Alexis Kossenko dirige L'Étoile de Chabrier à l'Atelier Lyrique de Tourcoing
Alexis Kossenko, vous êtes en ce moment en pleines répétitions pour l'Etoile de Chabrier, comment se déroulent-elles ?
Nous affinons la psychologie des personnages et l'exigence vis-à-vis du texte. L'enjeu est de se mettre parfaitement en accord avec le metteur en scène sur les intentions et nous sommes justement sur la même longueur d'onde avec Jean-Philippe Desrousseaux car il est musicien et j'ai une vision très théâtrale de la musique. L'idée est qu'il n'y ait jamais une intention de la mise en scène qui soit contraire à la vision musicale (ce qui arrive si souvent ailleurs). Ici nous avons en outre la grande chance de nous amuser. Dans cet esprit, je peux faire remarquer au metteur en scène et aux interprètes les subtilités de l'orchestration, de l'harmonie et ils sont très prompts à en tenir compte et à l'utiliser pour les intentions, les gestes, le jeu d'acteur.
Retrouvez notre dossier de présentation dédié à cette production
Cette partition, derrière ses apparences légères, a toutefois une réputation de grande difficulté, y avez-vous été confronté ?
Doublement, car la partition veut donner l'apparence de la simplicité alors qu'elle est difficile. Chabrier est incroyablement méticuleux, c'est ce qui fait la richesse de cette partition. Il est minutieux sur le plan musical mais également sur les dimensions psychologique et comique, décrites par le menu. Chaque effet est pensé, pesé, nuancé, indiqué sur la partition. Il écrit scrupuleusement le rubato (liberté rythmique) : nous le suivons donc scrupuleusement. Ravel en fera ensuite autant: il s'agit de donner l'impression de souplesse, d'improvisation même, alors que tout est noté. Si les interprètes veulent alors ajouter du flou sous prétexte de liberté, ils détruisent l'édifice du compositeur. Si on joue trop librement Tzigane de Ravel, sous prétexte que l'oeuvre exprime une improvisation alors on passe à côté de cette mécanique extrêmement réglée et qui doit être méticuleusement rendue pour faire son effet improvisé.
Quel choix avez-vous donc pu faire face à cette partition ?
On a toujours le choix de l'intégrité et de la mesure, mais je me plais à jouer la psychologie, les contrastes et de fait à exploiter les ressorts comiques. Mais l'intégrité n'est pas du tout synonyme de manque de liberté ni d'inspiration. Être méticuleux ce n'est pas être borné, au contraire. Il faut respirer la liberté pour la méticulosité. Voir aussi là où le compositeur veut de la minutie et où il en veut moins.
Comment traitez-vous l'exotisme de cette œuvre, sur le plan musical ?
Il est présent et absent à la fois : avec des atmosphères lointaines et aussi médiévales mais sans une volonté, une recherche de l'évocation de l'Orient par des procédés musicaux figés. Concernant le contexte de l'œuvre sur cette thématique, je ne suis malheureusement pas sûr que la vision fin XIXe soit totalement révolue de nos jours, et nous serions bien prétentieux de prétendre que nos sociétés auraient réglé ces problèmes.
Comment parvenez-vous à composer une unité musicale entre les caractères et registres si divers et même opposés de cette partition (qui chante la petite étoile puis le supplice du pal) ?
C'est parce qu'ils sont opposés qu'ils fonctionnent. Le plaisir consiste à creuser les contrastes, parfois au sein d'une même phrase. Par exemple « tout deux assis dans le bateau », lorsque Laoula croit avoir perdu Lazuli au fond du lac, est d'une poésie saisissante, incroyablement beau. Et tout à coup arrive "Et puis crac !" Il fait la culbute et verse dans un réalisme hors de propos. Le rire est ainsi suscité de toutes les manières possibles. Chabrier tisse à merveille la proximité du sublime et du trivial. L'unité se mesure dans les enchaînements parlé-joué-chanté. Il y a une unité de styles dans la diversité, la poésie du populaire.
Comment unissez-vous également les passages parlés et chantés de cet opus ?
J'insiste beaucoup sur les transitions. Il m'arrive alors d'intervenir, modestement, sur le jeu des acteurs car il faut absolument que la dernière parole d'un discours invite à la musique suivante, à donner le mouvement de l'Orchestre. Même si parfois il peut y avoir des ruptures volontaires, il faut toujours trouver la juste intonation qui se prolonge, dans l'énergie. Il faut mettre de la musique dans les passages parlés et du théâtre dans la musique chantée et jouée.
