Matthieu Dussouillez présente sa nouvelle saison à Nancy : “Lumière !”
Matthieu Dussouillez, la saison passée n’a pas été épargnée par la crise sanitaire, quel bilan en tirez-vous ?
Le bilan est forcément contrasté. Il était très difficile de devoir renoncer à des projets, replanifier des programmes, mettre en place des protocoles qui venaient forcément contrarier la création et la musique. Il faut y ajouter la fatigue, l’impact sur notre moral et le stress engendrés. Mais en même temps, je dresse aussi un constat très positif : grâce aux initiatives que nous avons pu développer. Nous avons notamment pu commencer notre saison par un opéra qui me tenait à cœur : Görge le rêveur de Zemlinsky [notre compte-rendu, ndlr] que nous avons mené jusqu’au bout, qui a été une vraie réussite, une vraie rencontre musicale et scénique, aboutie avec une production qui a comme échappé au Covid (à part la réduction de l’orchestre, mais qui est passée presque inaperçue grâce à la qualité de la réalisation et de la direction). Dans le même esprit (avec là aussi une réduction orchestrale très bien faite et dirigée) Rigoletto a enchanté le public et les équipes, dans un moment fort de retrouvailles et une grande réussite musicale. Entre ces deux formats traditionnels, nous avons tourné un dessin animé, déployé le projet Nancy Opera Xperience qui a marqué les esprits dans la ville et dans notre secteur avec une création poussant notre art dans ses retranchements. Beaucoup de choses restent à explorer mais nous avons réussi le pari de cet ancrage populaire dans la ville, dont il reste d’ailleurs des traces physiques, avec ces cubes laissant notre empreinte dans douze lieux. Cela a aussi accéléré l’installation du projet que je porte pour cette maison, fédéré et fait évoluer le travail des équipes (je pense par exemple aux régisseurs qui ont géré la photographie lumières de tournages et qui utilisent ces compétences et matériels nouveaux au quotidien), dans la suite des créations numériques et audiovisuelles que nous avions développées avec Offenbach Report.
Un certain nombre de productions ont dû être annulées, pourront-elles être présentées au public ultérieurement ?
Tout ne sera pas repris. Le Tour d’écrou a pu être capté : j’espère qu’il aura l’avenir de diffusion qu’il mérite. De même, Le Voyage dans la Lune va tourner dans beaucoup de théâtres et je n’ai pas trouvé d’opportunité pour pouvoir le replanifier chez nous. Nous devrions en revanche pouvoir reprogrammer Le Ballet royal de la nuit, L’Amour des trois oranges qui est une œuvre qui me tient à cœur et dont le projet de mise en scène était particulièrement séduisant, ou encore Le Barbier de Séville.
Görge le rêveur en ouverture de la saison dernière a également été l’occasion de faire découvrir à votre public la direction musicale de Marta Gardolińska, que vous avez nommée Directrice musicale. Comment avez-vous pris cette décision ?
Nous avions prévu un processus de désignation plus long, mais la crise sanitaire a empêché son bon déroulement. J’avais besoin de quelqu’un à mes côtés pour porter mon projet auprès de l’orchestre : j’ai pris cette décision en concertation avec les comités artistiques de l’Orchestre. Nous nous sommes retrouvés sur beaucoup d’éléments avec Marta et elle partage les grandes lignes de mon projet. Son identité et son travail de développement sur le répertoire de l’orchestre correspond aussi à l’histoire de la ville : Nancy a été marquée par le Roi polonais Stanislas. Surtout, elle a su convaincre le public, les critiques, les musiciens, les chanteurs en démontrant une grande force pour mener cette production dans des conditions difficiles, en gardant toujours une connexion et un lien intime entre fosse et plateau (ce qui est essentiel pour moi). Elle amène aussi une lumière sur l’Opéra national de Lorraine par son parcours et la visibilité qu’elle acquiert.

La nouvelle saison qui s’ouvre en 2021/2022 est placée sous le thème de la “Lumière !”, succédant à la nuit de la saison dernière. Qu’avez-vous souhaité exprimer par ce choix ?
