The Fairy Queen à Tourcoing : les jardiniers comédiens
“Dans Le Songe d’une nuit d’été, les artisans décident de monter la pièce Pyrame et Thisbé. L’intégrer dans notre production, explique le metteur en scène Jean-Philippe Desrousseaux, aurait allongé et compliqué le spectacle, mais j’ai trouvé l’idée de commencer par là : dès le début, les artisans décident de jouer The Fairy Queen c’est-à-dire Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec la musique de Purcell. Comme il s’agit de deux œuvres emblématiques de la culture anglaise, j’ai voulu en jouer et qu’on s’en amuse aussi. Le spectacle se déroule donc dans l’époque contemporaine (flexible) avec des figures vivantes ou récentes. Il y aura ainsi sur scène (et dans nos prochains épisodes de cette série-présentation) : Margaret Thatcher, Boris Johnson, Lady Di, Elizabeth II, le Prince Charles, etc.
Nous sommes donc dans les ruines de la Cathédrale de Coventry, les artisans sont des jardiniers qui veulent mettre en scène une pièce mais sont interrompus par un groupe d’étudiantes d’Oxford en visite. Alors le chef des jardiniers fait la leçon aux étudiantes mais aussi aux figures modernes en présence : chacun va devoir jouer The Fairy Queen (avec les artisans/jardiniers) en incarnant un personnage Shakespearien. Si vous prenez la partition de Purcell, vous voyez des parties de soprano, ténor I, ténor II, basse, etc. mais pas des rôles : je les ai donc attribués.
Je joue ainsi sur l’Anglomanie (la fascination pour les figures du pouvoir britannique et de la couronne) et la Bardolatrie (fascination, non pas pour Brigitte Bardot, mais pour Shakespeare qui est surnommé The Bard) : le spectacle questionne donc le poids de la tradition, l’histoire, la culture (il faudra porter le buste de Shakespeare, littéralement pour la Reine), tout en jouant sur l’ambiguïté d’identité (des personnages jouent d’autres personnages, et comme chez Shakespeare les hommes peuvent jouer des rôles de femmes).”
Le chef de ces jardiniers est incarné par le comédien Vincent Violette, acteur qui a joué Shakespeare, et fameux doubleur (voix du Professeur Quirrell dans Harry Potter, de plusieurs méchants chez Batman entre nombreux autres). “Je l’ai d’ailleurs connu en faisant du doublage avec lui, raconte Jean-Philippe Desrousseaux : il sera très crédible pour jouer cet homme investi dans son rôle et son art, et devenant tout d’un coup le jeune premier Démétrius.
Parmi les jardiniers il y a également celui nommé Mortdefaim (Starveling en anglais chez Shakespeare) qui incarnera Hermia, les deux étant incarnés par Linfeng Zhu. Ce baryton était déjà dans le chœur pour notre production de L’Etoile et on lui demande de jouer un rôle de fille ce qui ne l’emballe pas dans cette production (il sera déguisé grossièrement). Comme nous sommes dans une mixité de langage, et comme il est chinois parlant très bien français, il a été d’accord pour offrir certaines interjections en chinois (je suis d’ailleurs en train de voir si la nouvelle machine des surtitres à Tourcoing permettra d’afficher ce qu’il dit en caractères chinois).
Le jardinier baptisé Flûte et qui incarnera Héléna est interprété par François Mulard, qui fait un peu partie de ces personnages suivant docilement ce qui est demandé, obéissant gentiment et avec implication, en y mettant tout leur cœur et sans comprendre ce qu’on leur demande ni qui ils sont.
Et puis il y a Derrière / Lysandre. Bottom est son nom d'artisan, je l'ai traduit littéralement. Dans la pièce de Shakespeare il joue un âne, mais cela ne collait pas ici alors j'ai attribué à Boris Johnson (à retrouver dans l’avant-dernier épisode de cette série). Derrière / Lysandre est incarné par Victor Duclos, un artiste exceptionnel : danseur, comédien et chorégraphe, et chanteur. Il fallait une voix de baryton pour ce premier duo qui fonctionne parfaitement avec le texte de Shakespeare ‘Come let us leave the town’ (quittons la ville).
Incarnant ainsi le genre même de ce “semi-opéra” réunissant théâtre, musique et danse, Victor Duclos joue, chante en soliste et en chœur (et il met aussi ses compétences de danseur à la disposition de ce spectacle) : “Grâce à la vision de Jean-Philippe Desrousseaux qui refuse de séparer la comédie et le chant, tous les interprètes prennent le tout en charge, nous explique-t-il. L'implication théâtrale et musicale intimement liées sont tout l'enjeu de ce travail, en résonance avec les autres interprètes : dans une dimension chorale. J'incarne donc un personnage double dans cette mise en abyme : Derrière et Lysandre. La gageure est d'assumer ce rôle double : à la fois le personnage de jardinier qui fait partie du chœur et accompagne l'histoire mais aussi son rôle soliste qui sort du groupe pour raconter l'histoire amoureuse entre Titania et Obéron. Mon personnage est en lien avec ses camarades jardiniers mais aussi avec les autres solistes, à la fois en personnage individuel et dans les chœurs (et non seulement le chœur chanté mais aussi le chœur de théâtre dans le sens antique : ceux qui narrent et commentent l'histoire).
