Olivier Py sur les États Généraux : "Il faut construire un nouveau Pacte"
Olivier Py, le jour même de sa nomination, la nouvelle Ministre de la Culture Roselyne Bachelot annonçait des États Généraux des Festivals, qu'en pensez-vous et qu'en attendez-vous ?
Les États Généraux sont une idée de Roselyne Bachelot, une bonne idée. Ce sont des États Généraux des Festivals, pas seulement des festivals de l'été mais pas non plus de la Culture en général. Je pense que c'est une bonne idée qu'ils se tiennent à Avignon. Je ne sais pas ce qui en ressortira, d'autant que nous sommes en train de les organiser. Il doit en tout cas y avoir le plus de festivals possibles et des festivals différents. Pas seulement des festivals de théâtre ou de danse mais aussi des festivals musicaux, artistiques pluridisciplinaires. J'ai dit à la Ministre qu'il ne fallait surtout pas oublier les "petits festivals" (référence aux propos de son prédécesseur rue de Valois, ndlr) qui ont peut-être moins de notoriété mais qui sont d'une grande importance dans le maillage culturel de notre pays. Il faut les entendre et entendre leurs difficultés.
Je pense que nous organiserons plusieurs tables rondes avec des sujets différents : le financement, le rapport aux Collectivités Territoriales, l'écologie des festivals, la démocratisation culturelle, le lien entre les festivals. C'est une idée que je trouve très intéressante et inédite. Autant les théâtres ont l'habitude de se réunir ensemble pour échanger sur leur avenir artistique et institutionnel, autant les festivals n'ont pas cette habitude, précisément (c'est une lapalissade) parce que ce sont des "festivals". Chacun est dans sa tranchée, dans sa temporalité, estivale par exemple, mais il manque cette habitude de se réunir pour lutter ensemble.
Il y a cinq ans [faisant notamment suite aux mouvements de grève des intermittents, ndlr] j'avais inauguré une conférence de presse du Festival d'Avignon en montrant la carte des festivals annulés, une telle perte était impressionnante. Le mouvement se creuse, d'autant que de nouveaux pouvoirs locaux ont été élus à travers la France. Nous devons donc fourbir ensemble nos arguments si d'aventure des édiles locaux ne s'intéressaient pas à leur festival. Mais l'inverse est vrai également : je souhaiterais que des responsables politiques viennent dire à quel point le festival est important pour leur territoire.
Peu après les avoir annoncés pour dans "quelques jours", la Ministre a précisé que ces États Généraux se tiendraient en septembre prochain, que pensez-vous de ce calendrier, n'est-ce pas trop tard et trop tôt ?
Difficile de faire ce genre de réunion pendant l'été pour des raisons techniques. Nous le faisons donc le plus tôt possible, dès la rentrée mais plus tard serait trop tard, donc nous avons choisi la fin septembre.
Que pensez-vous du concept même “d'États Généraux”, qui sont historiquement des réunions avec noblesse, clergé et tiers-état convoqués par le roi, le tout ayant mené à la Révolution Française ?
Je ne sais pas si c'est le terme qui sera définitivement retenu. Bien entendu "États Généraux" est un peu hyperbolique, je ne sais pas si un vent révolutionnaire soufflera dans notre pays et sur notre humble week-end de travail. La culture (au sens du service public) est un tiers-état, comme pour les enseignants : on ne fait pas cela pour gagner de l'argent, ni pour être connus. Je rêverai toujours qu'un grand parti politique “Culture et Éducation” s'élève en France et dise à quel point la réponse est là.
"Notre vie intérieure devient un grand hangar Amazon."
Dès que le politique se mêle de choix culturels, n'est-il pas suspecté d'ingérence artistique, voire de censure ?
Mais non ! Cette question est résolue depuis bien longtemps. Faire un service public de la Culture, ce n'est ni prendre le modèle russe, ni le modèle chinois. C'est au contraire le service public de la culture qui a préservé l'art et la liberté. Le grand danger aujourd'hui pour l'art et la culture ce n'est pas le politique, c'est le monde marchand. Protéger la Culture de l'État est une autre de ces bêtises que j'entends constamment. Est-ce que l'Éducation Nationale doit être protégée de l'État car elle nous fait des têtes carrées ? Non. Il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas d'ingérence politique dans le culturel, mais il n'y en a pas.
Votre tribune publiée dans Le Monde ce 4 juillet 2020, rappelle que "Sans culture, la liberté devient un asservissement aux valeurs marchandes." Craignez-vous une privatisation des festivals ?
