Julie Fuchs : « Je fais mon grand retour en France »
Julie Fuchs, vous vous apprêtez à chanter Zerlina dans la production de Jean-François Sivadier de Don Giovanni à Aix-en-Provence : comment ressentez-vous l’ambiance de ce festival ?
J’ai vu la Première de Pinocchio (à réserver ici pour Aix et là pour Dijon) et des extraits des autres opéras en répétition. J’irai probablement en voir plus après la Première de Don Giovanni. Il y a toujours une grande effervescence. Faire partie de la programmation est un grand bonheur : il y a une vraie émulation. C’est un privilège !
Pouvez-vous nous décrire la mise en scène ?
Le travail de Jean-François Sivadier se fait dans la joie, dans le jeu et dans l’instant. Il travaille beaucoup sur le théâtre dans le théâtre. Pour lui, le chanteur doit devenir le rôle qu’il interprète : je ressens du coup cette sincérité et cette simplicité parmi mes collègues.
Quels seront les traits saillants de la Zerlina que vous interprétez ?
Zerlina est le seul personnage qui ne fait pas que subir Don Giovanni : elle est forte et malicieuse, et elle joue avec lui. Elle n’a pas peur de son désir. Elle finit tout de même déçue par ce séducteur. Mon Masetto [Krzysztof Baczyk, ndlr] est un garçon attendrissant, un Masetto de luxe : il est très grand, avec une voix magnifique. C’est un vrai couple, que j’adore : parmi tous les couples de l'oeuvre, c’est celui qui est le plus solide, le plus vrai. Même s’ils se disputent, il y a indéniablement beaucoup d’amour entre eux. C’est d’ailleurs ce qui fait que la relation entre Zerlina et Don Giovanni est intéressante : bien qu’elle soit amoureuse, elle ne résiste pas lorsqu’un séducteur se présente.
Julie Fuchs (© DR)
L’Enlèvement au Sérail il y a deux ans et Cosi fan tutte l’an dernier à Aix reposaient sur des concepts de mise en scène très marqués : êtes-vous prévenue à l’avance lorsqu’une mise en scène adopte de tels partis-pris polémiques ?
Le chanteur est sur le devant de la scène, mais il fait ce qui lui est demandé
Pas du tout, c’est notre grand drame ! Le chanteur est sur le devant de la scène, mais il fait ce qui lui est demandé. Enfin, la plupart du temps... On peut proposer des choses et discuter, mais c’est le metteur en scène qui dirige et qui décide. Il en va de même avec le directeur musical. Il y a simplement des clauses de nudité : je vais faire une Poppée à Zürich avec Calixto Bieito, j’ai donc demandé à être prévenue à l’avance si je dois me dénuder, afin d’aller à la salle de sport ! C’est aussi le travail de l’agent d’inclure des éventuelles précautions dans le contrat. Mais il y a toujours une clause qui indique que l’artiste s’engage à respecter tout ce qui lui est demandé en termes de mise en scène. Nous sommes donc tous très fébriles le premier jour des répétitions, lorsque le metteur en scène présente son projet [c’est d’ailleurs le moment que la metteure en scène Mariame Clément disait redouter pardessus tout, dans sa récente interview à Ôlyrix à lire ici, ndlr].
Quelles sont vos attaches avec le Festival d’Aix-en-Provence ?
C’est un endroit et un moment qui compte beaucoup pour moi. Cela reste ma région car je suis d’Avignon. J’y ai fait l’Académie Mozart en 2009. Cela a été un moment important de ma carrière : j’avais été marquée par le brassage de nationalités, de techniques, de sensibilités des jeunes chanteurs présents. J’avais accès aux répétitions et je voyais les gens travailler. J’étais impliquée dans la vie du Festival. J’ai fait Acis et Galatée en 2011. Puis Les Boréades en 2014 en version concert. C'est un très bon souvenir, tant pour des raisons personnelles que professionnelles. J’y retourne presque chaque année pour voir les spectacles et les copains : on se côtoie beaucoup pendant les productions. Nous nous retrouvons dans le magnifique jardin Campra, dans un esprit de famille. C’est merveilleux : c’est aussi pour ça que je fais ce métier.