L'Atelier Lyrique de Tourcoing donne du temps long pour le travail de répétition, qu'est-ce que cela change pour le résultat ?
C'est très précieux de pouvoir travailler ainsi. Cela permet au chef d'orchestre de ne pas déléguer, ne pas arriver à la dernière minute. Cela permet aussi de pleinement s'approprier la partition, tous ensemble. Trouver et affiner tous les gestes en lien avec les interprètes. Il n'y a pas d'automatisme dans le théâtre car nous sommes dans la réactivité, mais nous forgeons ainsi un contact direct et commun. Cela me permet aussi de laisser du temps aux chanteurs pour se concentrer sur la musique, la mise en scène, avant d'allier les deux. Nous revenons toujours sur des détails musicaux afin que la précision reste constante, à travers l'interprétation et le jeu d'acteur. Jusqu'au moment où tout fait sens, où chaque intention musicale est véritablement portée par le geste et correspond au moindre détail de la partition.
L'Atelier Lyrique de Tourcoing suit et encourage la rencontre entre générations d'interprètes, c'est également le cas sur cette production, comment le vivez-vous ?
Cela s'apprécie déjà à la rencontre et aux interactions riches entre personnalités et dans la manière de travailler : lorsqu'un véritable metteur en scène de théâtre est présent de surcroît avec une équipe si riche, la subtilité et la vraisemblance sont au rendez-vous, le tout dans le plaisir et l'amusement. D'autant que l'œuvre y prête du début à la fin, à chaque réplique et chaque tournant.
Qu'est-ce qui vous plaît à L'Atelier Lyrique de Tourcoing ?
Dans le nom même de cette maison, j'aime le terme Atelier. C'est un laboratoire d'une richesse foisonnante, à l'image de l'être humain qui peut être joyeux, triste, enthousiaste. À l'image du fondateur Jean-Claude Malgoire qui a œuvré pour l'immense diversité de répertoires, que ce soit dans l'histoire mais aussi dans tous les styles (alors que les grandes maisons vont beaucoup moins se permettre de diversifier les genres, d'enchaîner un opéra bouffe et La Traviata). L'Atelier, c'est une expérience qui magnifie le plaisir d'essayer tout en aboutissant. Malgoire a remis cinq siècles de musique en question, nullement par principe ou par opposition mais en travaillant, en questionnant, en ouvrant les yeux, les oreilles, en démontant minutieusement les répertoires pour mieux les remonter. Gardons cet esprit atelier !
La confiance sur le long terme se veut également capitale dans le projet, comment se manifeste-t-elle ?
En restant fidèle à des collaborateurs de longue date tout en ouvrant les portes en grand à de jeunes talents et en étant bien souvent la première scène à leur faire confiance sur le long terme. La liste est impressionnante des immenses et très célèbres talents que Malgoire a découverts et promus, sans attendre que d'autres ne prennent des risques à sa place. Qu'il s'agisse de grands solistes vocaux, instrumentaux, ou de membres de son orchestre (et j'en fais partie). C'est une personne fusionnelle avec son lieu, qui a également l’exigence et la modestie. Loin des pressions, on ose prendre des risques et le public fait alors des découvertes.
Le travail méticuleux effectué par Malgoire, de retour aux instruments, aux partitions, aux méthodes d'époques vous a-t-il inspiré ?
Je suis exactement dans cet esprit. Je pense que c'est la raison pour laquelle on m'a proposé de prendre la direction de son orchestre, La Grande Écurie et la Chambre du Roy. J'ai toujours eu cette même exigence. En plus de la flûte moderne, je me suis intéressé dès 12 ans aux flûtes anciennes car j'avais l'envie de diversification, dans la curiosité d'essayer de nouvelles sonorités et la volonté de ne pas forcément exécuter ce qui était demandé sans penser et me poser de question. Lire les traités, explorer, chercher de jeunes artistes, c'est un fonctionnement de Jean-Claude Malgoire que je fais absolument mien. Le hasard a d'ailleurs voulu que nous "découvrions" Sabine Devieilhe en même temps (même si ma carrière était alors plus que modeste) et j'ai donc pu lui proposer des concerts parmi les premiers puis participer à l’enregistrement de son premier album.
Quel est l'apport particulier des instruments anciens ?
