Dominique Pitoiset nommé Directeur de l'Opéra de Dijon
Comme nous vous l'annoncions dans notre précédent article, personnels et artistes à l'Opéra de Dijon rejoints par des personnalités et responsables artistiques de statures internationales alertaient depuis plusieurs mois sur la succession à l'Opéra de Dijon. Le scénario qu'ils dénonçaient (nomination décidée par le Maire, sans processus de recrutement) et même le nom du successeur ont été effectivement confirmés et entérinés par le Conseil municipal du 28 mai 2020, l'occasion pour François Rebsmaen de s'exprimer sur ces vives polémiques, refermant ce point à l'ordre du jour sans autoriser d'autre prise de parole.
Après des annonces concernant les parcs et jardins (que François Rebsamen veut rouvrir dès le surlendemain, sans attendre le 2 juin), la gratuité de la cantine scolaire pour 3160 enfants, l’exonération de droits de voiries et des redevances des marchés entre les mois de janvier et mars 2020 et l'exonération de loyers dans les locaux de la ville ainsi qu'une prime aux agents municipaux le tout associé à une perte de 12 millions d'euros de ressources (notamment liées aux transports), le Maire donne la parole à Christine Martin. L'adjointe à la Culture annonce la fin du second mandat (de six années chacun) de Laurent Joyeux à la tête de l'Opéra de Dijon au 31 décembre 2020 et la désignation de son successeur Dominique Pitoiset (mais pour une durée de 3 ans), décrit comme "metteur en scène de renommée internationale, présentant un projet artistique et culturel très solide, généreux, ambitieux pour la ville, la métropole et la région." Son projet annonce "une plus grande alternance entre les artistes et les genres, l'opéra se consacrera aussi à l'émergence de jeunes, à la formation" mais également aux questions "sociales et environnementales" avec une attention portée sur l'empreinte carbone. "Droits culturels, convivialité et participation seront au cœur du projet, pour développer un nouveau rapport démocratique à l'art."
Le Maire en poste de Dijon, François Rebsamen a ensuite rendu un hommage assez particulier au Directeur sortant qui "a apporté beaucoup de choses à l'opéra, notamment dans le domaine de la musique", mais qui ne partira pas tout de suite, puisque son contrat se termine le 31 décembre 2020, et pourtant "il est encore là pour un an puisqu'il aura à assumer les productions du premier semestre 2021, mais il quittera officiellement ses fonctions en 2020" (la direction culturelle de la ville nous explique qu'elle souhaite une passation la meilleure possible entre les deux directeurs, et précise que Laurent Joyeux assume la responsabilité artistique de début 2021 étant donné qu'il a programmé cette saison 2020/2021. Toutefois, des changements et décisions pourront être apportés en raison des circonstances particulières liées à la reprise progressive en période de Coronavirus -un audit financier et social sera aussi organisé pour évaluer la situation à l'Opéra de Dijon dans le cadre de ce changement de direction et de la sortie de crise sanitaire).
François Rebsamen a aussi profité de cette occasion pour répondre à ses détracteurs, à des soutiens de Laurent Joyeux et à l'intéressé lui-même. Après avoir indiqué qu'il avait prévenu l'actuel Directeur dès 2015 que son mandat ne serait pas renouvelé, le Maire a en effet poursuivi ainsi : "Ce n'est pas une surprise, personne n'est titulaire d'une charge publique. Il faut changer, il faut renouveler de temps en temps. Après 13 ans de bons et loyaux services, il faut absolument que la sortie [de Laurent Joyeux] soit à la hauteur de tout ce qu'il a fait. Nous l'avons toujours soutenu, y compris lorsqu'il avait quelques difficultés avec le personnel (en tout les cas c'est ce qui se disait dans la presse) : j'ai toujours été à ses côtés", poursuit le Maire avant de rappeler tous les postes auxquels Laurent Joyeux a postulé durant la récente période (ce qui a toujours le don de déplaire aux maires, même si la responsable culturelle de la ville nous dit ne pas avoir pris ces recherches comme une mauvaise manière au contraire "il est heureux que notre Directeur postule ailleurs, dans des maisons prestigieuses, cela montre qu'il a grandi avec et fait grandir cet opéra") : Laurent Joyeux, a poursuivi le Maire, "a postulé à l'Opéra de Paris, à l'Opéra de Lyon, à l'Opéra du Rhin, et je suis sûr qu'il va trouver où poursuivre avec talent sa carrière. C'est tout le mal que je lui souhaite, et je l'aiderai autant que faire se peut, il le sait, je l'ai déjà fait et je ne veux pas être obligé de le dire. Mais il ne peut pas laisser croire qu'il a été recruté à l'issue d'un concours entre plusieurs candidats et qu'il avait présenté un projet très achevé. C'est un peu sur un coup de cœur d'une rencontre que j'ai eue avec lui en 2007, que j'ai décidé à l'époque de le recruter."