C’est bien entendu un clin d’œil à la volonté de remettre la lumière dans nos théâtres, après avoir tant milité ensemble dans le monde culturel pour que nos lieux soient ouverts et que nous puissions rallumer les lumières de nos salles. Par ailleurs, le contenu de la programmation (dont les grandes lignes se construisent plusieurs années à l’avance dans les maisons d’opéra) tient en une grande ligne thématique qui traverse les spectacles programmés : l’enfermement, le huis clos. C’était décidé avant le confinement, ce n’était pas prémonitoire et je ne suis pas devin mais c’est une idée qui traverse les opus : dans Le Palais enchanté de Rossi avec le Labyrinthe d’Atlante, dans La Flûte enchantée où Sarastro enferme Tamino, Papageno et Pamina pour apprendre la sagesse, dans Ariane et Barbe-Bleue où les femmes sont séquestrées, dans Julie de Boesmans qui est un huis-clos sentimental entre trois personnes presque dans une même pièce avec une grande intensité dramatique, Fortunio aussi décrit une forme d’enfermement : celui des classes sociales et des communautés, Tosca montre les enfermements physiques, affectifs, psychologiques. Même si les saisons sont conçues bien en amont, ce thème aurait été perçu comme une manière de rebondir sur le confinement et cela n’aurait pas été apprécié du public. Nous avons donc choisi de mettre l’accent sur la recherche de la lumière : la sortie de l’enfermement. Les personnages cherchent à sortir du Palais enchanté, La Flûte enchantée mène vers la lumière et la sagesse, Ariane cherche à libérer les femmes de Barbe-Bleue (même si les femmes décident finalement de rester), Julie et Tosca se suicident pour se libérer de la douleur et de la passion, Fortunio est une libération des émotions. La Lumière a aussi présidé à tout notre répertoire : le siècle des Lumières en lien avec le courant humaniste, nous a apporté la forme artistique qu’est l’opéra.
Vous indiquiez lors de votre interview de l'an dernier que l’Europe musicale à l’époque de l’Art Nouveau serait le fil rouge de votre mandat : quelles seront les initiatives de cette nouvelle saison dans ce sens ?
Nous sommes dans cette Europe musicale avec le grand répertoire français de notre programmation : l’opéra de Dukas, le programme symphonique autour de Dukas et Saint-Saëns, Claude Debussy, Lili Boulanger et une création d’Edith Canat de Chizy. Fortunio aussi (créé en 1907) et puis une coloration Art Nouveau avec le concert de rentrée Europa 1900-1920 avec Fauré (qui a été l’incubateur de tout ce qui est venu après), Strauss, la Pologne. Nous avons aussi Splendeur polonaise avec des compositeurs début XXe siècle. Idem pour le programme Nuit transfigurée faisant résonner ici avec Schoenberg et de Falla ce creuset artistique fertile.
Vous parliez également de renforcer le rayonnement de l’Opéra sur le territoire : que ferez-vous en ce sens ?
Nous allons développer le travail avec nos partenaires : nous donnerons un spectacle de Jeanne Desoubeaux à la Manufacture, nous ouvrons nos portes avec les chantiers nomades en invitant le public à assister à la formation des chanteurs et au travail des metteurs en scène, le Nancy Opera Xperience #2 invite le public à participer au processus de création dans un workshop, nous proposons aussi une nouvelle forme avec le concert hanté (une expérience intelligente, construite et tout public, remaniant les codes), nous inventons aussi le projet Opéra berceau. Nous sommes extrêmement investis dans notre activité hors-les-murs avec les musiciens dans la ville, avec tous nos partenariats dans de nombreux établissements qui ne sont pas initialement prévus pour accueillir des représentations de musique.
Vous présentez en octobre Le Palais enchanté co-produit avec votre ancienne maison dijonnaise. Comment présenteriez-vous cette œuvre à l’histoire touffue ?
La musique est très riche, l’histoire est complexe mais rendue limpide et évidente par la maestria du metteur en scène Fabrice Murgia. Il manie pour cela la vidéo en direct avec sens et virtuosité. Il reproduit grâce à son équipe ce labyrinthe scénographique, qui nous fait rentrer dans le monde d’Atlante avec sa contemporanéité. Je suis très enthousiaste devant ce dialogue entre réalité contemporaine et cette œuvre baroque, traduisant l’expression de la Rome musicale grandiloquente alors que nous sommes plus habitués à l’intimité vénitienne aux plus petites formes. Le format hors-norme tend plus vers la musique du XVIIIe siècle de Rameau avec des doubles et triples chœurs, 16 solistes, 35 musiciens. Nous avons réuni de beaux ingrédients pour cette œuvre et cette production ambitieuses. Je suis très content que nous proposions cette dernière production de l’ère dijonnaise à laquelle j’ai participé [avant de prendre la tête de l'Opéra national de Lorraine, Matthieu Dussouillez était Directeur adjoint à Dijon auprès de Laurent Joyeux, qui a été remplacé au début de cette saison par Dominique Pitoiset, ndlr].