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Plus tôt dans la saison, vous avez interprété le personnage d’Esther dans Trompe-la-mort de Luca Francesconi à l’Opéra de Paris. Comment décririez-vous votre rôle vocalement ?
C’était un grand écart vocal : je commençais avec des do du bas de la portée et je terminais avec des contre-ré. Les graves étaient très sollicités au début et l’aigu plutôt à la fin de l’ouvrage. Il s’agit d’une vocalité avec de grandes et belles lignes, finalement assez lyrique, ce qui n’est pas le cas de tous les rôles. C’est également le cas de Lucien, d’ailleurs [lire ici l'argument de l'œuvre résumé par Laurent Naouri]. Nous avions des moments doux et tendre : c’était assez agréable à chanter, même si la prosodie et le rythme du texte pouvaient être assez déstructurés. La fin était très virtuose, proche de la folie, lorsque le fantôme d’Esther revient déclamer la lettre que Lucien est en train de lire.
Trompe-la-mort de Luca Francesconi à l’Opéra de Paris (© Kurt van der Elst)
Quel bilan faites-vous de cette création ?
Nous avons réussi à construire la tension dramatique du début à la fin, ce qui n’est pas facile car la musique dispose de plusieurs dimensions. Le livret est fait de courtes scènes, avec de nombreux flash-back : garder une énergie sur l’ensemble de la représentation était donc difficile. Il est plus aisé de construire cette tension lorsqu’il y a un long air, suivi d'un duo puis d'un final, par exemple. Nous avons senti une grande qualité d’écoute et de silence au sein du public.
Vous arrive-t-il de retravailler une production en cours entre deux représentations ?
Oui, mais ça n’est plus un travail de recherche : j’affine et je me remets la partition en tête. C’est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’une partition complexe.
Quel regard portez-vous sur la création contemporaine ?
La musique contemporaine peut être appréciée pour les émotions qu'elle procure
J’ai été très heureuse lorsqu’on m’a proposé cette production de Trompe-la-mort. C’est une vraie chance de pouvoir créer un rôle et de participer au processus de création d’un opéra. J’ai déjà fait de la musique contemporaine, notamment avec Le Balcon, mais je n’avais jusque-là jamais créé un rôle. Je trouve formidable que des compositeurs s’emparent de livres écrits il y a des siècles : j’aime ce mélange des époques qui me semble nécessaire et que l’on retrouve très bien dans la mise en scène de Guy Cassiers. Après, dans la musique contemporaine comme dans toutes sortes de musiques, des choses sont à prendre et d'autres à laisser. À titre personnel, je suis tout ce que fait Le Balcon, y compris la récente création d'Arthur Lavandier [Le Premier meurtre, dont vous trouverez ici le compte-rendu, ndlr] ou encore La Métamorphose l’an dernier à l’Athénée [compte-rendu à retrouver ici, ndlr
Au mois de mai, vous avez pris le rôle de Leïla dans Les Pêcheurs de perles en concert au TCE : est-ce un rôle que vous prévoyez de reprendre dans une version mise en scène ?
Cela n’est pas planifié : il en a été question mais je n’étais pas disponible. Si cela se présentait, je serais heureuse d’accepter.
Les pêcheurs de perles en version concert au Théâtre des Champs-Elysées (© Ugo Ponte / ONL)
Vouliez-vous prendre le rôle d’abord en concert ?
Je sais que beaucoup de chanteurs aiment prendre les rôles en concert d’abord. En l’occurrence, il s’agit là d’un hasard. Il s'agissait d'un concert au TCE, retransmis sur Mezzo et sur France Musique : ce n'était pas sans pression ! Il aurait été pour le coup moins exposé de le faire mis en scène sur une petite scène étrangère. Et puis la scène est rarement un frein à ma vocalité. Au contraire, être mise en scène m’aide en général beaucoup vocalement : je n’ai rien contre les prises de rôle dans des versions scéniques.