Le Maire de Dijon qui assume donc avoir choisi et continuer à choisir seul le Directeur de l'Opéra : "Pourquoi J'ai décidé ? Parce que Robert Poujade [maire de Dijon entre 1971 et 2001, sans lien avec Pierre Poujade et le poujadisme, ndlr] décidait et que depuis j'inscris mes pas dans les siens, en décidant de qui dirigera l'Opéra de Dijon, surtout à partir du moment où nous en finançons la majeure partie par des fonds publics."
L'Opéra de Dijon reçoit en effet 6,7 millions d’euros par la ville de Dijon sur son budget de 11 millions d’euros. La ville et son Maire François Rebsamen (figure connue du Parti Socialiste) n'ont d'ailleurs pas apprécié le fait que le Département de la Côte-d'Or (dirigé par l'UDI François Sauvadet) se retire du financement de l'Opéra l'année dernière (alors qu'il ne participait qu'à hauteur de 50 000 euros). Lors de ce nouveau conseil municipal, François Rebsamen a d'ailleurs invité les mélomanes à frapper ("gentiment bien sûr") à la porte du Conseil Départemental pour qu'il soutienne la musique, concernant aussi un dossier complémentaire, en résonance (ou plutôt en dissonances) puisqu'il s'agit d'aider l'ensemble Les Dissonances de David Grimal après qu'ils ont été également "abandonnés par Le Havre" (ville dirigée par l'actuel Premier Ministre, Edouard Philippe).
Le Maire François Rebsamen qui a présenté ainsi le passage de témoin à la tête de l'Opéra dijonnais : "Il faudra accompagner Laurent Joyeux, je ne souhaite pas qu'il prenne de décision aujourd'hui d'embauche du personnel qui puisse nuire à l'arrivée d'un autre grand Monsieur. Celui-là est connu de la ville. Il a même joué au foot à Dijon. Je veux donc dire aussi combien Dominique Pitoiset représente une chance. C'est un metteur en scène très très connu et qui a un réseau formidable. Il va permettre de tisser de nouveaux liens, peut-être un peu plus vers le théâtre qui avait été délaissé, mais chacun aura sa priorité. Sa force, sa chance est qu'il veut travailler avec les acteurs locaux, les mettre en réseau. Je le crois. C'est son projet, il est là, je l'ai lu, relu, il le présentera le moment venu.
Voilà mes chers collègues, je ne donnerai la parole à personne sur ce dossier. Je voulais l'indiquer."
Le Maire a en effet refusé toute prise de parole à l'issue de ses propos, avant ou après le vote. François Rebsamen a réitéré ce refus, de plus en plus sèchement, à mesure qu'il était interpellé parmi le Conseil municipal (leurs microphones étant coupés, il n'est pas possible d'entendre leurs questions ou interventions). Voici les propos du maire en réponses successives :
"J'ai dit que je ne donnerai la parole à personne sur ce dossier." ; "En vertu du fait que je préside cette assemblée, voilà c'est tout." ; "Je ne veux pas de débat autour de ces personnalités. Il en est ainsi décidé par moi, et c'est comme ça que je décide." ; "Mais vous pouvez dire ce que vous voulez, ça ne me dérange pas." ; "Je ne veux pas de débats sur des personnalités. J'ai choisi." ; "C'est bon, c'est terminé." ; "Peu importe. Je vous dis que je ne veux pas de débat ! vous avez compris ?"
La nomination a été entérinée avec 2 oppositions, 7 abstentions.
Contactée par nos soins, l'adjointe à la Culture, Madame Christine Martin nous a accordé un long entretien pour répondre à toutes nos questions. Elle explique que la ville assume le modus operandi de cette nomination, rappelant que l'Opéra de Dijon est une régie municipale (qu'elle n'a été contactée ni par le Ministère de la Culture, ni par le cabinet Présidentiel, ni par la Région sur la question de cette nomination), et qu'il n'y a jamais eu de jury pour recruter le Directeur de l'Opéra dans toute son histoire. "Les personnes qui se sont succédé ont toujours été choisies sur leur projet. La Ville travaille depuis longtemps avec Dominique Pitoiset, il a installé sa compagnie (conventionnée par la ville) à Dijon en 2014. Nous échangeons depuis longtemps également sur son projet pour l'Opéra, ce n'est pas un secret. Les artistes et personnels également qui signent lettres et pétitions connaissent cette décision depuis plusieurs années."