La direction est confiée à Leonardo Garcia Alarcon, qui a construit une relation forte avec l’Opéra de Dijon : pourrait-il la poursuivre à Nancy ?
Elle se poursuit déjà. Il a dirigé Alcina, même si nous n’avons pu jouer qu’une représentation avant le confinement, et il dirige donc ce Palais enchanté. Je suis très attentif à ses propositions. Nous n’allons évidemment pas rompre ce lien de confiance et d'admiration mais d’autres ensembles doivent être soutenus et je donne bien évidemment la priorité à l’implication de mon orchestre maison, pour un large répertoire. Certes, certains répertoires n’ont pas vocation à être abordés par un orchestre moderne, comme le répertoire du XVIIème, Lully ou Rameau. Sur ces répertoires, nous faisons alors appel à des ensembles spécialisés : la Cappella Mediterranea mais aussi l’Ensemble Correspondances de Sébastien Daucé avec qui la relation est forte, comme d’autres mais sans installer une résidence car, vu le nombre de productions que nous proposons chaque saison à Nancy, cela créerait une relation presqu’exclusive.
Vous enchaînez avec La Flûte enchantée de Mozart, grand opus lyrique. Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
Elle n’avait pas été donnée à Nancy depuis plus de 15 ans. Je trouve donc qu’il était temps d’en refaire une, car elle appartient à cette dizaine ou quinzaine d‘œuvres du répertoire qu’il faut donner : même si les journalistes se plaignent parfois de voir les mêmes œuvres, c’est de l’entre-soi que de se plaindre d’avoir trop vu Tosca ou La Flûte. Le public aime voir ces chefs-d’œuvre régulièrement et cela permet d’aller chercher un nouveau public, notamment celui que toutes les maisons visent, entre 25 et 40 ans. Il faut apporter ces standards, dans un équilibre de notre répertoire qui s’étend sur cinq siècles, en découvrant des raretés et en faisant vivre le grand répertoire qui alimente un imaginaire collectif. Ces grandes œuvres sont notre dénominateur commun réunissant tous les publics.

Cette Flûte enchantée sera mise en scène par Anna Bernreitner que le public a failli découvrir dans L’Amour des trois oranges (que vous avez dû annuler). Que pouvez-vous nous dire de son univers ?
Son univers est extrêmement enthousiasmant, très pop et coloré, avec beaucoup d’humour mais sans faire l’impasse sur le fond des œuvres, et sur les parties moins en phase avec notre époque dans La Flûte : les œuvres du XVIIIe siècle contiennent des propos qui ne sont plus possibles de nos jours. Elle ne le souligne pas de manière caricaturale, elle ne modifie pas l'œuvre pour lui ôter son sens, mais elle ne fait pas l’impasse : elle traite ces questions avec intelligence, dans toute la force de la dramaturgie, en posant les questions que soulève l'œuvre. Pourquoi Sarastro cherche la sagesse alors qu’il a des esclaves ? Pourquoi les rapports hommes-femmes sont à ce point binaires avec courage et sagesse contre naïveté et hystérie ? Il faut apporter un regard dramaturgique à ces éléments, et conserver la poésie de l'œuvre, l’enthousiasme, la rêverie de ce conte.
La baguette sera tenue par Bas Wiegers qui était programmé l’année dernière pour Le Tour d’écrou de Britten et que vous présentiez l’année dernière comme très ancré dans le XXe et le XXIe siècle. Pourquoi avoir pensé à lui pour La Flûte enchantée ?