Quelle est l’importance de la partition dans une version concertante ?
Contrairement aux productions mises en scène, il y a peu de répétitions lorsqu’il s’agit d’une version concert. Il faut donc être prêt à être efficace immédiatement. Ceci dit, cette réactivité s'applique également en production scénique ! Je ne fais pas de travail spécifique sur le par cœur, sauf lorsque la partition doit être apprise rapidement : le simple fait de travailler la partition sous toutes ses coutures me permet de la mémoriser. Durant le concert, le but est de se détacher de la partition mais le fait de l’avoir est sécurisant : mon trac me vient principalement du par cœur. Dans mes expériences à l’étranger, j’ai d’ailleurs presque toujours eu un souffleur, ce qui est merveilleux !
En quoi consiste son rôle ?
En général, le souffleur est là à chaque répétition. Selon les mises en scène, il est caché dans la boîte au centre de la scène ou bien dans la fosse. Il donne tous les départs, et peut même indiquer le premier mot de chaque réplique afin de nous permettre d’être dans la répétition en évitant les trous de mémoire et les pertes de temps que cela peut générer. Sur certaines partitions complexes, c’est extrêmement utile et très impressionnant. Il est également un allié pour les chanteurs dans l'équipe musicale d'une manière générale. J'ai beaucoup d'estime pour cette profession.
Quel type d’indications inscrivez-vous sur vos partitions au cours des répétitions ?
Par exemple, je mets des petits cœurs, pour indiquer qu’il faut chanter les notes tendrement, qu’il doit y avoir du plaisir dans la phrase et que je dois oublier les notes pour me concentrer sur l’intention. J’inscris des soleils, des nuages, des flèches vers le haut ou vers le bas. Ces dernières peuvent soit indiquer une attention particulière à porter sur l'intonation, soit une attitude corporelle, par exemple lorsqu’il faut aller contre la ligne vocale et se redresser tandis que les notes baissent. Ma professeure m’a par exemple donné l'image d'un chêne qui chante : j’ai donc dessiné un chêne ! Je note aussi des éléments de traduction ou des sous-textes sur les rôles, c'est-à-dire ce que veulent dire pour moi, avec mon langage, les mots que je prononce. Sur les partitions de mélodie et de Lied, nous inscrivons avec Alphonse Cemin, le pianiste qui m’accompagne, un sous-titre à chaque mélodie. Nous nous rappelons ainsi instantanément l’ambiance que nous souhaitons pour chaque pièce, ce que cela représente pour nous.
Vous reviendrez à Paris en octobre 2017 pour Falstaff dans la mise en scène de Dominique Pitoiset. Il s’agira de vos débuts à Bastille : qu’est-ce que cela représente pour vous ?
J’ai en effet beaucoup travaillé à Zürich ces derniers temps, mais je fais maintenant mon grand retour en France. J’ai uniquement chanté à Bastille pour une audition. J’avais trouvé que la salle sonnait très bien, c’était très agréable d’y chanter, même si Garnier a une magie et une chaleur plus caractéristique. Je suis contente de faire ma première Nannetta dans une équipe qui a l’air super, sous la direction musicale de Fabio Luisi que je connais déjà de Zürich.
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Il s’agit de vos premiers pas dans le répertoire verdien : y avez-vous des ambitions ?
En effet, je n’avais pas réalisé cela. Rien d’autre n’est prévu à ce stade dans ce répertoire, même si je n’ai rien contre ! Je ne planifie pas trop ma carrière, ou plutôt je commence seulement à le faire. Il faut dire qu’on ne me propose que des belles choses ! Je fais des choix : on m’a proposé les quatre femmes des Contes d’Hoffmann. J’ai fait le choix de refuser car cela me semblait trop tôt. J’ai le temps d’y arriver, si j’y arrive un jour. Il me semble logique de faire Zerlina avant Donna Anna [dans Don Giovanni, ndlr], tout comme il est logique de faire Nannetta avant Gilda [dans Rigoletto, ndlr] ou La Traviata. Et je veux avoir des rêves encore longtemps !
