Michel Franck, Directeur du TCE : "Santé et sécurité avant tout"
Retrouvez ici la première partie de cet entretien et à ce lien notre présentation complète de la saison 2020-2021
Comment gérez-vous la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 ?
Nous avançons au jour le jour, tant que nous ne savons pas combien de temps durera le confinement. Nous réglons pour le moment les problèmes liés aux productions de mars et notre prochaine grande interrogation est liée au Couronnement de Poppée dont les répétitions doivent débuter en avril. Mais même lorsque le confinement sera levé, les interrogations et de grandes complexités demeureront : par exemple, la construction des décors et des costumes dans les ateliers sont pour le moment à l’arrêt. Sans décor, sans costumes, sans savoir quand le confinement s’arrêtera, mais aussi quand nous pouvons reprendre des répétitions, quand le public pourra revenir, les artistes voyager. Nous attendons des nouvelles du Gouvernement et naviguons à vue, mais il en va de même pour mes collègues.
Quelles seront les conséquences financières de cette pandémie sur votre maison et pour les artistes ?
Nous échangeons beaucoup entre directeurs d’opéras et les Forces Musicales, les artistes : il est hors de question pour nous d’activer la clause de force majeure qui autoriserait à ne pas payer les artistes, les techniciens et toutes les professions liées au monde musical. La priorité est qu’aucun personnel qui travaille avec nous ne se retrouve dans une problématique financière majeure, mais nous devons aussi préserver la sauvegarde financière de nos institutions, de nos entreprises, les décisions seront donc certainement modulées mais dans l’intérêt de tous.
Comment gérez-vous la situation du personnel permanent ?
J’ai décidé, comme beaucoup de mes homologues, de maintenir l’intégralité des salaires des permanents (sans les limiter aux 70% couverts pas le chômage partiel), c’est une mesure coûteuse. Nous aimerions recevoir de la part des Ministères des réponses à nos nombreuses questions concernant l’intermittence et les mesures de chômage partiel pour les intermittents.
Sans vouloir être alarmiste, est-ce que le TCE est en danger ?
Non, pas pour le moment mais nous sommes dans l’incapacité de mesurer la perte financière que cela représentera. Quand l’heure sera venue de faire les comptes, nous discuterons avec la Caisse des Dépôts pour évaluer nos moyens d’action.
Aviez-vous des réserves financières pour tenir en cas de période difficile ?
Nous n'avons pas à proprement parler de fond de roulement mais une assise financière grâce à la Caisse des Dépôts.
Comment envisageriez-vous la réouverture ?
Hormis les spectacles, la maison est en bon ordre de marche. Pour ce qui nous concerne, à part l’équipe technique et l’équipe d’accueil, tout le monde est en télétravail, a été équipé d’ordinateurs portables, nous allons même pouvoir faire notre lancement de saison. Mais le "dé-confinement", selon mon avis personnel, se fera peut-être en deux temps : d'abord l’autorisation pour les gens de sortir voire d’aller travailler mais sans les rassemblements dans les grandes salles de concerts. Je parle avec des équipes de Festivals internationaux pour cet été : ils ont aussi d’immenses interrogations (une annulation estivale entraîne une perte totale de revenus pour la saison).
Il n’est pas possible de jouer du jour au lendemain les productions mises en scène, si elles n’ont pas été répétées, si les décors ne sont pas construits. Au Théâtre des Champs-Élysées, comme pour la Philharmonie de Paris, avons la chance de logiquement pouvoir reprendre des concerts dès la réouverture, mais de nombreuses questions vont aussi se poser : les artistes sont rentrés avec leurs proches autant que possible, à l’international donc et nous ne savons pas si les confinements dans d’autres pays vont être plus longs, décalés, prolongés. Nous avancerons au fur et à mesure de l’évolution de la situation, à mesure que le Ministère prendra des positions claires, les assureurs aussi.
Absolument, tout le monde entend bien la priorité liée à l’urgence sanitaire, mais tout de même, comment avez-vous vécu tous ces changements de mesures successifs, en l’espace de quelques jours (on conseille d’abord aux gens malades de ne pas sortir, puis la jauge est limitée à 1.000 alors vous vous organisez pour répartir le public, puis elle passe à 100, puis à 0) ?