Non, une privatisation des esprits. Notre vie intérieure devient un grand hangar Amazon. Notre travail est beaucoup plus simple et humble : il faut démocratiser, donner à tout le monde le goût de la vie de l'esprit. La Culture et l'Éducation sont la réponse à tous nos problèmes. Tous. Et c'est la seule réponse. Les dirigeants, les inclus ont une petite (voire une grande) inculture sur ce point : ils ne savent pas que cela fonctionne. Ils ne l'ont pas vécu, dans leur chair, si j'ose dire. Les 50 hommes avec lesquels j'ai travaillé en prison ont vécu un éveil considérable et qui va changer la vie de beaucoup. Ils ne se sentent plus exclus du monde de l'intelligence et de l'art. Cela vaut aussi bien pour les écoles, et c'est très vite fait d'éveiller l'esprit. Nous ne verrons pas forcément les mêmes spectacles mais ce n'est pas grave. L'Éducation devrait être au centre de tout.
"Commençons par constater le travail qui est fait"
Ces États Généraux seront-ils l'occasion pour vous d'échanger sur les orientations que vous avez proposées dans votre tribune du Monde (définition de la culture comme un service public, démocratisation culturelle, décentralisation, rayonnement à l'étranger notamment par la francophonie) ?
Tout cela peut se retrouver effectivement. Je crois qu'il faut construire un nouveau Pacte. Ce sont des formules un peu larges ou un peu floues, je le sais bien, mais l'engagement local dépasse désormais le Ministère de la Culture. Nous ne sommes plus dans la construction strictement verticale d'il y a 25 ans et il faut prendre cela en compte. Il est donc capital que les villes témoignent de la centralité du fait festivalier, qu'elles formulent aussi le retour qu'apportent les festivals à leurs territoires. C'est très important de l'entendre.
Sur la démocratisation également car les Festivals font énormément de décentralisation (évidemment : ils sont décentralisés pour la plupart) mais aussi de continuité décentralisatrice en allant vers les périphéries, les banlieues : ils le font déjà et ils le font bien. Alors au lieu de dire "et si vous alliez dans les banlieues", commençons par constater qu'ils y vont déjà, par constater le travail qui est fait, par l'identifier. J'ai l'impression qu'il y a un faux procès fait au théâtre public, par simple méconnaissance. Ce que j'entends dire ici et là est hallucinant comparé aux études sérieuses dont nous disposons.
Votre objectif principal serait-il donc de montrer ce qui est déjà fait ou bien d'envisager de nouvelles actions ?
Probablement faut-il inventer de nouvelles choses, bien sûr, toujours. Mais je pense qu'il faut d'abord identifier ce qui existe, notamment car il y a beaucoup de "petits" festivals que cela permettra de protéger. Cette union est faite pour ceux qui n'auront pas forcément cinq colonnes à la une dans un grand quotidien lorsqu'ils se feront couper leurs budgets, alors qu'ils sont fondamentaux dans la vie d'une commune.
Comment les protéger ?
Par exemple, ne serait-ce qu'en rappelant qu'il n'y a pas qu'un seul Festival à Avignon. Le pouvoir central au Ministère de la Culture et les collectivités locales doivent aussi y arriver en construisant ce nouveau pacte. Il y a eu des baisses de dotations pour les territoires et elles se sont immédiatement répercutées sur la culture. Pourquoi ? C'est important d'y répondre. Puis il y a une révolution verte dans les territoires et sur le territoire, essayons d'y répondre.
Ces États Généraux vous permettront-ils d'accentuer encore l'accès à la culture dont vous rappelez que l'éloignement n'est pas seulement géographique mais aussi fortement social ?
C'est ce que j'ai nommé la décentralisation des 3 kilomètres. Je vois partout des institutions l'accomplir, de manière militante. Ceux qui nous disent "allez dans les banlieues" ne connaissent pas le travail que nous menons. Chaque année des commentateurs me bondissent dessus en me disant que je devrais faire ceci ou cela, je leur réponds en souriant "regardez dans le programme." Je veux bien mettre en œuvre des idées nouvelles, mais le travail de fond est déjà mené de manière héroïque par toutes les institutions culturelles. À certains égard c'est un peu comme l'hôpital : c'est comme tout le service public. Je rêverais de voir un 14 juillet avec tout le service public défiler, pas seulement l'armée.
Les personnels soignants ont aussi défilé pour ce 14 juillet 2020.
C'est bien. Et les profs ? Et tous ceux qui font le service public, dans l'obscurité ?
“La culture est une arme de construction massive et elle est agissante”
Ces États Généraux des Festivals doivent-ils encore rappeler que la culture coûte cher mais rapporte beaucoup plus ?
