L’opéra succombera-t-il sous une seconde vague ?
Le Professeur Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, annonçait il y a peu qu’il fallait se préparer à une seconde vague de Covid-19. Le conseil scientifique alerte sur une reprise de l'épidémie et veut un plan de reconfinement pour les 20 plus grandes villes françaises. Cette résurgence de l’épidémie apparaît aujourd’hui de plus en plus probable, alors qu’un « frémissement » se fait déjà ressentir en France. Pourtant, lorsque nous interrogeons les décideurs du secteur, la plupart semble peu encline à se « préparer » : « Il y a trop d’incertitude pour l’instant », « Nous nous adapterons si le virus se fait de nouveau plus virulent », « Nous espérons que nous pourrons jouer ».
Bien entendu, le niveau d’incertitude entourant la saison prochaine est immense. Malgré tout, seuls trois scénarii méritent d’être anticipés. Le premier, celui d’un reconfinement, est finalement le plus simple. Il semble aujourd’hui peu probable qu’il se fasse uniformément sur tout le territoire. Quoi qu’il en soit, les opéras des régions confinées n’auront pas d’autre choix que de fermer. Cela mettra gravement en danger les institutions et leur écosystème (ensembles, artistes, agents, attachés de presse, sous-traitants, etc.).
Le second scénario est celui d’un statu quo : une adaptation à des règles sanitaires strictes jusqu’à l’apparition d’un vaccin, dans un ou deux ans au mieux. Dans ce cas, seules les petites formes, les versions concert, les opéras en plein air, pourront être donnés : les fosses sont trop petites pour accueillir un orchestre distancié, les jauges trop réduites pour permettre de donner un opéra sans plonger dans un gouffre économique. Comme les premiers concerts l’ont montré, les chœurs éparpillés sur scène ne pourront offrir la qualité de son attendue. Peu de solistes seront invités lors de chaque production et les moins connus risqueront de rester sur le carreau. Cette situation est d’autant plus insatisfaisante, qu’elle repose sur un simulacre de sécurité sanitaire : l’observateur des premiers concerts déconfinés s’aperçoit vite que les artistes, distanciés durant le concert, se tombent dans les bras en coulisse, que les spectateurs se rapprochent les uns des autres dès la lumière tombée, etc.
Reste le troisième scénario : le plus improbable aujourd’hui, mais le seul en mesure d’assurer la pérennité du secteur opératique. Il s’agit du scénario d’un retour à la normale, ou presque. L’idée serait de mettre en place des protocoles sanitaires à même de permettre de jouer des œuvres du répertoire d’opéra, devant des salles pleines, malgré l’épidémie et sans faire prendre de risque aux artistes et autres personnels des opéras, ni au public bien entendu. Mais cela, justement, se « prépare », s’anticipe, et demande un certain volontarisme.
Concernant le public, d’abord, les risques peuvent être grandement limités, y compris à jauge pleine, dès lors que la température est prise à l’entrée, que du gel hydroalcoolique est distribué à chaque déplacement d’un spectateur, que les flux sont modérés par des parcours encadrés, que le port du masque est obligatoire (comme c’est désormais déjà le cas), que les spectateurs sont évacués rang par rang à l’entracte et à la fin du spectacle. Le risque ne serait alors certainement pas plus grand que dans les transports, les lieux d’enseignement (où la distanciation ne sera plus obligatoire à la rentrée), les commerces et les bars ou restaurants.
Quant aux artistes, rien ne les empêche de faire les répétitions musicales de manière distanciée. Pour les répétitions scéniques, la qualité musicale n’étant pas l’enjeu principal, les chanteurs pourraient porter des masques. Lorsque le travail ne permet pas la mise en place de ces mesures barrière (répétition d’un duo d’amour, filages, etc.), le recours au test permettrait de garantir la sécurité de tous. Il en va de même dans l’orchestre : si les cordes et les percussions peuvent porter des masques sans grand impact artistique, les tests pourraient empêcher la propagation du virus chez les vents. Si la disponibilité ou la fiabilité de ces tests pouvaient poser question il y a quelques mois, ce ne sont plus des problématiques aujourd’hui, alors qu’1,3 million d’habitants d’Île-de-France sont par exemple actuellement dépistés. L’expérience du championnat allemand de football, qui a repris à la mi-mai, offre aujourd’hui de la visibilité : alors que les joueurs ne peuvent pas respecter les gestes barrière, le recours aux tests et à un confinement volontaire a permis deux mois de matchs sans le moindre cas de contamination.
Ainsi, sauver l’opéra n’a rien d’impossible. Les directions d’institutions ne demandent pas mieux que d’appliquer ces mesures, pour peu que le politique décide de leur en donner l’autorisation. Or justement, Roselyne Bachelot, ancienne Ministre de la santé et nouvelle Ministre de la Culture, a promis de faire redémarrer très rapidement le monde du spectacle « dans des conditions sanitaires compatibles avec des conditions économiques viables ». Cela ne peut passer que par le troisième scénario. Et malgré les congés d’été, il est urgent de statuer pour ne pas compromettre les premières productions de la saison.