Stefano Mazzonis di Pralafera : « La culture est importante : on doit reprendre ! »
Stefano Mazzonis di Pralafera, quel est le bilan de cette crise pour l’Opéra Royal de Wallonie ?
Déjà, la fermeture a été une douleur énorme pour tous ceux qui travaillent dans la maison, ainsi que pour le public. Ensuite, nous avons beaucoup perdu : des sponsors, des rentrées de billetterie, tout ce qui était au-delà de la subvention. Rien que sur le « taxshelter » [dispositif fiscal belge encourageant le mécénat, ndlr], nous avons perdu 400.000€. Nous avons en revanche pu bénéficier du chômage partiel pour nos agents, mais nous avons complété les salaires afin qu’ils touchent 100% de leur rémunération nette habituelle.
Quelle a été votre politique de rémunération des artistes pour les spectacles annulés ?
Nous avons payé entièrement tous ceux qui ont travaillé pour un opéra ayant été annulé, c’est-à-dire les opéras pour lesquels les répétitions avaient déjà démarré. Les quatre spectacles qui n’avaient pas été répétés ont pu être reprogrammés avec les mêmes artistes : cela a représenté un travail vraiment compliqué. Nous avons à chaque fois réussi à trouver les dates où tout le monde était disponible, y compris dans les petits rôles. Chacun pourra donc jouer l’opéra qu’il a étudié et préparé, et pour lequel il était engagé : tous ont d’ailleurs déjà leur contrat signé en main.
Comment imaginez-vous la reprise des spectacles ?
C’est un désastre pour la culture !"
Pour nous, la saison reprendra le 20 septembre. Je suis optimiste. Nous verrons l’évolution du virus, ainsi que les décisions du gouvernement. En Belgique, le nombre de cas diminue chaque jour. Il y a eu hier 26 nouvelles hospitalisations sur 10,5 millions d’habitants : la situation s’améliore et septembre est encore loin. On parle maintenant d’ouvrir les frontières et permettre aux gens de voyager pour les vacances. Si les gens peuvent partir en vacance à l’étranger, que le football redémarre (alors qu’on y voit des joueurs cracher sur la pelouse), que tout rouvre petit à petit, je ne vois pas pourquoi il faudrait garder les théâtres fermés. Je comprends qu’on pense aux compagnies aériennes ou au tourisme qui vivent un désastre, mais c’est aussi un désastre pour la culture ! Cependant, cela ne sert à rien de nous autoriser à ouvrir si c’est pour jouer un opéra avec cinq musiciens dans la fosse : il faut que les mesures prises soient cohérentes.
La culture est importante : on doit reprendre ! Les gouvernements ont un peu oublié la culture : rappelons-nous que la culture représente 5% du PIB de la Belgique. Ce sont des milliards d’euros qui sont en jeu. Et on sait que chaque euro dépensé dans la culture en rapporte entre trois et cinq. C’est à la fois une vitamine du cerveau et l’un des moteurs économiques du pays. Il faut que soient prises en compte nos spécificités et notre réalité.
En cas de réouverture, prévoyez-vous des aménagements ?
La culture est une vitamine et un moteur"
Ça, c’est sûr et certain. Nous mettrons tout en œuvre pour protéger les artistes, les employés et les spectateurs. Nous l’avions d’ailleurs fait après les attentats terroristes : nous avions réagi tout de suite. Il faut que tout le monde soit rassuré du point de vue sanitaire. Nous demanderons aux gens de venir avec des masques et en fournirons à ceux qui n’en ont pas, nous pourrons aussi prendre leur température. Nous distribuerons du gel hydroalcoolique, nos ouvreuses et placeurs auront des gants, etc. S’il faut tester les artistes avant chaque représentation, nous le ferons sans problème. Par contre, on ne pourra pas faire jouer l’orchestre ailleurs que dans la fosse et le flûtiste ne pourra pas porter de masque ! Si on ne peut pas jouer, on ne jouera pas. Mais si on joue, il faudra que ce soit dans de bonnes conditions.
Vous fêterez la saison prochaine le bicentenaire de l’Opéra Royal de Wallonie : comment avez-vous conçu la saison ?
Nous avons construit une saison de fête, autour de la présence de grands artistes qui viennent célébrer cet anniversaire. Je pense à Jonas Kaufmann, qui viendra à Liège pour la première fois, dans un programme d’airs d’opéra en récital. Nous essayons de le faire venir dans une production d’opéra, mais c’est très compliqué étant donné son agenda : il faut lui demander une date en 2025 ! Peut-être viendra-t-il un jour faire une prise de rôle. Nous recevrons également en récital Juan Diego Florez, Lawrence Brownlee et Jessica Pratt, ainsi que Nadine Sierra.
Sur les productions scéniques, nous avons également des distributions de très haut niveau. Nous avons cherché à faire de chaque soirée une fête. Angela Gheorghiu viendra dans La Bohème en ouverture de saison. Speranza Scappucci dirige maintenant dans les plus grandes salles du monde : elle fait partie des grands atouts de notre maison. Elle dirigera La Traviata et Les Contes d’Hoffmann. Leo Nucci chantera sans doute son dernier Germont père, même s’il est comme Franck Sinatra : il fera probablement encore ses adieux longtemps ! Dans Les Contes d’Hoffmann, Jessica Pratt chantera les quatre rôles féminins, face aux quatre antagonistes d’Erwin Schrott. Michel Fau viendra présenter sa Belle Hélène. Jodie Devos, qui a commencé sa carrière sur notre plateau, viendra deux fois, pour Hamlet et La Fille du Régiment, qui viendra clôturer la saison : ce sera la fête du bel canto. Nous accueillerons également une distribution de choix pour Così fan tutte, avec Cyrille Dubois, Lionel Lhote et Sophie Karthäuser sous la baguette de Christophe Rousset. Nous aurons nos habituelles redécouvertes d’opéras qui sont peu joués : Le Turc en Italie, avec Nino Machaidze, Guido Loconsolo et Bruno de Simone, mis en scène par Fabrice Murgia, mais surtout Les Lombards à la première croisade qui est un chef-d’œuvre de Verdi, et qui sera dirigé par Daniel Oren, avec Ramon Vargas. Enfin, nous ferons une soirée dédiée à la famille Strauss avec Alain Duault, ainsi que Carmina Burana dans une mise en scène préparée par la Fédération des Maisons de jeunes, qui va être époustouflante.
Avez-vous changé des éléments de cette programmation du fait de la crise ?
Nous avions prévu la deuxième édition de notre Concours International de chefs d’orchestre d’opéra que nous avons reporté à l’année prochaine car les candidats devaient venir du monde entier : le risque était trop important.
Retrouvez notre grand Dossier sur les rémunérations des artistes en ces temps de crise, ainsi que nos précédentes interviews :
avec le Directeur de La Monnaie à Bruxelles -Peter de Caluwe-,
de l'Opéra Comique -Olivier Mantei,
de la Philharmonie de Paris -Laurent Bayle,
de Château de Versailles Spectacles -Laurent Brunner-,
de l'Opéra de Rouen -Loïc Lachenal-,
de l'agent René Massis