Bien sûr que la culture rapporte mais on ne peut pas utiliser ce seul argument. II n'y a pas que l'argent et le Produit Intérieur Brut mais aussi le Bonheur Brut, c'est une arme de construction massive et elle est agissante. Dans l'activité que je peux mener, je vois très rapidement comment et combien des êtres sont changés, bouleversés. Avec parfois et finalement pas grand-chose, le feu de l'esprit prend rapidement que ce soit dans les collèges ou les prisons pour parler des activités que je pratique. Je ne suis pas certains que tous nos concitoyens en aient conscience.
Avez-vous les moyens de mener ce travail ?
Des moyens nous ont été promis depuis des décennies mais nous ne sommes toujours pas, nous ne sommes jamais parvenus au fameux "1 % pour la culture", même à l'époque de Jack Lang. Aujourd'hui ce n'est même pas 1% pour la Culture ET pour la Communication. Ce serait pourtant une révolution.
Comment envisagez-vous le projet de renforcer les liens entre Éducation, Jeunesse, Culture, Sport, Civisme, etc., dans le cadre de l'été apprenant, d'un super-ministère ou du travail interministériel ?
Cela ne se fera ni avec une loi, ni avec un comité théodule, ni d'un coup. Le seul moyen de faire c'est grâce aux personnes qui s'engagent sur le terrain et qui créent des liens. Il faut continuer à l'encourager, à l'accompagner, et miser sur l'interministériel. Chaque ministère pourrait en fait prendre le 1% culture sur son budget. De la santé à l'armée (et même plutôt 5% du budget de l'armée). Mais il faudra aussi que les citoyens expriment qu'on ne peut pas se permettre d'économiser sur la culture.
Les invitez-vous à s'exprimer durant ces États généraux ?
Je ne sais pas s'il s'agira de l'occasion la plus propice puisque ce sont des rencontres professionnelles, mais il faudra évidemment que le dialogue avec la Ministre puisse se construire. Roselyne Bachelot est face à un monde détruit. Les pertes des festivals, les chiffres du chômage sont la conséquence tragique de ce confinement.
Comment les citoyens peuvent-ils se mobiliser ?
Déjà en votant (pour endiguer ce phénomène d'abstention massif). Et puis je crois très fortement en l'engagement associatif. C'est un changement d'échelle. Quand on n'arrive pas à faire des choses avec 1 million de personnes, il faut les faire avec 10 personnes. Elles ont du sens, elles peuvent être solides et on ne sait pas jusqu'où une action peut mener lorsqu'on la commence : ce n'est pas comme dans le monde marchand, précisément. La culture devrait peut-être nous apporter cela tout d'abord : le goût de l'inconnu.
Comment un Festival tel que celui d'Avignon, connu telle une marque internationale et avec de tels enjeux, peut-il conserver ce tissu associatif et cette part d'inconnu ?
Le dispositif même du festival produit très facilement de l'inattendu, de l'inédit, de l'imprescrit. C'est sa force. Nous avons une programmation mais au mois de juillet on ne sait jamais ce qu'il va se passer, sauf qu'il va se passer quelque chose qu'on n’attendait pas. Je n'ai jamais vécu un festival où je n'ai pas été surpris. Je crois que c'est aussi la force d'un bon directeur de festival que de permettre et de solliciter de l'inattendu. Sinon il suffit d'aller sur Netflix.
Avez-vous pu faire un premier bilan de la crise du Covid-19 sur le Festival d'Avignon ?
Non, nous ne savons pas du tout quel sera l'impact et ce qui sortira de cette crise. Je constate qu'elle a tout de même été l'occasion pour nous de renforcer le lien avec de grandes institutions audiovisuelles (y compris les liens qui étaient déjà très forts avec France Télévisions et France Culture). Nous avons inventé un festival au mois d'octobre qui est peut-être une bonne idée. Quelques idées neuves sont sorties du chapeau à cause de la pandémie, mais nous ne savons toujours pas où elle nous mènera.
N'est-il pas terriblement difficile pour un homme de théâtre de devoir inventer toute une programmation en virtuel, à distance, en streaming ?
Certes, mais la situation est difficile pour tout le monde. Je pense que la vie dans les hôpitaux était plus difficile que dans les bureaux du Festival d'Avignon.
Comment s'est déroulé votre échange cette semaine avec Roselyne Bachelot au Ministère de la Culture ?
Nous avons parlé de choses assez techniques à vrai dire, à savoir comment nous imaginions ces rencontres et puis nous avons parlé du Festival, de ma succession, de la nomination éventuelle d'un nouveau président au Festival d’Avignon.
Vous n'avez pas eu l'occasion de lui donner des conseils pour que le Ministère de la Culture repasse du "second rôle au premier rôle" comme vous l'appeliez de vos vœux ?
Je n'ai pas de conseil à donner mais je crois qu'il faut un Ministère fort, j'ai toujours pensé que la rue de Valois n'est pas notre ennemi, même quand je me suis moins bien entendu avec certains ministres. Je ne donne pas de conseils mais j'assure d'abord de mon soutien ce ministère qui est plus jeune que le Festival d'Avignon.