Leur emploi vise moins à reproduire le son tel qu'il aurait pu être entendu à l'époque, il s'agît surtout d'un amour des sonorités plus riches, plus éloquentes, moins dans la recherche d'outrance, de puissance, moins dans le confort aussi. Si chez Chabrier (pour cette Étoile), les instruments ressemblent beaucoup au premier abord aux instruments modernes, la différence reste présente et subtile dans le résultat individuel comme dans l'ensemble, l'alliage des timbres. Le son est plus vif et plus clinquant, plus caressant en même temps. Il a moins cette épaisseur holographique qui caractérise davantage les instruments et les goûts musicaux de nos jours. Le surcroît de richesse vient de sonorités plus fines, moins épaisses et homogènes dans les bois et les cuivres, mais qui sont capable à la fois d’une grande douceur et de brillant, voire de perçant. Je prends souvent comme parallèle l'exemple du piano : le clavier de la fin du XIXe siècle a encore en lui tout un orchestre, avec bassons et violoncelles dans le médium grave, altos, puis flûtes et hautbois en montant vers l'aigu. Aujourd'hui, on cherche davantage l'homogénéisation d'un piano un et indivisible. Par ailleurs l'instrument peut avoir une grande puissance et rester transparent. S'il y a moins de volume, il y a plus d'agilité et de souplesse (c'est comme conduire une voiture plus légère) ce qui est bien plus agréable.
En quoi est-ce différent de diriger un orchestre sur instruments anciens ?
Certains équilibres sont plus faciles et naturels à trouver, d'autres plus complexes car les instrumentistes doivent se réapproprier à chaque projet un instrument différent et un nouvel équilibre de timbres avec les voisins. Mais après quelques jours, l'excellence revient. Certes, la justesse est plus délicate, mais l'évolution technique est rarement un progrès : ce qui a été gagné en précision et confort a été perdu ailleurs. Lorsque je fais des concerts ou ateliers pédagogiques avec différents types de flûtes, les auditeurs viennent systématiquement me dire que leur flûte préférée est la plus simple de toute, la flûte Renaissance : un tube de bois cylindrique avec un trou pour souffler et six pour les doigts. Pour prendre un autre exemple (toujours d'actualité et notamment à l'Atelier) : les Symphonies de Beethoven (et d'autres compositeurs ambitieux) ont été volontairement écrites pour mener les instrumentistes à leurs limites, aux extrêmes de leur endurance, de l'ambitus de leur instrument, les forcer à l’héroïsme (on le sent bien chez les cors par exemple). Comme Beethoven, Chabrier ou encore Mendelssohn connaissaient parfaitement l'outil orchestral et savaient où mener les musiciens à travers de nouvelles couleurs et aventures.
Si on les remplace par un instrumentarium moderne sécurisé qui pourrait faire plus difficile, aller plus vite, plus fort, plus doux, alors on perd quelque chose d'essentiel, à commencer par l'ambition du compositeur : sa volonté de voir les musiciens se dépasser, créer un choc esthétique et technique. Pour faire un parallèle un peu osé : un funambule qui serait harnaché pour marcher sur un fil à quelques centimètres du sol n'intéresserait personne. L'excitation et le danger sont des données essentielles de l'art. La sécurisation se fait au détriment d'une part d'aventure.
Quelle est la spécificité de La Grande Écurie et la Chambre du Roy ?
C'est un ensemble d’où sont exclus le carriérisme et la prétention : Jean-Claude était ainsi. L'exigence chez lui est développée autrement : la musique, l'enrichissement personnel et non pas la concurrence. Nous n'allons renoncer à aucune exigence, surtout pas à celle de faire de la musique ensemble avec plaisir.
Avez-vous perçu une inquiétude quant au destin de cet orchestre, suite à la mort de son fondateur ?
Il y a eu de l'inquiétude autour de l'ensemble et de cet héritage, c'est le cas pour les phalanges qui sont tellement associées à une personne si remarquable, mais l'aventure est trop unique pour disparaître. C'est un ensemble pionnier, historique, depuis les débuts de la résurrection baroque, nous en avons entendu parlé, grandi avec, c'est désormais l'Histoire musicale. Il faut donc continuer à entretenir et reconstruire ses outils, rassurer les autorités culturelles et politiques sur la continuité.
Quels sont vos projets pour La Grande Écurie et la Chambre du Roy ?
