Énigmes complexes
Grand compositeur roumain, Enescu (connu en France avec l'orthographe Georges Enesco) fait la synthèse entre les influences de son pays natal et les traditions françaises et germaniques. Dans son unique opéra Œdipe, basé sur la version sophocléenne du mythe (Œdipe Roi et Œdipe à Colone) et sur un livret d'Edmond Fleg, il alterne des passages « occidentaux » et d'autres plus folkloriques, sur fond d'une multitude d'influences comme Wagner, Debussy ou Honegger. Créé en 1936, Œdipe s'impose rapidement comme l'un des plus grands opéras du XXe siècle.
L’œuvre est originale en ce qu'elle traite de la vie d'Œdipe de sa naissance à sa mort et s'appuie sur cette existence pour délivrer un message humaniste.
Œdipe revient à Thèbes, où les habitants sont harcelés par le sphinx qui tue tous ceux qui ne répondent pas à son énigme. Il se présente devant le monstre ailé et répond correctement, le conduisant dès lors à sa fin ("Je t'attendais").
Voici le livret :
LA SPHINGE (à Œdipe, d'une voix blanche et lointaine)
Je t'attendais.
Aux demeures sans voix de mon rêve éternel,
je t’attendais;
De toutes mes victimes tu seras la plus belle,
je t'attendais.
ŒDIPE
Parle. Interroge. Œdipe a ton secret.
LA SPHINGE
Je suis la Fille du Destin, ta pâle Destinée.
Connais-tu le Destin, Cèdipe, le Destin?
La bête et la poussière, et l'astre au ciel serein sont menés par sa main;
les dieux, même les dieux, s'enchaînent au Destin.
Il brisera la lyre de Phoïbos. Il brisera les flèches d'Artémis.
Il brisera le caducée d'Hermès, la lance d'Athéna.
Déjà, pour accomplir le rêve qu'il poursuit,
Ouranos et Chronos son tombés des étoiles;
et bientôt, pâlissant sous l'étreinte fatale,
à son tour le grand Zeus croulera dans la nuit. (d'une voix blanche)
Et maintenant, réponds, Œdipe, si tu l'oses:
dans l'immense univers, petit par le Destin,
réponds, nomme quelqu'un ou nomme quelque chose,
qui soit plus grand que le Destin!
ŒDIPE (à pleine voix)
L'homme! l'homme!
L'homme est plus fort que le Destin!
LA SPHINGE (avec une ironie terrible)
L'homme est plus fort que le Destin? (Elle est prise des convulsions de l'agonie) (riant)
Ah! ah! ah!
Ah! ah! ah! ah! (sanglotant)
L'homme plus fort que le Destin? (riant)
Ah! ah! ah! (sanglotant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! (d'une voix altérée, qui va en s'affaiblissant)
Vois, je meurs, mon enfant, pour ta honte ou ta gloire. (riant)
Ah! ah! ah (sanglotant)
Ah! ah! ah! (soudain la voix forte, blanche et métallique) L'avenir
te dira, si la Sphinge en mourant, (en tremblant)
pleure de sa défaite, ou rit de sa victoire! (Sa voix défaille subitement. La tête retombe sur la
poitrine) (Elle meurt et s'affaisse derrière le rocher. Le jour est venu.)