Mort de Kaija Saariaho, compositrice incontournable : Only the Sound remains
La famille de Kaija Saariaho a annoncé la terrible nouvelle, expliquant que la compositrice avait été diagnostiquée en février 2021 d'un incurable cancer du cerveau. Ses proches relatent également combien sa "forte détermination caractéristique" a nourri son combat quotidien, et que ses facultés cognitives n'ont été affectées qu'en phase terminale.
Un an avant ce diagnostic donc, elle présentait ce qui restera comme son dernier opéra, Innocence, créé seulement l'année suivante pour cause de report-Covid et élevé d'emblée pour ses poignantes qualités au rang de chef-d'œuvre, un de plus. Nous relations alors les propos de la compositrice, indiquant qu'il s'agirait sans doute de son dernier opéra, il était alors inconcevable que ce serait effectivement le cas pour cette terrible raison. L'artiste expliquait en effet, et nous relations ainsi dans notre article : combien son processus de composition l’amenant à s’identifier à chaque personnage a rendu ce travail éprouvant : ne s’estimant pas capable d’assumer une composition plus complexe que celle-ci, elle n’entend pas se lancer dans l’écriture d’un nouvel opéra par la suite et affirme préférer se consacrer à d’autres formes musicales.
Avant Innocence sur un livret de sa compatriote Sofi Oksanen, c'est dans le théâtre nô que plongea sa plume lyrique pour l'opéra si bien nommé Only the Sound remains : "Seul reste le Son". Car, si ce triste jour est empli de recueillement et de silence, il l'est aussi déjà du souvenir et de la musique de Kaija Saariaho, musique qui s'apprête à résonner encore et toujours (de nombreux concerts hommages auront évidemment lieu à travers le monde, certains sont d'ores et déjà annoncés, tout comme les hommages et condoléances du monde culturel et au-delà se multiplient).
L'Opéra sera certes venu de loin pour Kaija Saariaho, comme la musique en général était éloignée de son milieu familial. Mais s'ils sont venus de loin, ils ont germé tôt : elle découvre la musique au primaire, se rend jeune aux concerts et chez le disquaire. Elle poursuit son parcours d'apprentissage, dans son pays, puis dans le temple de la musique contemporaine qu'est Darmstadt (où elle travaille notamment sa signature musicale "spectrale" : composition qui permet de déployer les harmoniques du son par les moyens de l'orchestre) avant de s'installer à Paris. Son esthétique et son catalogue se déploient alors à travers le monde et les effectifs, en pièces solistes, chambristes, orchestrales. Mais elle est toujours traversée par la vocalité, y compris des instruments. Cette vocalité entre notamment en scène, venant donc de loin, avec son premier opéra, en 2000 à Salzbourg (puis dans bien d'autres lieux et encore régulièrement), un premier opéra intitulé : L'Amour de loin. Cette collaboration avec l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf et le metteur en scène Peter Sellars devient compagnonnage artistique à trois, proposant une autre œuvre restée régulièrement au répertoire : Adriana Mater créé à Bastille en 2006, mais également l'oratorio La Passion de Simone la même année à Vienne, avant Émilie à Lyon en 2010 dans une mise en scène de François Girard.
Lorsque nous avions interviewé Kaija Saariaho, à l'occasion de l'édition 2017 du Festival Présences qui lui était consacré, elle avait avant tout remercié la maison musicale de présenter un panel de ses œuvres et d'en créer. Et surtout, elle avait immédiatement tenu à saluer les musiciens qui interprétaient son catalogue, avec un regard tourné vers l'avenir : "C’est très important pour moi de trouver de nouveaux interprètes mais aussi de remercier ceux qui ont beaucoup travaillé avec moi, ces artistes pour qui j’ai écrit la musique. Les musiciens sont de toutes les générations".
Si le monde de l'opéra et de la musique de toutes les générations a ce soir le souffle coupé et reste sans voix, une chose est sûre, Kaija Saariaho est de celles qui nous l'ont montrée, la voie.
Un Concert Documentaire était consacré à la compositrice à l'occasion de l'édition 2022 du Festival Musica, en son honneur :