n'abandonne toutefois pas le soutien aux lieux culturels déconcentrés, une grande partie du plan de relance destiné au spectacle vivant (320 millions d'euros) sera fléché sur les établissements de création en région (et pour le développement durable). Sauf que le développement durable -qui désigne une démarche écologique- consisterait aussi à assurer la pérennité financière de nombreux opérateurs qui semblent pour l'instant exclus des dispositifs.
Ce discours présentant un budget de relance en forte augmentation se veut ainsi déterminé, combatif et optimiste, rappelant les enjeux économiques de la culture et l'impact universel qu'elle doit avoir, mais basculant aussi dans l'euphémisme : parlant à plusieurs reprises de "difficultés" pour de nombreuses entreprises culturelles (alors qu'elles sont en danger de mort).
Plusieurs d'entre elles tirent ainsi la sonnette d’alarme. Une Lettre des indépendants regroupant de nombreux et célèbres artistes, ensembles et lieux de spectacle, a été adressée ce lundi 28 septembre à la Ministre de la Culture pour exprimer une "profonde inquiétude" face aux "pertes qui ne cessent de s'accumuler" au "lot d'annulations" et aux faibles perspectives de reprise pour 2021 et 2022. La FEVIS (Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés) rappelle les terribles chiffres avec une “indemnisation des cessions annulées de 4,7% en moyenne” (1283 représentations annulées, soit 50% de l’activité 2020 ; 11 millions d’euros de chiffre d’affaires détruits, soit 47 % des prévisions annuelles ; 2,3 millions d’euros de pertes sèches pour les ensembles après recours aux dispositifs de soutien).
Dans ce contexte, les signataires se disent “abasourdis d’apprendre qu’a été prise la décision d’écarter les salles et festivals programmant des musiques de patrimoine et de création du mécanisme de compensation de billetterie. Elle revient à les inciter à transférer les pertes sur les artistes et leurs employeurs et in fine, à amener ces derniers à engager sans délai des plans sociaux.”
Une catastrophe qu’annonce également le Directeur de Château de Versailles Spectacles Laurent Brunner sur France Musique ce mardi 29 : "C'est assez simple, si on ne vient pas à notre secours de manière massive, au mois d'avril prochain ce sera la cessation de paiement et quelques semaines plus tard l'administration judiciaire. Cette année, les trois quarts du chiffre d'affaires ont disparu, ce qui donnera un déficit de 5 millions d'euros à la fin de l'année civile. Et cela ne se compense pas surtout en ce moment de restrictions, d'une crise durable, d'une baisse de 90% de touristes. Contrairement à ce que l'on pense, les artistes ne vivent pas d'amour et d'eau fraîche."
220 millions d'euros sont pourtant destinés au spectacle privé (parmi les 2 milliards d'euros pour la culture annoncés dans le plan de relance) mais "dans l'état actuel des choses, la musique classique n'entre pas dans les critères d'attribution de ces aides, en-dehors de l'Opéra de Paris et des très grands ensembles subventionnés quasiment sous tutelle de l'État", poursuit Laurent Brunner.
Enfin questionné, toujours par Jean-Baptiste Urbain, sur le système de compensation de pertes de la billetterie : "jusqu'à nouvel ordre, il semble que la musique classique en soit exclue, ce qui peut paraître ahurissant".
"Comment va-t-on payer ?" conclut Laurent Brunner.
En attendant des réponses sur ces points, la Ministre répond aux nombreux grincements de dents face au soutien massif des "grands opérateurs" que sont notamment l'Opéra de Paris (aidé à hauteur de 81 M€), ou encore la Comédie Française, justifiant la grande enveloppe qui leur est allouée en rappelant qu'il s'agit de puissants facteurs d'attractivité (d'autant plus importants si le tourisme doit reprendre). Les discussions au Ministère doivent également reprendre et se poursuivre.