En fin d’année, vous chanterez Adèle dans Le Comte Ory de Rossini à l’Opéra Comique (avant Versailles) : une autre prise de rôle. Quelles sont vos attaches avec cette maison ?
J’y ai fait ma première production professionnelle, Amadis de Gaule de Bach, avec Jérémie Rhorer, déjà. Puis il y a eu Ciboulette qui a été une magnifique expérience. J’avais prévu des concerts que j’avais dû annuler car j’étais malade : y revenir me permettra de conjurer ces annulations. Je suis ravie de retrouver cette maison qui est magique !
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Allez-vous continuer à explorer le répertoire rossinien après cette production ?
J’espère car ce répertoire fait beaucoup de bien à mon moral et à ma voix. Il y aura d’ailleurs du Rossini dans mon prochain disque, que nous enregistrerons l’année prochaine. Il y aura aussi une Fiorilla du Turc en Italie dans les saisons à venir. J’ai fait la Comtesse de Folleville dans Le Voyage à Reims il y a deux ans à Zürich dans une mise en scène de Christoph Marthaler et sous la direction de Daniele Rustioni. J’ai adoré cette production et chanter cette œuvre, cette folie qui donne un sens à toutes ces vocalises, que je retrouverai sans doute avec Adèle dans Le Comte Ory. Cela me permet de lier mon besoin de faire du théâtre et du chant. Le jeu théâtral me fascine : il nécessite de sortir du réel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je monte sur scène. En même temps, ce qui est fou, c’est que rien ne marche si tout n’est pas vrai. C’est une recherche constante.
En dehors des rôles de Nannetta dans Falstaff et d’Adèle dans Le Comte Ory, prévoyez-vous d’autres prises de rôles ?
En début de saison, je prendrai à Madrid le rôle de Giunia dans Lucio Silla de Mozart. Je vais aussi probablement faire Pamina [dans La Flûte enchantée, ndlr] à Hambourg. Cela reste à confirmer car il n’y aura que trois jours de répétition, ce qui fait peu, même si je connais déjà les parties musicales. Pamina est pour l'instant un rendez-vous très souvent proposé (cinq ou six fois je crois) mais qui n'a jamais pu se concrétiser dans mon agenda. Il serait temps que nous nous rencontrions ! Enfin, je chanterai Poppea dans Le Couronnement de Poppée. Cela me fera donc cinq prises de rôles la saison prochaine.
Vous avez fait partie de la troupe de l’Opéra de Zurich : qu’est-ce qui vous a convaincu d’intégrer cet ensemble ?
Ces choses-là se décident très à l’avance. La proposition m’a été faite trois ans avant que j’intègre réellement la troupe. J’y suis restée deux ans. Depuis, j’y retourne environ deux fois par saison en tant qu’invitée. À cette époque, j’étais contente sur le plan personnel de prendre de la distance avec la France et de partir à l’étranger. Ils m’ont proposé des rôles parfaits pour moi, comme Morgana dans l’Alcina par Christof Loy avec Cecilia Bartoli [qui sera repris la saison prochaine au TCE, ndlr]. J'ai toujours aimé me lancer dans l'inconnu. À ce moment-là, j’espérais aussi apprendre l’allemand, ce qui n’a pas été le cas car ils parlent un suisse-allemand assez éloigné de l’allemand traditionnel, et que tout le monde adore me parler français là-bas !
