Opéra de Paris : fermé jusqu'aux travaux ou jusqu'au vaccin ?
"Ce protocole est impraticable : pour les artistes, le public et les salariés"
M. Lissner confirme qu'en terme de respect des consignes sanitaires et de perspectives de déconfinement, l'Opéra représente "tout ce qu'il ne faut pas faire" (comme il le déclarait au quotidien Le Monde). Impossible donc d'appliquer le "protocole" de réouverture dans les théâtres tel quel, s'il suivait le rapport remis à Emmanuel Macron par l’infectiologue François Bricaire.
Port du masque, lavage des mains, marquage au sol pour les entrées et sorties, 1 mètre 50 de distance entre les spectateurs (distanciation des artistes sur scène également), suppression des entractes, décontamination des instruments, rien de tout cela n'est faisable explique Stéphane Lissner, citant le Tristan et Isolde de Wagner [qui n'est toutefois pas programmé la saison prochaine] qui dure 5 heures et sera impossible sans entracte [pendant ce temps, d'autres théâtres lyriques qui examinent une réouverture choisissent bien entendu de modifier leur programmation pour des spectacles durant parfois une heure seulement, avec évidemment des changements de dimension pour les orchestres, mais Stéphane Lissner refuse tout "spectacle au rabais"]. Impossible, insiste le Directeur, de faire entrer 2700 personnes à Bastille, 2000 à Garnier (de les laisser aller en salle ou utiliser les commodités) en respectant les distances. "Il faut être optimiste mais lucide", conclut Stéphane Lissner sur ce point, évoquant l'attente et l'espoir d'un vaccin ou d'un médicament [or, il est plus que possible que Stéphane Lissner ne soit plus Directeur à l'Opéra de Paris lorsqu'un vaccin sera effectivement disponible, puisqu'il part pour Naples à l'été 2021].
"Comme nous avons des travaux prévus à l'été 2021 [dont nous vous parlons de longue date sur Ôlyrix], je proposerai peut-être au Conseil d'administration de fermer si nécessaire encore deux ou trois mois à la rentrée (2020) pour faire ces travaux."
Le Crépuscule de la Tétralogie
Par conséquent, la nouvelle production du Ring de Wagner semble ("vraisemblablement") condamnée pour la saison prochaine, ce sera "de plus en plus difficile" dixit le Directeur qui n'espère plus pouvoir terminer les décors ni faire les répétitions en juillet voire au mois d'août pour donner ce nouveau Cycle lors du festival en novembre (a fortiori si les salles de l'Opéra sont toujours fermées).
Pas de faillite de l'Opéra de Paris toutefois, rassure Stéphane Lissner -en réponse à Léa Salamé dans cette interview mais aussi à la tribune de Sylvain Fort (ancien conseiller d'Emmanuel Macron) dans L'Express le 26 avril dernier. Lors du dernier conseil d'administration, l'Etat a très clairement confirmé le maintien constant de son soutien, confirme le Directeur.
La Culture est un ciment social, un devoir politique
Toutefois, selon M. Lissner, le virus agit comme révélateur de la crise que connaît la culture depuis un quart de siècle avec la diminution des subventions de l'Etat [la subvention à l'Opéra de Paris a baissé de 10% en 10 ans, passant sous le seuil de 100 millions d'euros, tandis que les 15 opéras de région se partagent une enveloppe globale de 29 millions]. Une crise aggravée en 2017, selon le Directeur de l'institution lyrique capitale, par le Pacte de Stabilité qui a plafonné les dépenses des collectivités locales : l'Opéra et la Culture n'étant pas dans une logique de gain de productivité, l'innovation est remplacée par la marchandisation.
"Petit à petit, on se privatise"
Le responsable lyrique parisien qui se désole aussi par comparaison, expliquant que tous nos voisins européens ayant des salles et traditions d'opéra comparables (à Vienne, Munich, Milan, ...) ont réinvesti dans la culture après la crise financière alors que la France n'a pas même maintenu ses financements, mais les a diminués.
"On peut faire une petite comparaison entre l'hôpital et l'opéra : les moyens manquent de plus en plus, il n'y a pas eu de politique vraiment définie. On peut faire un lien entre les personnels soignants et les intermittents, les uns très mal payés avec des revendications justifiées, les autres dans la précarité. J'espère que le Président de la République va prendre conscience de cette situation [il doit s'exprimer demain mercredi 6 mai sur le sujet, ndlr]. Si nous n'avons pas un changement profond de soutien pour la culture, je pense que le futur s'annonce vraiment très sombre. Il y a eu le grand moment de Gaulle-Malraux, la grande époque François Mitterrand-Jack Lang et depuis rien ne se passe : il faut un nouveau plan, une nouvelle vision, un nouveau projet. Les citoyens l'attendent."
Stéphane Lissner (s'exprimant sur France Inter au même moment où le Ministre de la Culture s'exprimait sur Europe 1) qui conclut en traitant le Pass culture [500 euros de dépenses culturelles offertes à 18 ans] de "rustine" et en appelant aux responsables : "Vous vous êtes beaucoup trompés, reprenez-vous messieurs les politiques".