Véronique Gens, Reine de Chypre et Castafiore : « On sort les plumes et les diamants ! »
Vous serez à l'affiche de La Reine de Chypre, opéra de Jacques-Fromental Halévy, ce mercredi 7 juin au TCE (réservez vite vos places ici). Pouvez-vous nous parler de votre travail sur cette œuvre méconnue ?
Je suis toujours très curieuse de ces redécouvertes. La vie est drôle car j'ai fait ce travail il y a 25 ans avec le CMBV. C'est tellement excitant. La grande liberté pour l'interprétation de ce personnage et plus généralement pour les projets du Palazzetto Bru Zane tient à ce qu'il n'y a pas de référence. Il y a en plus un contexte historique et politique très fort, des conflits, des amours interdites.
La Reine de Chypre, c'est la grosse cavalerie, le gros chœur, il faut en mettre plein la vue. Il me tarde d'accomplir le travail orchestral, c'est déjà tant de plaisir toute seule dans ma chambre.
Comment se déroule une collaboration avec Hervé Niquet ?
En 1986 déjà, nous étions choristes ensemble dans Atys (Lully). On a fait des tournées avec les Arts Flo pendant des années. Se retrouver pour ces projets est très rassurant. Il y a toujours une incertitude dans le travail avec un nouveau chef, mais avec Hervé je sais ce que j'attends de lui, je sais qu'il y aura un côté allant, dépoussiéré et il sait ce que je sais faire.
Vous ouvrirez la saison 2017/2018 à l'Opéra de Paris avec La Veuve joyeuse de Franz Lehár (à réserver ici) : comment passe-t-on à l'opérette autrichienne ?
Ça fait du bien de laisser au placard toutes les tragédiennes désespérées ! Ceci dit, cette veuve n'est pas si joyeuse, elle a de grands moments de mélancolie. J'ai déjà chanté cette œuvre à Lyon, mais en français. C'est donc un grand saut dans le vide, que j'attends avec impatience. Je suis ravie qu'il y ait 15 spectacles.
Comment travaillez-vous le rôle d'Hanna Glawari ?
Avec l'allemand que je ne parle pas naturellement. La difficulté tient à ce que je connais la version française, c'est très difficile de changer les paroles sur des airs que je connais. Je ne serai pas dans des chaussons, notamment face à Thomas Hampson que j'admire depuis longtemps.
Vous serez rassurée par l'Opéra de Paris, où vous êtes une habituée.
Je suis plutôt habituée à Garnier : je n'ai chanté que Don Giovanni dans cette grande salle de Bastille.
Est-ce que cela change quelque chose dans votre projection vocale ?
Non, il faut surtout chanter comme d'habitude, ne rien changer.
Vous serez également dans Faust de Gounod aux côtés de Jean-François Borras le 14 juin 2018 au TCE.
On sort les plumes et les diamants (rires) ! C'est le répertoire dans lequel on ne m'attend pas et c'est très bien. J'ai cette image de tragédienne mais je ne suis pas comme ça dans la vie. Pour cette production, le contexte est très spécial et moi chantant l'air des bijoux, ce sera différent de tout ce qui a été entendu. Ce n'est pas un but en soi d'être différent, mais cette version le sera.
La mise en scène des Dialogues des carmélites de Poulenc par Olivier Py créée il y a quatre ans revient au Théâtre des Champs-Élysées en février 2018, quel souvenir en gardez-vous ?
Je me souviens avoir été en larmes tous les soirs. Ces femmes ont existé, elles ont été tellement courageuses, leur destin est très touchant. Ce sont des œuvres qui marquent profondément. On ne va pas boire un coup après, on n'en sort pas indemne. Quand on ne parle que de mourir et de se sacrifier pendant deux mois, qu'on est seule dans son appartement à l'étranger, il faut passer à autre chose. Quand tout s'arrête, c'est bienvenu !
Je ne me force pas, je ne peux simplement pas faire autrement que de mettre toute mon émotion. Il suffit de lire le texte. C'est la difficulté : être désespérée mais continuer à chanter.
Comme cette saison, lorsque vous avez porté une Iphigénie touchante et meurtrie à Garnier.
Absolument, et je m'identifie tellement à Iphigénie, mais il fallait rester extrêmement consciente, surtout à 440 Hz (diapason moderne, très aigu par rapport au diapason en musique ancienne).
La mise en scène de Warlikowski qui avait fait scandale en 2008 a été assez bien accueillie pour cette reprise, qu'en avez-vous pensé ?
Les gens se sont habitués, ils ont vu bien pire depuis ! C'était génial, j'ai beaucoup aimé cette approche très intéressante et Warlikowski est formidable, très attachant. J'étais prête à faire tout ce qu'il demandait parce qu'il était convainquant. Je ne suis pas quelqu'un d'embêtant mais si je ne suis pas convaincue c'est impossible.
