Les longs cheveux de Mélisande
Le Prince Golaud rencontre une jeune femme mystérieuse et perdue, Mélisande, et l’épouse. Mais une relation particulière s’instaure entre la jeune femme et le demi-frère de Golaud, Pelléas, éveillant une folle jalousie chez le mari.
Cet air, interprété par la soprano Alison Hagley (Mélisande) et par le ténor Neill Archer (Pelléas), s’inscrit au début de l’acte III. À la fenêtre d’une tour, Mélisande se coiffe, chantant une chanson (« Mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil »). Pelléas passe alors sous la fenêtre et demande à voir ses cheveux dénoués. Il lui annonce son départ le lendemain. Mais Mélisande le convainc de reporter son départ. Soudain, sa longue chevelure se dénoue et retombe jusqu’à Pelléas qui l’embrasse avec passion. Golaud les surprend dans leur jeu et les réprimande (« Holé ! Holé ! ho ! Qui est là ? »).
En voici le livret :
Melisande
(à la fenêtre tandis qu’elle peigne ses cheveux dénoués)
Mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour ;
Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour,
Et tout le long du jour,
Et tout le long du jour.
Saint Daniel et Saint Michel,
Saint Michel et Saint Raphaèl,
Je suis née un dimanche,
Un dimanche à midi...
(Entre Pelléas par le chemin de ronde.)
Pelléas
Holé ! Holé ! ho !
Mélisande
Qui est là ?
Pelléas
Moi, moi, et moi !
Que fais-tu là, à la fenêtre,
en chantant comme un oiseau qui n’est pas d’ici ?
Mélisande
J’arrange mes cheveux pour la nuit...
Pelléas
C’est là ce que je vois sur le mur ?
Je croyais que tu avais de la lumière...
Mélisande
J’ai ouvert la fenêtre ; il fait trop chaud dans la tour...
Il fait beau cette nuit.
Pelléas
Il y a d’innombrables étoiles ; je n’en ai jamais vu autant que ce soir ;
mais la lune est encore sur la mer...
Ne reste pas dans l’ombre, Mélisande, penche-toi un peu,
que je voie tes cheveux dénoués.
Mélisande
Je suis affreuse ainsi...
Pelléas
Oh ! oh ! Mélisande,
Oh ! tu es belle ! Tu es belle ainsi ! Penche-toi !
Penche-toi ! Laisse-moi venir plus près de toi...
Mélisande
Je ne puis pas venir plus près de toi...
Je me penche tant que je peux...
Pelléas
Je ne puis pas monter plus haut...
Donne-moi du moins ta main ce soir avant que je m’en aille...
Je pars demain.
Mélisande
Non, non, non...
Pelléas
Si, si, je pars, je partirai demain... donne-moi ta main,
ta main, ta petite main sur les lèvres...
Mélisande
Je ne te donne pas ma main si tu pars...
Pelléas
Donne, donne, donne...
Mélisande
Tu ne partiras pas ?
Pelléas
J’attendrai, j’attendrai...
Mélisande
Je vois une rose dans les ténèbres...
Pelléas
Où donc ?
Je ne vois que les branches du saule qui dépasse le mur...
Mélisande
Plus bas, plus bas, dans le jardin ; là-bas, dans le vert sombre...
Pelléas
Ce n’est pas une rose...
J’irai voir tout à l’heure, mais donne-moi ta main d’abord ;
d’abord ta main...
Mélisande
Voilà, voilà, je ne puis pencher davantage.
Pelléas
Mes lèvres ne peuvent pas atteindra ta main !
Mélisande
Je ne puis me pencher davantage...
Je suis sur le point de tomber...
Oh ! Oh ! mes cheveux descendent de la tour !
(Sa chevelure se révulse tout à coup tandis qu’elle se pence ainsi, et inonde Pelléas.)
Pelléas
Oh ! oh ! qu’est-ce que c’est ? tes cheveux, tes cheveux descendent vers moi !
Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de la tour !
(moins vite et passionnément contenu)
Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche...
Je les tiens dans le bras, je les mets autour de mon cou...
Je n’ouvrirai plus les mains cette nuit !
Mélisande
Laisse-moi ! laisse-moi ! tu vas me faire tomber !
Pelléas
Non, non, non !
Je n’ai jamais vu de cheveux comme les tiens, Mélisande !
Vois, vois, vois, ils viennent de si haut
et ils m’inondent encore jusqu’au cœur ;
Ils m’inondent encore jusqu’au genoux !
Et ils sont doux, ils sont doux comme s’ils tombaient du ciel !
Je ne vois plus le ciel à travers tes cheveux.
Tu vois, tu vois ? Mes deux mains ne peuvent pas les tenir ;
il y en a jusque sur les branches dy saule...
Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains,
et ils m’aiment, ils m’aiment plus que toi !
Mélisande
Laisse-moi, laisse-moi...
Quelqu’un pourrait venir...
Pelléas
Non, non, non, je ne te délivre pas cette nuit...
Tu es ma prisonnière cette nuit, toute la nuit, toute la nuit...
Mélisande
Pelléas ! Pelléas !
Pelléas
Je les noue, je les noue aux branches du saule...
Tu ne t’en iras plus... tu ne t’en iras plus...
Regarde, regarde, j’embrasse tes cheveux...
Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux...
Tu entends mes baisers le long de tes cheveux ?
Ils montent le long de tes cheveux...
Il faut que chacun t’en apporte...
Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les mains...
J’ai les mains libres et tu ne peux plus m’abandonner...
(Des colombes sortent de la tour et volent autour d’eux dans la nuit.)
Mélisande
Oh ! oh ! tu m’as fait mal !
Qu’y a-t-il Pelléas ?
Qu’est-ce qui vole autour de moi ?
Pelléas
Ce sont les colombes qui sortent de la tour...
Je les ai effrayées ; elles s’envolent...
Mélisande
Ce sont mes colombes, Pelléas.
Allons-nous-en, laisse-moi elles ne reviendraient plus...
Pelléas
Pourquoi ne reviendraient-elles plus ?
Mélisande
Elles se perdront dans l’obscurité...
Laisse-moi ! laisse-moi relever la tête...
J’entends un bruit de pas...
Laisse-moi !
C’est Golaud ! Je crois que c’est Golaud !
Il nous a entendus...
Pelléas
Attends ! Attends !
Tes cheveux son autour des branches...
Ils se sont accrochés dans l’obscurité...
Attends ! Attends
(Entre Golaud par le chemin de ronde.)
Il fait noir.
Golaud
Que faites-vous ici ?
Mélisande
Ce que je fais ici ?
Je...
Golaud
Vous êtes des enfants...
Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber...
Vous ne savez pas qu’il est tard ?
Il est près de minuit.
Ne jouez pas ainsi dans l’obscurité.
Vous êtes des enfants...
(riant nerveusement)
Quels enfants !
Quels enfants !
(Il sort avec Pelléas.)
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Retrouvez les précédents épisodes de notre série consacrée à Debussy :
1. La brebis égarée
2. Entre Ciel et Terre
3. Mélodies vaporeuses
4. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Balcon
5. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Harmonie du soir
6. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Jet d’eau
7. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Recueillement
8. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : La mort des amants
9. La bague ensevelie
10. Premier baiser
11. Nitescences du soir
12. Conflit poétique