Conflit poétique
Les 3 Poèmes de Stéphane Mallarmé sont un ouvrage de maturité de Debussy. Écrite en 1913, cette œuvre est composée de trois courtes mélodies sur les poèmes « Soupir », « Placet futile » et « Éventail ».
À côté de ce cycle de mélodies se dévoile une anecdote historique plaisante. Le contemporain de Debussy, Maurice Ravel, a composé la même année trois mélodies sur des textes de Mallarmé. Mieux encore, 2 des 3 textes traités par Debussy sont également investis par le compositeur de Daphnis et Chloé. Et alors que Debussy achève son cycle par une mélodie évoquant des impressions érotiques avec « L’Éventail », Ravel met en musique l’un des poèmes les plus hermétiques de Mallarmé, « Surgi de la croupe et du bond ».
Même si ces deux lectures du poète sont le fruit du hasard, des musicologues y ont vu le fruit d’une certaine rivalité entre les deux compositeurs. Debussy confiera d’ailleurs combien « cette histoire Mallarmé-Ravel n’est pas drôle » alors que Ravel annoncera « On assistera bientôt à un match Debussy-Ravel ». Les deux pressèrent en même temps l’éditeur Henri Mondor de leur céder le droit d’utiliser les poèmes de Mallarmé. Étant ami de Maurice Ravel, celui-ci les lui céda en premier. Toutefois, à la demande de Ravel, il les accorda également à Debussy. C’est ce qui permit à ce dernier de créer ses Trois poèmes à la Salle Gaveau le 21 mars 1914. Le compositeur est au piano, accompagnant la soprano Ninon Vallin, au sujet de laquelle il écrit « Je suis amoureux de cette voix pailletée d’argent. »
Retrouvez ces trois mélodies mallarméennes interprétées par Sandrine Piau (soprano) et Jos van Immerseel (piano) :
... et les 3 Poèmes de Stéphane Mallarmé de Maurice Ravel :
Soupir
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur !
- Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
Placet futile
Princesse ! à jalouser le destin d’une Hébé
Qui poind sur cette tasse au baiser de vos lèvres,
J’use mes feux mais n’ai rang discret que d’abbé
Et ne figurerai même nu sur le Sèvres.
Comme je ne suis pas ton bichon embarbé,
Ni la pastille ni du rouge, ni Jeux mièvres
Et que sur moi je sais ton regard clos tombé,
Blonde dont les coiffeurs divins sont des orfèvres !
Nommez-nous... toi de qui tant de ris framboisés
Se joignent en troupeau d’agneaux apprivoisés
Chez tous broutant les vœux et bêlant aux délires,
Nommez-nous... pour qu’Amour ailé d’un éventail
M’y peigne flûte aux doigts endormant ce bercail,
Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.
Éventail
Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.
Vertige ! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu’un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l’unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d’un bracelet.
Surgi de la croupe et du bon
Surgi de la croupe et du bond
D’une verrerie éphémère
Sans fleurir la veillée amère
Le col ignoré s’interrompt.
Je crois bien que deux bouches n’ont
Bu, ni son amant ni ma mère,
Jamais à la même Chimère,
Moi, sylphe de ce froid plafond !
Le pur vase d’aucun breuvage
Que l’inexhaustible veuvage
Agonise mais ne consent,
Naïf baiser des plus funèbres !
A rien expirer annonçant
Une rose dans les ténèbres.
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Retrouvez les précédents épisodes de notre série consacrée à Debussy :
1. La brebis égarée
2. Entre Ciel et Terre
3. Mélodies vaporeuses
4. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Balcon
5. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Harmonie du soir
6. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Le Jet d’eau
7. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : Recueillement
8. Cinq poèmes de Charles Baudelaire : La mort des amants
9. La bague ensevelie
10. Premier baiser
11. Nitescences du soir