Les Victoires, Ciboulette et Operalia sont intervenus juste avant mon départ. Partir en troupe m’a préservée de la pression. Par ailleurs, Zürich a une grande réputation, mais c’est en fait une maison à taille humaine, avec un esprit de troupe. Nous déjeunions tous ensemble avec les danseurs et l’orchestre. Nous connaissions les femmes de ménage par leur prénom. Cette ambiance fait du bien. Et puis travailler au milieu des montagnes et faire un plongeon dans le lac entre deux répétitions, c'est quand même un grand bonheur. Cette période a aussi permis de magnifiques rencontres entre autres avec des metteurs en scène, qui continuera d’apporter de nouveaux projets dans les saisons à venir. Le fait de pouvoir discuter les yeux dans les yeux avec le directeur de casting, afin de déterminer ce qui est bon pour moi et pour la maison est un réel avantage. J’ai déjà une nouvelle production planifiée chaque année pour les quatre prochaines saisons. Ils m’en proposent plus, mais je ne veux pas me fermer à d’autres opportunités. C’est donc là un grand dilemme. Il faut faire ces choix par rapport aux lieux dans lesquels j’ai envie de chanter, aux villes dans lesquelles j’ai envie de passer trois mois, aux rôles que j’ai envie d’aborder, aux metteurs en scène avec lesquels j’ai envie de collaborer, etc.
Julie Fuchs (© DR)
Concrètement, quels sont ces lieux, ces personnes et ces rôles que vous souhaitez croiser dans les prochaines années ?
Le trio rôle, metteur en scène, chef d’orchestre est primordial dans mes choix
Concernant les lieux, le climat et l’ambiance dans lesquels j’ai déjà chanté comptent beaucoup par exemple : je privilégie les lieux où je me suis sentie bien. Le trio rôle, metteur en scène, chef d’orchestre est également primordial. Ainsi, un rôle très tentant mais avec un metteur en scène avec lequel je n’aime pas travailler n'aura pas plus de poids qu’un rôle moins attractif avec un metteur en scène que j’adore : je veux prendre du plaisir à faire ce que je fais et participer à un processus de création qui me convienne. Bien sûr, on ne choisit pas toujours : quand une belle maison propose un beau rôle, on ne fait pas la fine bouche !
Vous avez reçu de nombreux et prestigieux prix (premier prix du CNSM, Révélation puis Artiste lyrique des Victoires de la musique, second prix d’Operalia) : quel impact ont-ils eu sur votre carrière ?
Les différents prix n’ont pas la même valeur. Par exemple, dans la catégorie des Révélations des Victoires de la musique, c’est le public qui vote : c’est donc un prix extrêmement utile car on se souvient des artistes nommés, qu’ils aient gagné ou non. Ce prix m’a apporté une réelle exposition. C’est très différent pour la catégorie de l’Artiste lyrique, car c’est un collège de professionnels qui vote : si on est dans la liste, c’est déjà que ces gens-là nous connaissaient et nous appréciaient avant. Mais cela marque tout de même la reconnaissance du travail effectué dans l’année précédente. Operalia a un grand impact car le jury est composé de dix directeurs de théâtres internationaux, qui ne nous connaissent pas forcément. Après la finale, par exemple, Dominique Meyer [le Directeur de l’Opéra d’Etat de Vienne, ndlr
Quels objectifs vous fixez-vous pour les prochaines saisons ?
Les rôles qui me font le plus envie sont Cléopâtre [dans Jules César de Haendel, ndlr], Mélisande, Manon, Traviata, Blanche de la Force [dans Les Dialogues des Carmélites de Poulenc, ndlr] et Lulu. J’attends les deux premiers dès que possible. Les autres seraient plus à un horizon de cinq ans. Ce sont des personnages incroyables, pour des raisons différentes. Ils sont complexes, ce qui me plaît. Concernant Les Dialogues, c’est un opéra qui me touche énormément. Le sujet de la foi est très peu abordé à l’opéra. Ce n’est d’ailleurs pas la foi en Dieu qui me fascine mais cet élan mystique que rien ne peut empêcher. D’ailleurs, Esther, dans Trompe-la-mort, développe sa foi en même temps que son amour pour Lucien.
Sur quels critères jugez-vous le succès d’une saison ?
