Opéra de Paris : du bon, du mieux et un chantier majeur soulignés dans le rapport de la Cour des comptes
Rappel de certains chiffres
L’Opéra de Paris dispose de deux salles d’une jauge totale supérieure à 3.500 places. Il accueille plus de 800.000 spectateurs par an. 350 représentations ont lieu chaque année, à égalité entre opéras et ballets, pour 20 opéras donnés par an dont 6 nouvelles productions et 12 ballets dont 4 nouveautés en moyenne. Les saisons sont préparées 4 à 5 ans à l’avance, distribuées 2 ans avant les représentations, conçues et réalisées (costumes et décor) un an avant.
Si les places devaient couvrir les frais des spectacles, elles seraient entre 2 et 3 fois plus cher. L’état subventionne ainsi à hauteur de 130 € chaque place. Les coûts des productions (assez maîtrisés par l’Opéra ces dernières années) varient énormément : ainsi, en 2013, Aïda a coûté 2.755.000 € (soit environ 230.000 € par représentation) en budget de production (plus de 10 millions d’euros en coûts complets) alors que Cosi Fan Tutte revenait à presque quatre fois moins avec un budget de production à 782.000 € (un peu plus de 120 000 € par représentation) et un coût complet à près de 3 millions et demi. Les ballets coûtent globalement 15% de moins en terme de budget global. La billetterie rapporte quant à elle plus de 56 millions d’euros. Petite information intéressante, 40% des places s’achètent désormais sur internet, un chiffre qui a doublé en 10 ans aux dépens du courrier et du guichet.
Les bons points
Premier satisfecit, la Cour reconnaît en l’Opéra de Paris une institution qui tient son rang au niveau international parmi les plus grandes maisons, avec pour spécificité l’importance de son ballet.
Des recettes en hausse : grâce aux visites de Garnier, aux locations d'espace et soirées privées ainsi qu’au mécénat en augmentation, les entrées d'argent sont allées croissantes. Une forte progression des recettes de billetterie est saluée (+27% en moins de dix années, passant de 44 à 56 millions d'euros), notamment du fait d’une forte augmentation des prix en 2004, augmentation plus mesurée ensuite et concentrée sur les meilleures places qui ont aussi vu leur nombre augmenter (la Cour estime que les prix ne sauraient être augmentés davantage, ou bien très peu sur les meilleures catégories ; notre détail des récentes augmentations est ici). En même temps, certains tarifs d’entrée de gamme et de ballets ont été volontairement gelés, afin d'encourager l’accès à la culture. Depuis, 25 000 places à 10 euros ont été réservées pour les moins de 28 ans lors des avant-premières jeunes, une initiative couronnée de succès. En outre, les places gratuites ont été divisées par 2, passant à 2% du contingent total, ce qui représente autant d'achats supplémentaires dans un opéra au fort taux de remplissage. Ces restrictions ont été faites aux dépens des billets de faveur de la Présidence de la République, du ministère de la Culture, du Parlement ainsi que de la Mairie de Paris (qui ne subventionne d'ailleurs pas l’Opéra). La billetterie couvre ainsi les frais des spectacles, même si elle ne permet de financer qu'environ 40% des coûts globaux de l'institution (comprenant également les frais de structure, incluant notamment la rémunération des artistes permanents du chœur et de l'orchestre et les techniciens).
Des coûts en baisse : ceci grâce à l’augmentation du nombre de spectacles coproduits, achetés ou loués, une baisse des cachets et une réorganisation du stockage des décors et des costumes. L’Opéra a aussi obtenu gain de cause dans le conflit qui l'opposait à son constructeur et il lui a fait payer la rénovation de sa façade entre 2007 et 2009 avec le remplacement des dangereuses plaques de calcaire par des panneaux en minéral composite.
Enfin, la Cour salue la diffusion des opéras dans les salles de cinéma, qui élargit l'accès au répertoire lyrique et promeut les activités de la capitale. Cela étant, seuls le mécénat et une baisse des droits des artistes sur les captations pourraient rendre cette activité rentable.