Le Maire n'a pas souhaité qu'il y ait de débat durant le conseil "pour éviter les attaques sur les personnes, notamment contre Laurent Joyeux" nous dit l'adjointe à la Culture. Lorsque nous lui demandons si ce n'est pas un procès d'intention et une entrave au débat que de refuser ainsi la parole a priori, en présumant des propos qui pourraient être tenus, Madame Christine Martin invoque le contexte politique de l'assemblée municipale et notamment de son opposition : "M. Emmanuel Bichot (LR) qui a dans son projet de baisser drastiquement les budgets de l'opéra. Des conseillers municipaux d'opposition à Dijon considèrent toujours la culture comme une donnée compliquée et comptable (preuve en est leur positionnement lors des commissions culturelles), il est donc très difficile d'ouvrir le débat."
Nous avons ensuite interrogé Christine Martin sur ce qu'elle pense de l’initiative actuelle menée à l'Opéra, Artistes en résidence | en résistance : "Je vois cela d'une manière très positive, c'est une expérience formidable. Durant cette période où les portes étaient fermées, il était indispensable de maintenir et recréer des liens entre artistes et publics. Réinviter des artistes sur le plateau, leur donner la possibilité de jouer et d'offrir de l'art très largement, à une grande audience via internet. C'est aussi un travail de médiation, d'éducation artistique, d'encouragement des publics qui ne viendraient pas d'ordinaire à l'opéra. Artistes en "résistances" je veux croire qu'il s'agit d'une résistance face à la pandémie, et pour la culture.
Je peux comprendre les inquiétudes mais je n'imagine pas que tous ces artistes de grands talents puissent imaginer qu'une grande maison comme l'Opéra de Dijon veuille fermer ses portes à celles et ceux qui y ont travaillé. Un nouveau Directeur ne va bien sûr par faire un copié-collé de ce qui était fait avant lui, mais avant les artistes en résidence actuellement, il y en avait d'autres. Après il y en aura d'autres encore... mais les mêmes pourraient tout à fait être ré-engagés. Leonardo Garcia Alarcon, David Grimal et d'autres ont su séduire un très grand public à Dijon. Nous avons défendu et porté leurs résidences et tous leurs projets. Un changement ne veut pas dire que l'on va casser des relations.
Dominique Pitoiset, pour nommer très clairement les personnes et les enjeux, est un artiste, un grand metteur en scène de théâtre et d'opéra. Il n'y a qu'à voir la page dédiée au parcours de Dominique Pitoiset sur le site de l'Opéra national de Paris : cela répondra à certaines calomnies et une forme de mépris dont il a été victime de la part de membres de l'opposition et de commentateurs. Cet artiste aura du respect pour les artistes. Il s'emploiera, à travers son projet, ses prises de contact et son action, à poursuivre et amplifier les collaborations. Rien ne se fait, rien ne se fera sans les artistes, sans les équipes. Les équipes n'ont pas à s'inquiéter : la première des volontés du prochain Directeur est de les rassurer, de se présenter, de partager le projet et de le porter en commun (pas simplement avec les cadres de directions mais avec tous les personnels, que chacun se sente impliqué dans une même histoire). Juste avant de présenter la délibération en Conseil municipal j'étais encore au téléphone avec Dominique Pitoiset et il a mis au sommet de ses priorités la pérennisation de l'outil, de l'emploi, de la concertation. Que chacun se sente rassuré, ce n'est pas un loup qui rentre dans la bergerie, c'est un artiste qui vient construire un projet artistique. Pas plus qu'il n'était question de jeter par-dessus bord le travail accompli, il n'est pas question de se passer de la reconnaissance de l'établissement ni de vider des lieux celles et ceux qui l'ont fait vivre de nombreuses années.
De même, il est hors de question de perdre cette reconnaissance 'Théâtre Lyrique d'intérêt national' acquise au fil de notre histoire et aussi grâce au travail de Laurent Joyeux. L'enjeu est que la maison soit fréquentée par des publics heureux et nombreux. Or, nous pouvons progresser : le nombre n'est pas une garantie, mais c'est aussi un enjeu de politiques publiques. Amener du bonheur artistique à davantage de personnes est notre but, avec un travail riche et de qualité, qui s'ouvre encore davantage aux lieux, disciplines et pratiques."