C’est extrêmement frustrant, mais la santé avant tout.
Retrouvez notre couverture complète de cette pandémie
Comptez-vous beaucoup sur les spectateurs qui renonceraient à demander le remboursement des billets afin de vous soutenir financièrement, comme cette initiative circule actuellement sur les réseaux sociaux (et à laquelle certaines maisons incitent leur public) ?
Nous ne comptons pas sur cela. Nous n’allons pas le demander car ce serait indécent. Mais beaucoup font ce geste spontanément et je les en remercie sincèrement. Nous allons procéder au remboursement des spectateurs salle par salle (de quoi mobiliser pleinement nos personnels en télétravail). Nous n’allons pas demander des dons mais si certains souhaitent procéder ainsi, ils recevront un reçu pour défiscaliser deux tiers du prix de leur billet dans le cadre de la loi sur le mécénat.
Allez-vous devoir multiplier les privatisations de votre salle pour accroître vos revenus ?
Dans un premier temps, le fait que toutes ces opérations soient annulées entraîne pour nous une forte perte de recette : les locations de salle sont une partie non négligeable de notre budget. Pour l’avenir, notre programmation des deux prochaines saisons est bouclée, les plannings sont donc établis. Certes, il nous reste toujours quelques dates pour des événements qui se décident en cours de saison (comme lorsque nous avons accueilli un défilé de haute couture), mais les marges de manœuvre sont très restreintes : hors de question d’annuler des concerts prévus pour faire la place à de l’événementiel.
Avec vos plus de 200 levers de rideaux et les événements, il vous est donc impossible d’envisager des reports pour les productions qui ne peuvent pas être jouées en ce moment ?
C’est totalement impossible. Pour les opéras, je suis en train de programmer 2023-2024, tous les plannings et engagements sont fixés jusque là.
Avez-vous déjà connu une situation, ne serait-ce que vaguement comparable, et auriez-vous pu l’imaginer ?
Non (soupirs). Nous avons peut-être été naïfs, mais tout cela paraît totalement imprévisible dans ses causes et conséquences.
Cette crise va-t-elle changer quelque chose ?
Je ne sais pas répondre à cette question, mais j’espère que cela va changer notre façon de voir le monde, les relations internationales, la surconsommation. Dans le monde du spectacle, nous en subissons les conséquences, impossibles à prévoir et à contrôler.
Le monde de l’art et du spectacle vivant cherche parfois à se mobiliser pour la planète (à veiller au bilan carbone par exemple), sont-ce des initiatives qui vous parlent ?
Concernant le bilan carbone, beaucoup des grands orchestres en Europe viennent en train. Certes, lorsque nous invitons des musiciens américains, il est compliqué de leur demander de venir à la nage. Mais oui nous œuvrons autant que possible à notre échelle. Dans les constructions de décors par exemple, il faut faire attention aux matériaux. Et puis dans le quotidien j’y veille et j’y tiens : au TCE les gens font extrêmement attention, j’ai supprimé tout le plastique. Chacun a reçu des verres en verre, il y a des carafes, les bouteilles en plastique sont interdites. J’ai fait supprimer toutes les machines à café avec capsules pour mettre des machines à grain. Nous faisons attention au chauffage. Je fais la guerre pour que les gens éteignent les lumières ! Sachez aussi que sur toutes les productions d’opéras et même des répétitions de concerts, la première chose que nous faisons (alors qu’il y a des équipes nombreuses) consiste à offrir une gourde à chacun, avec son nom. Quiconque entre avec une bouteille en plastique est prié d'aller chercher sa gourde.
Il reste toutefois les bouteilles d’eau en plastique au pied des pupitres lors des versions de concert, mais cela fait partie du décorum de l’exercice, n’est-ce pas ?
C’est surtout trop risqué d’avoir un verre en verre, au cas où le verre tombe ou se brise. Là aussi, santé et sécurité avant tout.