Vous avez également ému dans la belle redécouverte à Versailles : Proserpine de Saint-Saëns. Comment cette production s'est-elle déroulée ?
Ces projets entre Bru Zane et Versailles sont devenus une belle habitude. Nous avons redécouvert ce fameux trio entre les personnages, comme un combat de gladiateurs à coups de contre-si. Je découvre aussi une facilité dans mes notes aiguës, avec une écriture aussi vocale, agréable jusqu'aux limites de la tessiture.
Vous avez fait le chemin du baroque à Mélisande, comme Patricia Petibon en ce moment, comment cela s'est-il déroulé ?
Musicalement, ce n'était pas difficile et j'aimais beaucoup l'interpréter, parce que Mélisande ne chante pas, elle parle. Mais j'ai eu beaucoup de mal à aimer le personnage. Nous n'avons pas beaucoup d'affinités, dès qu'elle disait oui, j'avais envie de dire non. Le plus difficile était d'entrer dans sa tête.
Est-ce difficile d'endosser un tel rôle de composition ?
Oui, tout le monde a une image un peu éthérée de Mélisande, un peu fragile, alors que je suis grande et baraquée.
Dans leurs interviews récentes à Ôlyrix, de jeunes artistes telles que Catherine Trottmann, Chiara Skerath ou Lea Desandre vous ont citée en modèle. Avez-vous conscience de ce rôle ?
Absolument pas ! ça m'angoisse (rires). Lorsque des jeunes chanteuses viennent me voir avec admiration, que des gens sont tremblants dans mes master-classes, je n'en reviens pas. Je ne vois pas le temps passer. Tout cela m'émeut beaucoup. Elles sont formidables, elles sont prêtes, bien plus que lorsque j'ai débuté ma carrière.
Vous avez reçu le prix In Honorem de l’Académie Charles Cros en Novembre dernier, pour l'ensemble de votre carrière et notamment votre travail avec Bru Zane, que représente pour vous cette récompense ?
Je ne m'y attendais pas du tout. C'était l'occasion de m'annoncer que je chantais depuis trente ans, mais c'était très agréable d'être ainsi reconnue. C'était aussi un peu angoissant : j'ai encore beaucoup de choses à faire, je ne suis pas encore morte (rires).
La collaboration avec le Palazetto Bru Zane vous mène également à enregistrer de nombreux disques, pourriez-vous nous présenter Visions, votre tout nouvel album ?
Ce disque est composé d'une douzaine d'airs oubliés et variés : Alfred Bruneau, Louis Niedermeyer, Benjamin Godard, Félicien David, Henry Février. C'est ce qui m'intéresse, redonner vie à ce répertoire. Le thème de la vision présente des femmes désespérées, abandonnées, dans un état tragique, de drame absolu. Une pauvre vierge offre son fils en sacrifice, une pauvre nonne est mise au couvent alors qu'elle aime à la folie.
Comment a été choisi ce thème et le répertoire de l'album ?
C'est un développement presque naturel avec un grand orchestre de mes disques Tragédiennes, un thème récurrent au XIXe siècle. C'était aussi un souhait de continuer le travail avec Hervé Niquet et la recherche du Palazetto Bru Zane.
Enregistrer un disque, est-ce une inspiration pour l'opéra ou une respiration en parenthèse ?
C'est une grande angoisse (rires). C'est difficile de s'écouter, d'entendre la différence entre la voix intérieure et celle qui est enregistrée. Il faut également se plonger absolument dans le projet avec une grande endurance vocale pour chanter 6 ou 7 heures par jour. On devient une nonne, on chante, on mange et on va se coucher. Le lendemain, on recommande.
Et qu'en est-il des récitals ?
J'ai beaucoup de chance de faire des récitals, ils sont une composante indispensable d'un chanteur complet, mais c'est un exercice très difficile. Il n'y a pas de perruque, pas de plumes, rien pour vous cacher. Le public ne vient pas voir la veuve joyeuse mais vous voir vous. J'ai la chance d'être très bien accompagnée. Prochainement, grâce au Palazetto Bru Zane, dans cet endroit magnifique que sont les Bouffes du Nord, nous présenterons une musique sublime qui n'a pas toujours bonne presse : les mélodies françaises sont en effet souvent vues comme trop intellectuelles. Ce n'est en fait pas du tout le cas. Ce sera un programme avec des réminiscences de notre disque Néère (qui a reçu un Gramophone Award), avec des pièces inattendues.
Retrouvez prochainement sur Ôlyrix nos comptes-rendus de tous ces spectacles annoncés.