Fin de l’année blanche : “course à l’échalote” au “contrat en or” de l'été ou de Noël
Cet article s’inscrit dans une analyse en trois volets :
- Les options du gouvernement
- Les oubliés des dispositifs
- La “course à l’échalote” au “contrat en or” de l'été ou de Noël
La décision prise par Emmanuel Macron d’une “année blanche” pour l’indemnisation des intermittents jusqu’au 31 août 2021 entraînait d’abyssaux effets de seuil, le choix de la décaler au 31 décembre ne les résout nullement : aussi bien à l’entrée qu’à la sortie du dispositif.
Comme nous l’expliquions dès notre article de présentation et décryptage lors de l’annonce du mécanisme de l’année blanche, celle-ci prolongeant toutes les indemnisations des techniciens du spectacle entre le 1er mars 2020 et le 31 août 2021 (désormais le 31 décembre), tout se joue pour le renouvellement sur la date du dernier contrat retenu dans le calcul des 507 heures de travail ouvrant droit à l’affiliation.
Toutes celles et ceux qui relevaient encore du régime de l’intermittence au 1er mars 2020 ont vu leur date anniversaire d’affiliation (qui est donc aussi une date de réexamen ou de fin de droits) automatiquement décalée au 31 août, puis désormais au 31 décembre 2021. Cela a donc entraîné une grande inégalité à l'entrée dans l'année blanche selon les différentes dates anniversaires d’affiliation initiales. Ceux qui allaient tout juste arriver à échéance (avec une date anniversaire le 1er mars 2020 par exemple) ont vu leurs droits prolongés d’un an et neuf mois jusqu’en décembre 2021, mais cette même date ne représente donc que neuf mois d’indemnisation supplémentaires pour ceux qui venaient tout juste de renouveler leurs droits pour une année supplémentaire (avec une date anniversaire au 28 février 2020 par exemple). Sans oublier bien entendu toutes celles et ceux qui ont perdu leur statut ou n’ont pas pu y accéder (nous leur consacrons un article complet).
Or, l’effet de seuil au début du dispositif va de surcroît se reproduire, avec autant d’inégalités et d'appréhensions induites, pour la sortie du dispositif. En effet, l’année blanche a repoussé les droits jusqu’au 31 décembre 2021 mais les intermittents peuvent bien entendu toujours demander un réexamen de leurs droits avant cette date (recalculant le montant de l’allocation et la date anniversaire d’affiliation), calcul qui se fera sinon au 1er janvier 2022 pour tous. Or, dans la logique du dispositif de l’année blanche, celle-ci correspondant à une période de crise où la situation de l’emploi culturel est particulièrement dégradée, il a été décidé que le calcul des 507 heures pourrait exceptionnellement remonter au-delà de 12 mois, jusqu’aux contrats antérieurs qui n’avaient pas servi à l’affiliation précédente.
Ainsi par exemple, un artiste dont la date anniversaire d’affiliation était au 10 mars 2020 n’a pas eu à faire renouveler son statut (puisqu’il est couvert par le dispositif de l’année blanche qui court du 1er mars 2020 au 31 décembre 2021). Au 31 décembre 2021, il peut donc remonter jusqu’au 11 mars 2019 soit le lendemain de la fin de son dernier contrat ayant servi à déterminer sa date anniversaire. Si entre mars 2019 et mars 2020 il avait fait ses 507 heures, il est donc en principe prêt à voir son statut renouvelé.
Mais, même s’il a bel et bien rempli à nouveau le nombre d’heures (507h) nécessaires pour une nouvelle affiliation, reste un autre paramètre capital dans l’équation : la date anniversaire. Or, un intermittent qui n'aurait pas eu de nouveau contrat depuis mars 2020 a vu -comme tous- sa date anniversaire décalée au 31 août 2021 puis au 31 décembre 2021 : bénéficiant donc de six (devenus dix) mois supplémentaires d'affiliation (car sa date anniversaire aurait sinon été fixée en mars 2021). Il se retrouvait en fin de droits au 1er septembre 2021 avant aujourd'hui, il se retrouve désormais en fin de droits au 1er janvier 2022 (l'année blanche décalée repousse le problème de quatre mois sans le résoudre).
Sauf que la date du dernier contrat déterminant la date du nouvel anniversaire, si cet intermittent parvient à avoir ne serait-ce qu'un seul nouveau contrat en cette période de crise jusqu'en décembre 2021, sa date anniversaire et ses droits seront à nouveau décalés d'une année supplémentaire à partir de ce contrat. Le rapport remis aux Ministère de la Culture et du Travail sur l’année blanche précise d'ailleurs que cette situation concerne un grand nombre d'intermittents : "65 % des techniciens et 50 % des artistes avaient déjà atteint les 507h nécessaires à leur réadmission à la fin de l’année 2020."
“Contrat en or” et “Course à l’échalote”
C’est en cela que le système ajoute un nouvel effet de seuil voire de gouffre, et impose également une forte pression sur les festivals de l’été et la reprise de fin d'année 2021, pour les intermittents ayant pu faire 507 heures depuis leur dernière affiliation. L’objectif devient alors de trouver un contrat avant le 31 décembre à tout prix.
En effet, un intermittent ayant effectué ses 507 heures et qui décrocherait un contrat cet hiver (quelle qu’en soit la durée effective), à une date antérieure et la plus proche possible du 31 décembre, verrait ainsi sa période d'affiliation mathématiquement prolongée d’une année supplémentaire (jusqu’en décembre 2022 donc). Le rapport sur l’année blanche et les décisions du gouvernement n'ont pas résolu cette question.
Le problème des “contrats en or” demeure donc en l'état : lorsque l'année blanche s'arrêtait au 31 août 2021 c'est ainsi qu'avaient été surnommés les engagements de l’été 2021 et en particulier du mois d’août 2021 (car ils permettaient de rester indemnisés jusqu’au mois d’août 2022), leur poids en or va désormais croissant à mesure qu'ils s'approchent du 31 décembre. Le très sérieux Rapport sur la situation des intermittents du spectacle à l’issue de l’année blanche publié ce mois d'avril pour les Ministères de la Culture et du Travail, par un conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes avec le concours d’une inspectrice des affaires sociales et d’une inspectrice générale des affaires culturelles cite même l’expression de “course à l’échalote” : “D’après les échanges de la mission avec les représentants de Pôle Emploi service, cette préoccupation revient fréquemment dans les appels des allocataires, évoquant parfois la crainte d’« une course à l’échalote ».”
Ce second effet de seuil aurait donc exigé des décisions fortes prises par le gouvernement, afin de traiter complètement la question, davantage encore que ce que proposaient les options du rapport et sans oublier tous ceux qui n’auront même pas la possibilité de trouver un contrat et encore moins un statut en août ou en décembre.