Lysandre (qu’il incarne) est dans cette histoire victime d'une erreur : un cercle amoureux s'organise, car Hermia aime et est aimée de Lysandre. Jusque-là tout va bien sauf qu'ils ont pour concurrents Démétrius, qui aime aussi la Princesse Hermia et a les faveurs de son père Egeus. Héléna aime Démétrius mais n'est pas aimée en retour. Et en parallèle une histoire féerique se déploie entre Titania, la Reine des fées, et Obéron, le Roi, qui se battent pour le contrôle d'un enfant.
Obéron mandate un de ses serviteurs, Puck, pour aller chercher le suc qui, après avoir été posé sur les paupières de quelqu’un, fait tomber celui-ci amoureux du premier être vu en ouvrant les yeux. Il veut rendre ainsi amoureux Démétrius et Héléna, Hermia et Lysandre. Mais Puck se trompe, Lysandre tombe amoureux d'Héléna et le cercle amoureux (celui qui aime n'est pas aimé en retour) demeure. C'est aussi la part comique de cette pièce. Finalement, Obéron se rend compte de toutes ces bévues, il résout le tout (à son avantage), tout le monde se rendort, on lave les yeux de tout le monde. Démétrius ensuqué lui-même est toutefois bien amoureux d'Héléna à son réveil. Mon personnage de Lysandre est bien amoureux et aimé en retour d'Hermia. Le tour joué à Titania est déjoué car elle se rend compte de la supercherie. Tout est bien qui finit bien.
Dans le cadre de cette complexité, tout est en fait très simple (je t'aime, tu m'aimes ou pas). De même dans cette mise en abyme avec les jardiniers qui acceptent de jouer d'autres rôles et parfois des hommes qui jouent des femmes comme c'était le cas dans le théâtre de Shakespeare. Jean-Philippe Desrousseaux respecte vraiment l'esprit Shakespearien et même des citations du Songe d'une nuit d'été, même si The Fairy Queen en est une adaptation. La version à l'Atelier Lyrique de Tourcoing est donc une adaptation d'adaptation, mais qui revient aussi en cela à l'origine.
Mon personnage de Lysandre est à la fois naïf et incrédule car il est victime d'un enchantement (et sous le coup de la passion amoureuse). Je chante ce duo qui ouvre l'Opéra (‘Come, come, come, let us leave the Town’), duo qui raconte exactement l'histoire, qui relie l'intrigue et son adaptation : Lysandre n'a pas encore été ensorcelé et il a pour plan de s'enfuir avec la Princesse. Il essaye donc de la convaincre en lui promettant le repos dans des lieux charmants. Comme ce duo est entre ma voix grave et une soprano, ce ne sera pas un autre jardinier qui la chantera mais il sera remplacé en dernière minute (via un jeu de scène) par la bonne Rachel Redmond, soliste soprano de la partition” que nous retrouverons dans le dernier épisode de cette série.
“Je chante également un trio de solistes jardiniers, le trio de l'Écho au début de l'Acte II ‘May the God of Wit inspire’ marquant ici l'arrivée d'Élisabeth II avec des oiseaux dans les cheveux.
Je chante également les nombreuses interventions de chœur qui ponctuent l'Opéra et se rapprochent de chansons avec des formes couplet-refrain. D'autres chœurs accompagnent davantage l'intrigue : celui au début torturant l'ivre poète en chantant qu'il faut le pincer (rappelant d'ailleurs la fin du Falstaff de Verdi qui puise également aux sources Shakespeariennes) et celui à la fin qui appelle à l'amour ("Hymen appear !").
Les thèmes solistes peuvent aussi être déformés par le chœur, ce qui permet une action plus dramaturgique : le chœur agit et interagit au plateau. Ce qui est propre au semi-opéra (comme à l'opéra-comique en France) est le passage du parlé au chanté qu'il faut savoir négocier. Il ne faut perdre ni la vocalité du chant avec le placement, ni le naturel du jeu. Il faut prendre soin des deux en veillant sur le souffle.
Pour le chant le défi est là aussi, dans l'alternance entre parties solistes et choristes. C'est évidemment la même technique mais ce ne sont pas les mêmes enjeux. L'un des moments les plus essentiels et ténus, dans la prestation et dès les répétitions, consiste à définir les tout premiers sons que nous allons faire ensemble. Nous sommes une dizaine de chanteurs donc tous doivent pleinement chanter ces chœurs copieux (en intensité et fréquence dans l'œuvre), en faisant de la musique avec une unité ensemble.”
Nos 10 épisodes vous présentent les personnages de The Fairy Queen par leurs interprètes et rendez-vous au Théâtre Municipal Raymond Devos de Tourcoing pour assister à cette nouvelle production les 24, 25 et 27 février 2022
Pour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1. Shakespeare, Elizabeth II, Lady Di et les autres
2. La partition
3. Les Jardiniers
4. Obéron, professeur d’Oxford
5. Titania, étudiante à Oxford
6. Elizabeth II, reine d’Angleterre
7. Lady Di
8. Margaret Thatcher
9. Boris Johnson
10. La Bonne