Je juge une saison sur mon épanouissement de chanteuse et de femme
J’ai refait ma biographie il y a peu, et j’ai réalisé en faisant cet exercice que j’avais fait beaucoup de choses. Par ailleurs, je suis suivie par une réalisatrice de documentaire avec qui je fais un bilan chaque année. Je fais donc ce bilan par la force des choses. Je juge la saison d’abord sur mon épanouissement de chanteuse et de femme, ainsi que sur ma sensation d’avoir progressé, évolué. Je regarde les rencontres que j’ai faites et j’identifie celles auxquelles je souhaite donner un avenir. Je réfléchis aux rôles qui m’ont fait du bien et à ceux qui m’ont posé des soucis. Enfin, je m’attache à mon rythme de vie et à la manière dont j’ai géré le stress, en essayant de réfléchir à la manière dont je peux mieux gérer ces aspects.
Quel est l’aspect le plus difficile de votre métier ?
À mon sens, c’est de gérer le rythme de travail : c’est ce à quoi je fais beaucoup attention actuellement. Cela passe par dire non souvent, ce qui est très difficile car j’aimerais tout faire. Mais une fois qu’on a goûté au plaisir de prendre le temps de préparer un rôle et de faire les choses sereinement, on ne veut plus accepter le stress d’un emploi du temps surchargé. Je fais attention à garder du temps entre les productions lorsque c’est possible. Ce ne sera par exemple pas le cas en début de saison prochaine car Falstaff s’est rajouté après que j’aie accepté mes autres engagements, mais je trouvais dommage de ne pas revenir à l’Opéra de Paris. J’ai donc accepté, mais je leur en veux un peu de me l’avoir proposé si tard ! De même, j’adore la musique baroque, mais le risque est de se faire enfermer dans ce répertoire, car il est commode, surtout pour les maisons étrangères, de m’y utiliser car les spécialistes de ces œuvres sont rares. J’ai donc dû freiner les demandes sur ce répertoire.
Votre carrière vous a conduite dans des univers autres que l’opéra, comme votre quintett « Il en manque un pour faire un sextuor », Björk, du jazz (Giovanni Mirabassi ou Paco Seri) : ces à-côtés sont-ils importants pour vous ?
Il semblerait ! L’opéra est arrivé en dernier. J’ai commencé par chanter dans un groupe, puis une chorale, puis avec ce quintette vocal a capella dans les rues d’Avignon. Comme les répétitions avec ma chorale s’arrêtaient pendant l’été, nous avons continué à chanter dans la rue pendant le Festival d’Avignon. Nous passions le bac, à l'époque, et nous étions toujours les mêmes cinq personnes : c'est comme cela que nous est venue l'idée de monter un quintette. Et puis des propriétaires d’hôtels nous ont invités à chanter dans leur établissement et nous avons beaucoup chanté. J’ai adoré chanter dans les rues, même si cela n’a pas duré longtemps. C’est ainsi que j’ai découvert la technique lyrique : je me fatiguais et je manquais d’entraînement.
Aimeriez-vous garder une place dans votre emploi du temps pour ces autres musiques ?
J’aimerais, mais c’est difficile. Cela fait douze ans que je travaille ma voix de soprano. Quand je reviens à la chanson, je sens que c’est un autre mécanisme : je ne veux pas forcer. Il y a quelques mois, j’ai enregistré un disque d’hommage à Barbara : c’est très difficile de passer de l’un à l’autre.
Quel est le rôle qui vous a posé le plus de problèmes ?
C’est assez paradoxal, car le rôle qui m’a le plus mené la vie dure est aussi celui que j’ai préféré faire, et l’un de ceux que je sers le mieux à mon sens. Il s’agit de Marie dans La Fille du régiment. D’ailleurs, lorsque je l’ai fait à Vienne, qui n’était pourtant pas ma prise de rôle, j’ai dû beaucoup travailler à nouveau car la mise en scène de Laurent Pelly est extrêmement sportive. Les soirs du premier jour de répétition, je me demandais comment j’allais tenir. Et puis le troisième jour, l'assistante m’a rassurée en me disant que je m’en sortais magnifiquement et que toutes les interprètes du rôle souffraient dès le premier jour. La première scène est extrêmement fatigante. Natalie Dessay [qui a créé la mise en scène, ndlr