L'occasion pour vous de rappeler que la décentralisation et l'action culturelle sur les territoires étaient inventées chez vous au festival d'Avignon par Jean Vilar avant que les politiques ne s'en emparent ?
Mais oui, absolument ! Le Festival d'Avignon a rendu nécessaire l'existence du Ministère de la Culture, c'est très sérieux et tout simplement historique de le rappeler.
Avez-vous été sollicité pour devenir Ministre de la Culture, pourquoi pas en Avignon (comme les papes s'y sont délocalisés) ?
Ce serait amusant. En France nous avons les DRAC qui sont une entité décentralisée régionale du Ministère de la Culture. On ne m'a pas proposé d'être Ministre et je ne crois pas que je l'aurais accepté (même si je sais que certains et certaines avaient dit la même chose avant de prendre leur poste). Je pense que Roselyne Bachelot a des compétences que sincèrement je n'ai pas.
Une décision a-t-elle été prise concernant le renouvellement de votre mandat au Festival d'Avignon, mandat qui s'achève l'année prochaine (en 2021) ?
La Ministre de la Culture m'a dit qu'elle souhaite me renouveler pour un an, ce qui permettra de faire une transition plus sereine avec la personne qui me succédera.
Un troisième mandat de quatre ans n'a pas été évoqué ?
Pas du tout, d'abord ce n'est pas dans les statuts et ni elle ni moi ne comptons faire un coup d'État. J'assumerai sur un an le choc de toutes ces annulations et cela permettra aussi aux pouvoirs publics de prendre un peu plus de temps pour trouver celle ou celui qui me remplacera.
Auriez-vous souhaité continuer ?
Pas du tout, j'avais annoncé mon départ et je pense que quelqu'un de neuf doit venir avec de nouvelles idées, une nouvelle énergie, en ne sachant pas ce qui est impossible.
Comme vous au moment de votre arrivée ?
Oui, c'est vrai. Ces changement de direction me semblent justes et nécessaires et cela me permettra de donner toutes les clés du festival à mon successeur.
Vous projetez-vous déjà sur l'après, en tant qu'artiste et en tant que Directeur ?
Oui, bien sûr. Je sais que je veux continuer à faire du théâtre (cela peut paraître une banalité mais j'ai encore envie, encore plus envie). Je vais aussi retrouver une certaine liberté de parole, ce qui n'est pas toujours possible lorsqu'on a la responsabilité d'une institution aussi prestigieuse que le Festival d'Avignon. Je veux continuer à servir le théâtre public, cela a toujours été ma vie et si un poste se libère ailleurs, je serai ravi de présenter ma candidature.
Pensez-vous que le public sera trop inquiet pour revenir dans les salles ou bien qu'au contraire, il s'y précipitera après en avoir été si longtemps frustré ?
Je crains que le public d'un certain âge ait des inquiétudes à revenir au théâtre pendant une année ou deux. Je le crains et c'est légitime. J'ai moins de crainte concernant le jeune public.
Faut-il donc mettre encore davantage l'accent sur la jeunesse ?
Je ne sais pas s'il faut mettre l'accent en tout cas il faut mettre un masque. Quel que soit son âge, il ne faut absolument pas attraper cette saleté de maladie dont on ne connaît pas encore les séquelles.
N'était-il pas cruel et insupportable de voir les trains bondés, les personnes agglutinées sans masques pour la fête de la musique ou des concerts en plein air alors que les théâtres sont fermés ?
Oui, bien sûr. Permettre les transports en commun et pas le théâtre, nous l'avons vécu comme une injustice. Mais c'est l'avenir qui importe. Ce sont surtout les théâtres au sens institutions et bâtiments qui vont avoir besoin d'aide.
Est-ce l'occasion de rappeler que la culture est aussi importante que la nourriture ?
Il est difficile de le dire ainsi, car la culture ne sauve pas des vies mais des existences. D'abord le pain, d'abord la vie. Le théâtre est sacré mais la vie davantage (sans faire de faux romantisme). Mais une vie sans culture, ce n’est pas une vie, c'est une erreur.
La culture, ce sont des trésors : il faut arriver à faire comprendre à nos concitoyens que les richesses, ce ne sont pas seulement les voitures de luxe ou le dernier téléphone portable. Certains trésors ne coûtent rien, on peut les donner en continuant à les avoir, ce sont les trésors de la culture. C'est toujours une souffrance de voir combien de gens sont encore privés de ces trésors.
Retrouvez également notre analyse historique et circonstanciée de ce projets d'États Généraux, ainsi que notre grand dossier en 5 parties consacré aux Festivals face à la crise