Déjà car je l’apprécie beaucoup et j’aime entretenir des compagnonnages artistiques lorsqu’ils se passent si bien. Par ailleurs, il y a une connexion entre le répertoire contemporain et les répertoires baroque et classique, dans l’immédiateté de la musique, le rapport direct et théâtral. Je l’ai d'ailleurs entendu diriger Mozart (et Beethoven) chez nous : il le joue de manière très fouettée, très vivante, comme j’aime Mozart. J’ai vu aussi le rapport extrêmement attentif et équilibré qu’il a forgé avec les chanteurs sur Le Tour d’écrou. Lui aussi fédère autour d’une production, en partenariat avec un metteur en scène. C’est tout ce que je recherche à l’opéra.

Pouvez-vous nous parler du plateau vocal et notamment du couple central Tamino et Pamina formé par Jack Swanson et Christina Gansch ?
J’en suis également très content : c’est l’autre grand enthousiasme de cette production. Avoir Christina Gansch en Pamina, ça fait forcément plaisir. Jack Swanson en Tamino est un magnifique ténor, très lumineux. Il appartient à une nouvelle génération d’artistes européens très séduisante, tout comme Michael Nagl en Papageno : ce sont des prises de rôles très intéressantes. David Leigh en Sarastro vient de chanter dans La Reine des neiges à Strasbourg. Christina Poulitsi, qui avait fait une très belle prestation à Beaune dans ce rôle, remplace Audrey Luna qui attend un heureux évènement. L'espoir d’un Directeur est donc que son enthousiasme soit contagieux ensuite pour le public.
Viendra ensuite Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas : comment décririez-vous cette œuvre moins connue que Le Château de Barbe-Bleue de Bartok ?
Le livret de cette œuvre est extrêmement intéressant, avec les questions que pose le symbolisme de Maeterlinck et même, d’emblée, le sous-titre : “Libération inutile”. On connaît le conte sur Barbe-Bleue, mais dans cet opéra il ne tue pas ses femmes, il les séquestre. Le texte ajoute aussi le personnage mythologique d’Ariane dans sa dimension féministe : elle se libère, franchit les interdits et libère les autres femmes, mais celles-ci décident de rester. Ce récit interroge, et donne envie de le confier à un metteur en scène qui a envie de l’interroger dans une approche forte, puissante et très en phase avec notre société. Paul Dukas vient en outre abonder au creuset esthétique de la musique française qui structure notre saison, avec beaucoup d'inventivité musicale : il est post-Wagner et réimagine le concept du leitmotiv, dans un récit extrêmement fort que l’on retrouve à l’orchestre, dans une musique à la richesse cinématographique. Nous avons aussi un alignement des étoiles avec ce rôle d’Ariane, presqu’inchantable sauf pour des voix telles que notre soprano dramatique française Catherine Hunold qui fera ainsi chez nous sa prise de rôle.
Vous confiez la mise en scène à Mikaël Serre qui avait proposé une vision très originale des Contes d’Hoffmann à Dijon (notre compte-rendu) avec déjà Samantha Louis-Jean qui incarnera Mélisande. Quel sera le propos de sa mise en scène et les éléments mis en avant ?
Le projet place le palais de Barbe-Bleue dans une villa ou un palace contemporain luxurieux d’aujourd’hui (comme il en existe à Los Angeles ou ailleurs). Cette contemporanéité conservera toutefois une dimension atemporelle car l'œuvre est symboliste et il ne faut pas en amoindrir le propos par une dimension trop concrète, afin d’éviter de perdre la force du livret. Il veut aussi traiter la question des héroïnes, de notre histoire et de notre présent en les convoquant pour une réflexion très féministe évidemment. La réflexion portera aussi bien sûr sur ce sous-titre (“Libération inutile”) qui l’obsède et auquel il donnera un fort contraste.
Qu’attendez-vous de la direction musicale emmenée par Jean-Marie Zeitouni ?
Il connaît parfaitement ce répertoire français, notre maison et notre orchestre. Il est venu plusieurs fois, il a enthousiasmé tout le monde avec Werther, puis avec Cendrillon et il nous enthousiasmera aussi avec Ariane et Barbe-Bleue qu’il est très content de diriger. C’était un choix évident que de continuer ce parcours de musique française avec lui.
Vous indiquiez vouloir une création par an. Cette année, vous présenterez Julie de Boesmans (créée à Aix-en-Provence en 2005). Le NOX (Nancy Opera Xperience) #2 aura donc lieu la saison prochaine ?