Aller de l'avant en conservant tout ce que Malgoire a créé. Musicalement, humainement, cette envie universelle de venir jouer avec La Grande Écurie et la Chambre du Roy plutôt que dans toutes les riches institutions modernes à travers le monde. Avec des changements d'organisation à mener car La Grande Écurie n'est plus seule à l'atelier : elle coexiste avec Les Siècles (ensemble de François-Xavier Roth, nouveau Directeur de l'Atelier Lyrique) et d'autres ensembles invités. La Grande Écurie et la Chambre du Roy a toujours su trouver sa place dans le répertoire en préservant l'immense diversité de son catalogue qui représente le chemin parcouru par Jean-Claude Malgoire depuis le médiéval et au-delà jusqu'à Debussy et au contemporain.
Notre interview avec François-Xavier Roth, nouveau Directeur de l'Atelier Lyrique de Tourcoing
Comment avez-vous accueilli la nomination de votre ancien camarade de conservatoire flûtiste, François-Xavier Roth, à la tête de l'Atelier ?
Nos nominations conjointes sont une très belle chose car nous avons tous trois (avec Malgoire) cette gourmandise de la diversité intègre, dans la liberté. De quoi marcher fièrement dans ses pas. Les prochaines saisons proposeront donc tout ce qui a fait la marque de fabrique de La Grande Écurie, tout en poursuivant le parcours, avec Bach, Mendelssohn, Rossini, Britten. Les valeurs sûres et l'exploration de nouveaux horizons.
Comment font les musiciens de La Grande Écurie et la Chambre du Roy (et vous, de fait) pour jouer les différentes formes de leur instrument à travers l'histoire ?
C'est une question de capacité et de volonté également à tout point de vue. Cela rappelle et prouve que ce métier est une passion, un courage et un investissement (non seulement en terme de temps de travail car il faut acquérir et entretenir toutes les techniques, mais il s'agit également d'investir dans un très onéreux parc d'instruments à travers les époques). C'est lié à l'envie de comprendre, par les instruments, l'évolution de l'histoire de la musique, des sonorités, des techniques, des cultures. C'est une curiosité et une aventure. Je compare volontiers cela au fait de parler plusieurs langues et je me promets d'en parler un jour à un neurologue, je suis prêt à me soumettre à des IRM pour examiner les influences sur le cerveau.
Quelle coïncidence frappante, François-Xavier Roth, nous parlait lui aussi de ces liens entre cerveau et musique sur le plan médical !
Absolument, les connexions entre la musique, le corps et le cerveau sont d'une richesse infinie que nous soupçonnons à peine. On soigne avec la musique, elle nous développe et nourrit. Je souscris absolument à l'idée selon laquelle la musique appartient à nos sens et aux besoins fondamentaux. La musique est en tout être humain et nul n'a besoin de l'apprendre pour en ressentir le besoin absolu et l'envie.
Ce qui me paraît certain est que notre société peut ensuite décider d'étouffer ou d'encourager ce besoin naturel de musique. Nous ne sommes pas dans la meilleure veine actuellement car la musique est considérée comme une possibilité plutôt que comme un essentiel : on le voit dans l'apprentissage, elle reste de l'ordre du superflu. Pourtant toutes les études montrent comment elle met en action toutes les zones du cerveau. Rien n'est plus riche que l'écoute musicale, active ou passive pour nous enrichir intellectuellement et sensoriellement.
Vous aurez un très bel outil avec La Grande Écurie et la Chambre du Roy, qui entretient des programmes pédagogiques. Avez-vous déjà des projets de transmission, notamment sur le territoire ?
Absolument, il faut amener la musique là où elle ne va pas et là où sont les gens qui ne peuvent se déplacer à sa rencontre. Je souffre de ne pas jouer pour une assez grande diversité de catégories sociales. Je ne prône pas un partage non élitiste mais un élitisme pour tous : ne pas niveler vers le bas mais élever tout le monde. Tout un chacun a envie et besoin de musique mais parmi les gens en difficulté pécuniaire, éducative aussi, beaucoup n'ont pas reçu la perspective de ce que peut leur apporter la musique.
Nous voulons ainsi aller dans les hôpitaux, ou jouer pour les enfants car il faut s'adresser très tôt à eux. Je suis tout à fait en faveur des concerts pour les nourrissons et je pense qu'il faut particulièrement travailler avec les enfants entre 4 et 7 ans car ils n'ont pas encore nourri les a priori sur la musique (selon lesquels la musique classique serait compliquée, élitiste) : ils sont simplement curieux et beaucoup manifestent l'envie de faire de la musique. Ensuite, vers la pré-adolescence, c'est plus compliqué du fait de phénomènes de repli, culturels, sociologiques : un rejet par principe puisque la musique classique a été identifiée à un corps social, à une autorité. Il faut donc nourrir les oreilles de musique avant. Les prisons sont importantes aussi : j'ai chaque fois été bouleversé en voyant chez les détenus le plaisir, le développement de l'imaginaire que permet la musique. Les personnes privées de liberté ou de santé se rendent compte à quel point la musique est essentielle. Il est aussi enrichissant d'aller vers les gens en détresse psychologique et psychiatrique. Enfin, on pense peu à faire des concerts pour les sans-abris, car on croit que ceux qui n'ont pas de toit et ont des difficultés à se nourrir n'auraient dès lors pas d'autres besoins que ceux considérés par la société comme basiques. On leur interdit donc le "luxe superflu" de la musique. Pourtant, c'est ce "superflu" qui fait de nous des êtres humains.