Les points à améliorer
La principale recommandation de la Cour des comptes est d’augmenter le nombre de spectacles et/ou de représentations. Un moyen efficace pour ce faire et pour réduire les coûts consiste à revaloriser davantage les spectacles : 40% ne sont pas repris et 26% ne sont repris qu’une seule fois. Parmi les éléments incongrus à corriger, l’Opéra ne connaît toujours pas à l’avance et précisément le coût de fabrication des costumes et décors qu’il réalise lui-même. La direction a en outre répondu à la Cour des comptes en ce qui concerne les frais excessifs du passé en annonçant avoir supprimé les véhicules de fonction, réduit le budget taxi de 30% ainsi que les frais de bouche et de représentations, le tout ayant été placé sous un strict contrôle.
Un chantier majeur
La question centrale soulevée par le rapport concerne l'organisation de la maison et en particulier du personnel, qui représente 70% des coûts de l’institution. Il s'agit de régler un certain nombre de points qui hypothèqueraient autrement la suite des activités lyriques parisiennes. Les comptables invitent l’Opéra à continuer la baisse de ses effectifs (la suppression d’une trentaine de postes est prévue d’ici 2017 dans une institution qui compte 1.750 agents). La gestion de ce personnel aurait dû être simplifiée grâce à la convention collective qui a été rédigée sur mesure pour l’Opéra de Paris, mais celle-ci n’est pas entièrement respectée, les artistes, techniciens et administratifs n’accomplissant pas l’ensemble de leurs horaires. En outre, des primes sont versées sans justification et 13,3 millions d’euros ont été spécifiquement ajoutés au régime de retraite de l'établissement entre 2009 et 2014. Ensuite, les taux d'absence sont à des niveaux élevés et en augmentation, passant de 4,5 % à 5,20 % entre 2005 et 2014. Enfin, le plus coûteux des errements financiers concerne la gestion des ressources humaines : le remplacement de Nicolas Joel un an avant la fin de son mandat a coûté la bagatelle de 1.205.960 € en indemnité de licenciement (324.563 € pour le directeur et le reste pour six collaborateurs engagés en CDI, qui ont été licenciés avec lui). A ce stade, aucune piste n'est évoquée pour assurer le contrôle de ces coûts, si ce n'est la négociation préalable des conditions de départ des proches collaborateurs du Directeur, ces derniers devant correspondre à sa vision de l'institution.
La réponse
Comme elle le fait systématiquement, la Cour des comptes donne un droit de réponse à celui qu’elle audite. Elle publie ainsi l'analyse détaillée du directeur Stéphane Lissner. Il se félicite tout d’abord des points encourageants relevés dans le rapport, détaille les points déjà mis en œuvre pour répondre aux recommandations (notamment dans l'organisation structurelle) et rappelle certaines contraintes liées à l'établissement et au monde de l'art (en particulier concernant l'engagement des artistes). Il en profite pour exposer les axes majeurs de sa stratégie alliant projet artistique et modèle économique. Il répond également sur le fond aux considérations artistiques : soulignant l'importance pour Paris de créer régulièrement de nouveaux spectacles (plus qu'à Vienne par exemple où le public est davantage habitué à une offre de répertoire). L'institution lyrique profite de l'occasion pour se permettre certaines demandes à l'autorité publique, notamment une vision claire sur l'évolution de sa subvention pour lui permettre de s'organiser. L'Opéra reproche également à l'État des lourdeurs réglementaires qui l'ont notamment contrainte à dissoudre sa société de production en décembre 2015...
Hélas, le difficile bilan 2016 de l'Opéra, grévé par les mouvements sociaux, ne participera pas au redressement de l'institution (comme nous vous l'expliquions ici).
Que pensez-vous de ce rapport ? Qu’avez-vous appris et découvert ? Quelles seraient vos recommandations pour l'Opéra ? N’hésitez pas à participer au débat dans les commentaires...