En effet, Julie incarnera le répertoire XXIe siècle, et nous présenterons le NOX #2 en novembre 2022. Pour cette saison, nous avons également commandé une œuvre symphonique à Edith Canat de Chizy. Nous retrouverons une création mondiale (et même deux) la saison prochaine.
Comment présenter cette Julie de Boesmans, son livret voire même l'œuvre originelle qui l’a inspirée ?
La nouvelle Mademoiselle Julie de Strindberg propose en effet un théâtre naturaliste, mais son esthétique a été revisitée ces dernières années, pour montrer combien le naturalisme avec sa grande précision et ses dimensions concrètes sont presque comme des trompe-l'œil : on nous oriente sur des fausses pistes pour mieux nous présenter les contrastes de la vérité. Julie nous oriente dans une direction, mais la vérité est ailleurs. C’est un texte puissant, représentant une transgression entre une bourgeoise et un valet, qui mène au drame. Le livret de Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger, la musique de Boesmans, ce grand compositeur d’opéra, font plonger dans un drame encore plus puissant, extrêmement fort dramatiquement : c'est une lame de fond, une expérience forte, difficile, mais qui sera très juste, pleine d’inventivité et de poésie, en rapport aussi avec les folklores nordiques.
Le public nancéien est ensuite invité à Fortunio de Messager, déjà présenté à l’Opéra Comique en 2009 et 2019. Qu’aviez-vous pensé de cette mise en scène signée Denis Podalydès, reprise chez vous par Laurent Delvert qui œuvrait comme metteur en scène principal sur Görge le rêveur ?
Nous sommes là encore dans la recherche des équilibres sur la saison. Fortunio est une comédie romantique version opéra du début du XXe siècle : quelque chose de léger, doux, suave avec une musique délicieuse. Et en même temps, cette production est l’expression des grands savoir-faire français avec les costumes majestueux de Christian Lacroix, la scénographie poétique et précise d’Eric Ruf, le tout guidé par la justesse de Denis Podalydès. Ce n’est pas un hasard si l’Opéra Comique a monté à nouveau ce projet : cela montre que c’était beau et que ça avait du sens.
Marta Gardolińska dirigera également cet opus : qu'apportera-t-elle à ce répertoire ?
Elle s’attaque en effet à un ambitieux programme français car elle dirigera aussi Carmen à l’Opéra National du Rhin en décembre. Une grande maîtrise est nécessaire pour ces transparences et couleurs orchestrales. Elle démontre sa capacité à composer un collectif avec les artistes : 90% de nos musiciens sont français et elle construit sa vision avec eux. Elle l’a d’ailleurs dit très humblement à l’orchestre : “J’ai hâte que vous m’appreniez à jouer cette musique”. Elle a cette envie de construire cette poésie française avec les musiciens, avec le plateau, avec les chanteurs. Elle va apporter beaucoup d’émulation artistique et musicale.
Anne-Catherine Gillet et Franck Leguérinel gardent leurs rôles, mais Pierre Derhet sera cette fois Fortunio et Armando Noguera Clavaroche, qu’apporteront ces changements ?
Pierre Derhet m'enthousiasme beaucoup : son ténor mérite de l’attention avec une couleur vocale très plaisante. Évidemment nous n’aurions pas refusé d’avoir Cyrille Dubois si son calendrier n’était pas incompatible avec la reprise mais Pierre Derhet sera idéal pour reprendre le rôle, lui qui a connu la production de l’intérieur en Lieutenant d’Azincourt. Jean-Sébastien Bou ne pouvait pas faire le rôle de Clavaroche mais Armando Noguera a beaucoup d’abattage et de personnalité, cet humour et cette force du séducteur en scène.
Nous en venons donc à la Tosca qui sera mise en scène par Silvia Paoli pour ses débuts en France. Comment l’avez-vous découverte ?
J’ai vu et j’ai été séduit par son travail à Tenerife sur Les Capulet et les Montaigu. J’ai aussi été enthousiasmé en la rencontrant par sa personnalité artistique. Elle connaît les rouages de l’opéra pour avoir collaboré avec Damiano Michieletto mais elle a son propre univers. Il est précieux d’avoir ce regard féminin sur les œuvres : j’ai observé de nombreuses fois combien il peut être contre-intuitif. Je me souviens notamment de Florentine Klepper à Dijon qui expliquait que Carmen n’est pas un exemple féministe comme on la décrit souvent, parce qu’elle se comporte presque comme un homme. Silvia va évidemment traiter tous les personnages mais elle fonde sa vision sur Scarpia et je suis assez d’accord sur le fait qu’il apporte le contraste absolu dans cette œuvre.
