Leçons de ténèbres à huis clos dans la Chapelle de Versailles
"Rien de plus beau que Les Leçons de Ténèbres pour des funérailles" avait dit, radieuse comme toujours, Joëlle Broguet Présidente-Fondatrice des Amis de l'Opéra Royal "figure exemplaire et particulièrement attachante du mécénat musical, amoureuse du patrimoine et passionnée de musique baroque, soutien sans faille" comme en témoigne le communiqué ministériel, comme s'en souviendront toutes celles et tous ceux qui ont pu assister à un concert dans l'Opéra ou la Chapelle Royales, certains d'y recevoir de prime abord une marque d'amitié débordante de cette Reine Soleil du mécénat musical. Ni elle ni personne n'aurait pu croire que ses propos seraient si tragiquement et promptement prophétiques, la disparition si jeune d'une si belle âme appartient à ces tragédies injustes entre toutes que seule la musique saurait consoler (et l'assurance qu'elle nous aurait gentiment réprimandé de ne pas demeurer dans la joie et la vie).
Les Leçons de Ténèbres ne sauraient mieux convenir aux circonstances, en tous points. Elles rythment la Passion et la Résurrection, de Jésus pour les chrétiens durant la Semaine Sainte, Passion et Résurrection de la musique pour les mélomanes et la culture trop longtemps confinés. Les lieux filent la métaphore et l'oxymore, en cette chapelle royale d'or et de marbre, en ces lieux loin d'être à nouveaux remplis de public mais aussi loin d'être vidés de souvenirs et de ferveur musicale.
Les trois Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint de François Couperin sont interprétées par l'Orchestre de l'Opéra Royal de Versailles (porté sur les fonts baptismaux en décembre dernier avec Les Fantômes de Versailles) qui enregistre ainsi son premier album, pour le label du Château de Versailles Spectacles. L'Orchestre est réduit à sa plus intime expression chambriste pour aller avec l'intimité de ce concert dans une chapelle presque vide : quatre instruments qui formeraient traditionnellement un continuo sont ici des interprètes accompagnateurs dialoguant avec les voix. Stéphane Fuget dirige debout à son double clavier, orgue largement flûté et clavecin pincé avec le théorbe, les violes amples et larges de souplesse. Les longues résonances à la fin des accords inspirent les silences avant chaque mouvement et surtout l'écho des voix qui se prolonge longtemps dans la chapelle. Autant d'émotions que de souvenirs.
La soprano Sophie Junker chante la première leçon d'un arioso lyrique, avec l'animation des souffrances bibliques et la clarté de la parole d'évangile. Du grave appuyé à l'aigu trillé comme de l'Enfer au Paradis, comme de la souffrance du silence au plaisir de la musique retrouvée. Du Requiem psalmodié à l'agitation de la Passion, le tout articulé et frappé à l'unisson des instruments. Le chant droit et ténu s'ouvre largement vibré, consonnes appuyées sifflant vers des voyelles colorées, comme les coups d'archets élançant le son vers les pieuses tenues de l'orgue, qui change de clavier pour pincer le clavecin avec la même précision martelée du théorbe.
Florie Valiquette moins fleurie de voix mais aussi lyrique déploie un volume plus nourri sur des tenues plus intenses. Les attaques franches traduisent la Passion musicale et mesurent pour l'emplir l'amplitude acoustique de la chapelle (encore agrandie, en résonance, par la quasi absence de public).
Les deux sopranos incarnent l'oxymore, la dialectique du concert et de l'œuvre (réunissant proximité et distance, joie et tristesse), d'autant qu'elles marient leurs voix sur la Troisième leçon. Puis, un Cantique Quatrième (de Michel-Richard de Lalande) donne l'occasion aux deux chanteuses de passer du latin au français, par un dialogue tout aussi animé et complémentaire.
Le concert s'achève par un Couperin Passionné à nouveau, le Motet pour le Jour de Pâques qui chante le Victoria de la Résurrection, Alléluia. Les artistes offrent cette Victoire en bis, peut-être pour servir de seconde prise à l'enregistrement mais surtout portés par l'enthousiasme du public. Ravi de retrouver la musique mais qui ne chante pas non plus Victoria trop vite.
Les longs échos des accords et des voix résonnent longuement dans cette acoustique amplifiée par l'intensité du recueillement du petit nombre de spectateurs. Le réveil musical en douceur des musiciens, des auditeurs et des lieux, la joie et la tristesse de ce programme, de ces concerts confinés offre le privilège de retrouver la musique en même temps que la tristesse pour tous les accords et les êtres perdus.
Ces longs échos et hommages résonneront encore : les concerts seront télévisés et paraîtront au disque dans le label du Château de Versailles Spectacles. Ces occasions de programmer les artistes malgré tout permet de remplacer leurs engagements mais ils n'empêchent même pas Versailles de les reporter également : ce même programme sera donné pour le Samedi Saint, le 3 avril 2021.
Ces longs échos semblent lever et intensifier les ténèbres du deuil et de la musique trop longtemps tue. Lever les ténèbres, tout en sachant tirer ses tragiques et radieuses Leçons.