L'Opéra continue au Japon
Le Nouveau Théâtre national de Tokyo a dû fermer ses portes et annuler ses spectacles à partir du 28 février 2020 sur demande du Ministère Japonais de l'Education, de la Culture, des Sports, de la Science et des Technologies en prévention de la diffusion du Coronavirus. La fermeture s'est prolongée de 15 jours en 15 jours, le théâtre connaissant lui aussi la peine de mettre en avant des projets pour devoir ensuite les retirer de l'affiche. Toutefois, après quatre mois d'absence, le public était de nouveau invité, le 9 juillet, pour une pièce de théâtre d'après le livre jeunesse La Satanormaléficassassinfernale Potion du professeur Laboulette (un titre presqu'aussi long que l'attente). Le 24 juillet, c'est le Ballet National du Japon qui présentait un spectacle pour la première fois depuis cinq mois. Enfin, l'opéra était de retour après huit mois d'attente (durée allongée aussi par la traditionnelle coupure estivale), le 4 octobre pour Le Songe d'une nuit d'été. La création mondiale A Dream of Armageddon (présenté dans notre présentation de saison) a bien eu lieu du 15 au 23 novembre. Les festivités se sont poursuivies en décembre avec La Chauve-Souris de Johann Strauss II et la Tosca vient de s'achever : deux spectacles dont toutes les dates ont pu se dérouler sans encombres. L'Opéra de Tokyo entend même poursuivre sa saison avec La Walkyrie en mars, Le Rossignol / Iolanta puis Lucia di Lammermoor en avril, Don Carlo en mai, Carmen en juillet ainsi que son programme de ballets et pièces de théâtre.
Certes, les programmes de juin-juillet dernier ont été annulés en raison de l'incertitude sur les transports internationaux des artistes. Des événements d'août-septembre l'ont été ensuite en raison de leurs dimensions imposantes (Super-Angels invitait ainsi solistes, choristes, maîtrise, danseurs, acteurs, orchestre et même un androïde). Mais ce grand rendez-vous a été reprogrammé à l'été prochain, à l'image des Jeux Olympiques qu'il devait aussi rythmer.
Le Nouveau Théâtre national de Tokyo a néanmoins pu rouvrir, grâce à des protocoles sanitaires drastiques (mais qui ne sont pas sans rappeler ce que les théâtres français avaient eux aussi mis en place) : les spectateurs sont invités à prendre leur température avant de venir et à rester chez eux si elle dépasse 37,5 degrés, idem en cas de symptômes fiévreux, de rhumes durant les deux semaines précédentes (ou de tout autre symptôme respiratoire, musculaire, ou autres : détaillés par l'institution lyrique japonaise). Idem pour les cas contacts et les spectateurs qui auraient voyagés la dernière quinzaine dans des pays désignés par le gouvernement, ou ont été en contacts avec leurs ressortissants en séjour.
En salle, les mesures sanitaires sont désormais habituelles (masques, lavage des mains, pas de changement de siège, sortie cadencée, pas de vestiaire, location de jumelles ou de couvertures, de bars-buffets, de babysitting, ni de fontaines à eau) mais elles ont également pris acte de mesures qui ne furent qu'évoquées en France (pas de discussion dans le bâtiment, quoique là encore le spectacle vivant est partout et tout le temps d'une sûreté unique, la salle étant le seul lieu où personne ne parle durant des heures). Le Théâtre a installé un système de prise de température à l'entrée, renforcé encore le nettoyage et la désinfection, ainsi que le système de ventilation (au point d'inviter les spectateurs à apporter de quoi se couvrir si besoin). Il a également ouvert son bâtiment et sa salle plus tôt (1 heure, puis 45 minutes avant les spectacles) et même interdit les cadeaux aux artistes (bouquets, lettres ou autres). L'institution fera aussi retracer si nécessaire les cas contacts (avec le Service de Santé Publique, via des données anonymisées et effacées après 4 semaines), quoiqu'aucun cluster n'a jamais été trouvé dans un théâtre. À noter enfin la confiance du Théâtre envers ses spectateurs, ceux-ci étant remboursés automatiquement et sans justificatif si leur venue est rendue impossible en raison d'une consigne sanitaire.
Les protocoles sanitaires sont d'une rigueur telle, qu'ils donnent visiblement confiance à l'institution, aux artistes, au public et aux autorités. La prise de température est ainsi systématique et lorsqu'un ouvrier extérieur engagé par l'Opéra a eu une température de 38 degrés, tous ses contacts ont été mis à l'isolement, puis, le test s'étant révélé positif, l'Opéra de Tokyo a annulé les deux dernières représentation (30 et 31 juillet) du ballet féerique La Princesse Tortue alors pourtant que la personne en question n'avait pas été en contact avec du public. Toutes les représentations du Ballet de Nouvelle année 2021 ont aussi été annulées en raison d'un cas positif (quoiqu'asymptomatique) dans l'équipe.
L'institution trouve désormais des solutions, même face aux consignes changeantes : pour interpréter Frosch dans La Chauve-Souris, elle a ainsi remplacé Kurt Rydl (dans l'impossibilité de venir en raison de l'obligation de quatorzaine pour les voyageurs d'autres continents), par Peter Gössner (acteur et Directeur de la compagnie japonaise Uzume).
Encore à la mi-janvier 2021, le Nouveau Théâtre national de Tokyo affinait ses protocoles sanitaires pour la dernière date de Tosca le 3 février, avançant ses horaires de représentation de 19h à 17h (le même mouvement que l'Opéra de Monte-Carlo qui a pour sa part reprogrammé ses performances à 14h), et limitant sa jauge à 50%. Les Noces de Figaro à partir du 9 février ont également été avancées de deux heures (de 18h30 à 16h30). Le Japon a en effet imposé un couvre-feu à 20h pour les bars et restaurants dans les préfectures d'Osaka, Kyoto, Hyogo, Fukuoka, Aichi, Gifu, and Tochigi, recommandant aux habitants de rester chez eux et demandant aux entreprises d'organiser 70% de télétravail.
Le Japon est certes un pays bien plus habitué à la discipline sanitaire, pour des raisons culturelles mais également à cause de la densité des populations : bien avant le Covid, il semblait ainsi déjà inconcevable de ne pas revêtir de soi-même un masque au moindre symptôme de rhume. Le pays a ainsi pu endiguer une montée de l'épidémie en août dernier (1500 cas par jour) et voit actuellement chuter la vague de janvier qui atteignait 8000 cas quotidiens. Le Pays du Soleil levant dénombre au total un peu plus de 6000 décès du Covid, pour 126,5 millions d'habitants. Il prouve toutefois que l'activité artistique et culturelle ne contribue pas à la crise sanitaire, au contraire : comme c'est le cas en Espagne ou en Australie.