Vous disiez l’année dernière vouloir surprendre les spectateurs avec des œuvres très connues. Comment cette Tosca les surprendra-t-elle ?
Avec une esthétique et un univers très forts, la puissance des images de son plateau et du déchirement des sentiments. Il fallait pour cela une distribution avec un trio irisant, électrique et bouillonnant (qui feront une triple prise de rôles), comme ce sera le cas avec le trop méconnu Daniel Mirosław en Scarpia qui correspond à la vision de la metteuse en scène, avec Salome Jicia qui avait enchanté à Nancy pour sa prise de rôle en Semiramide et qui chantera chez nous sa première Tosca (Nancy est un bon endroit pour cela), et puis Ramè Lahaj qui rêve depuis longtemps de chanter Mario Cavaradossi. Ce trio offrira suffisamment d’énergie pour permettre à Silvia Paoli de faire une direction d’acteurs au cordeau et porter loin cette Tosca.
Antonello Allemandi vient en spécialiste de ce répertoire italien : que peut-il apporter à l’orchestre ?
Antonello maîtrise cette musique par cœur, avec un grand flegme, une immense expérience, de la maîtrise et une relation avec notre orchestre qu’il connaît. On le voit beaucoup dans le répertoire italien plus buffa et notamment Rossini : il n’a pas si souvent dirigé Tosca et il apportera aussi sa fraîcheur et son plaisir à diriger cette œuvre. Il adore diriger Puccini et le fait très bien.

Quels autres événements et temps forts de votre saison, notamment symphoniques et chorégraphiques souhaitez-vous mettre en avant ?
Dans la saison symphonique nous aurons donc la création d’Edith Canat de Chizy au cœur d’un très beau programme homme-femme poétique avec Lili Boulanger, Debussy et Chausson. J’aime beaucoup ce programme d’Un matin de printemps, sur lequel la création s’appuiera. Nous partirons en voyage avec la Nuit transfigurée de Schoenberg, que l’on reprend de l’an dernier, en remplaçant le Prélude à la mort d’Isolde par Les Nocturnes de Debussy. Nous jouerons aussi les Nuits dans les jardins d'Espagne de Manuel de Falla, un concert Splendeur polonaise avec Antoni Szałowski, Frédéric Chopin et Witold Lutosławski. Et nous accueillerons de grands solistes : Ronald Brautigam, Nathanaël Gouin, Astrig Siranossian, Marc Bouchkov. Chose intéressante aussi, nous jouerons une œuvre d’Anton Reicha dans le programme De Prague à Vienne, qui est l’une des premières œuvres en mesures asymétriques dans l’histoire de la musique, composée dès le XVIIIe siècle : nous serons vraisemblablement le deuxième orchestre au monde à jouer cette œuvre, retrouvée et remise à jour par un musicologue.
Jeanne Desoubeaux vous proposera un projet également : que pouvez-vous en dire ?
Elle se base sur Orphée et Eurydice et a pour titre “Où je vais la nuit” (titre inspiré d'une chanson de Philippe Katerine) : ce sera un spectacle de théâtre musical tissant autour d’un piano en scène et de l’œuvre de Gluck, convenant très bien à la collaboration entre théâtre et opéra, c’est pourquoi ce spectacle est présenté dans le cadre de la programmation de la Manufacture. Jeanne Desoubeaux écrit également le concept du Concert hanté, destiné au jeune public. Nous ferons également un grand week-end Tous à l’Opéra, très foisonnant pour tous les publics : il est annoncé dès la publication de la plaquette afin que les spectateurs puissent d’ores et déjà planifier leur programme de mai. Il y aura à cette occasion un Concert des jeunes gens avec Marc Leroy-Calatayud. Enfin, nous avons fait en dessin animé L’Orchestre cherche et trouve, que nous ferons en version scénique cette année. C’est une espèce de Où est Charlie ? qui a été créé à Montpellier et qui est vraiment super.