Christine Martin poursuit concernant le projet de la prochaine direction : "Cette maison continuera à travailler avec toutes ses forces locales et à inviter des artistes, nombreux, nouveaux mais bien entendu aussi parmi ceux qui nous sont fidèles. Ce projet va refaire la part belle à la danse et réinvestir notre Grand Théâtre. Laurent Joyeux a développé l'activité de concerts et de grande productions à l'Auditorium, c'est parfait (mais il a même déplacé la billetterie en louant un local proche de l'Auditorium), il faudra davantage développer le Grand Théâtre. Des formes intéressantes, généreuses doivent y prendre place, des collaborations avec les forces locales, avec l'Académie de l'Opéra de Paris et d'autres peuvent se tenir à cet endroit. De plus petites formes, qui se trouveraient mal à l'aise dans l'Auditorium, trouveront leur cocon au Théâtre et induiront une autre proximité."
En réponse à notre question sur le calendrier de cette décision, et notamment le fait qu'elle soit votée par un conseil municipal dont le mandat a été prolongé en raison de la crise sanitaire et du report du second tour des élections (François Rebsamen a recueilli 38,24% des suffrages lors du premier tour des municipales le 15 mars 2020), l'adjointe à la Culture affirme : "il était extrêmement important d'éclaircir la situation au plus vite. A fortiori en temps de crise. Tout aurait été plus simple si les élections avaient pu se dérouler normalement, avec un conseil municipal d'installation en mars. Mais cette nomination a été votée par le conseil municipal, dont les attributions restent pleines et entières. Mais il est évident que si une autre équipe était menée à prendre les responsabilités de la ville, elle deviendrait souveraine. Ce qu'un conseil municipal a fait, un conseil municipal pourra le défaire."
La Ville de Dijon ne nous contredit pas, lorsque nous soulignons l'intérêt qu'aurait eu un processus de recrutement ouvert, qui leur aurait permis de mettre au grand jour tout le bien qu'ils pensent du projet de Monsieur Pitoiset, qui aurait permis à M. Joyeux de proposer un nouveau projet pour un troisième mandat, qui aurait également permis de susciter d'autres candidatures, riches et diverses (de directrices potentielles par exemple), et de formuler d'autres idées nouvelles pour l'avenir.
Par ailleurs, des sources proches du dossier côté Opéra de Dijon nous affirmant que M. Pitoiset fera engager sa femme dans l'équipe de l'Opéra, l'adjointe à la Culture oppose à ces "rumeurs" un non catégorique, ajoutant : "Ces attaques sont désolantes, elles sont tombées bien bas pour venir sur un terrain aussi mesquin, nous n'aurions jamais laissé colporter de telles accusations et insinuations sur le travail ou la vie personnelle de Laurent Joyeux."
Enfin, la responsable de la culture à Dijon nous raconte combien cette période de crise culturelle et sanitaire fut et demeure éprouvante, triste, avec toutes ces annulations et fermetures en série, d'abord les annonces de jauges diminuant chaque jour un peu plus, et puis "aujourd'hui nous sommes portés vers une reprise d'activité quoiqu'elle soit extrêmement compliquée : nous recevons des protocoles d'aide à la reprise dans les salles de spectacles, comme ceux pour les écoles, qui sont immensément difficiles à mettre en place et ne paraissent pas viables. Dans les théâtres ou les salles de musiques actuelles, les jauges seraient alors réduites à une centaine ou au mieux quelques centaines de places. Nous espérons que 2021 soit l'année de la reprise, non pas seulement pour l'économie, le tourisme mais aussi la culture si durement touchée. La ville est toutefois en train de construire une saison estivale avec tous les acteurs culturels de la ville, certaines activités qui avaient été reprogrammées sur l'espace public pourront revenir au sein des établissements : la possibilité ouverte par le Premier Ministre de rouvrir dans les zones vertes nous permet aussi de donner le signal d'une reprise de contact entre les artistes et les habitants." Un travail qui s'inscrit, comme nous le rappelle l'adjointe à la Culture, dans la lignée de tout ce qui a déjà été rouvert avec aménagements (bibliothèques, plus petits musées notamment). "Tout cela ne peut se faire que par un travail étroit entre le Maire et le Préfet qui a autorisé par arrêtés l'accès aux berges du Lac Kir, ainsi qu'aux parcs et jardin d'une manière anticipée. Être volontaire et agir dans les règles : voilà ce qui régit toute notre action, elle a pour but de pouvoir profiter de la ville et de la vie, en allant vers la culture, c'est indispensable, vital."
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