Comment allez-vous organiser votre travail entre la direction de La Grande Écurie et la Chambre du Roy d'une part, et celle de votre propre ensemble d'autre part ?
L'ensemble que j'ai fondé, Les Ambassadeurs, est une petite équipe en-dehors des institutions et nous avons de beaux projets notamment liés à Rameau et au grand baroque français (qui ne sera bien entendu pas exclu de La Grande Écurie et la Chambre du Roy). Bien entendu, il est hors de question d'abandonner ce bébé pour bénéficier d'un projet ancré dans un lieu, un nom et une réputation, pour asseoir une carrière sans faire d'effort ! J'en suis incapable et ce ne serait œuvrer pour aucun de ces deux ensembles : il y a d'ailleurs des musiciens communs entre les deux et nous nous retrouvons donc toujours avec plaisir et naturel. Les deux aventures avanceront en développant le meilleur d'elles-mêmes.
Comment avez-vous fait le passage d'interprète à chef d'orchestre et à Directeur musical ?
En réalité Directeur musical et chef vont de pair dans la vision à long terme et je le fais déjà avec Les Ambassadeurs. Le fait est que je suis venu à l'envie de musique pour devenir chef d'orchestre. Mes parents m'ont permis de voir de la musique à la télévision et la figure du chef m'intriguait, me fascinait, mais durant les 15 premières années de mon apprentissage musical je n'ai plus du tout pensé à cela. Je ne suis pas guidé à la direction par une quelconque ambition, ou volonté hiérarchique. C'est une conséquence des hasards musicaux. Il se trouve que j'étais invité par un ensemble en Pologne pour jouer des concertos. Il n'y avait pas de chef et le premier violon n'avait pas l'ambition de diriger, alors que j'avais une vision globale de cette musique (les concertos de Carl Philipp Emanuel Bach en l'occurrence). J'ai donc animé l'ensemble et, en répétitions, plutôt que d'interrompre l'orchestre pour expliquer, il était plus direct de montrer le tempo, les intentions et les phrasés par des gestes assez spontanés. Il se trouve que les musiciens les ont trouvés précis et inspirants, ils m'ont donc demandé de le faire au concert et de le faire aussi pour les Symphonies, et puis ils m'ont invité de nouveau à d'autres projets où je jouais aussi, et puis à des projets où je venais uniquement diriger.
Je le dis donc tout net, je n'ai pas fait de classe de direction d'orchestre, ou plutôt : chaque fois que je dirige, je prends une classe de direction. J'ai le regard extérieur et formateur des musiciens (qui sont vite devenus des amis) et ont à cœur de travailler avec moi. Je travaille à voir ce qui fonctionne, à comprendre d'où vient ce qui ne fonctionne pas. Cela peut venir de soi, de l'Orchestre, de soi par l'Orchestre : la clarté des gestes ne fait pas tout, comme la psychologie.
J'ai la chance de ne jamais avoir été parachuté trop tôt dans des projets. J'ai développé mon répertoire petit à petit, en faisant des airs de concerts, avant l'oratorio, puis la version de concert. Enfin l'Opéra et j'en suis ainsi revenu à mes envies d'enfance de devenir chef d'orchestre. Et je ne m'arrêterai pas de jouer de la flûte, qui est ma voix. Justement, je suis revenu à mes premières amours pour mon prochain opus discographique : « Soir Païen », un florilège de chansons impressionnistes pour voix, flûte et piano (Debussy, Caplet, Ibert, Emmanuel, Koechlin, Roussel, Delage, Gaubert, Hüe) en compagnie d’Anna Reinhold, Sabine Devieilhe et Emmanuel Olivier, qui paraîtra en mars chez Aparté. Ce disque sera dédié à la mémoire de Jean-Claude Malgoire car nous avons tous les quatre été liés à lui et lui devons beaucoup.