En Bref
Création de l'opéra
Après les succès du Barbier de Séville, de La Gazzetta et d'Otello en 1816, Rossini compose en trois semaines (janvier 1817) La Cenerentola, ossia La bontà in trionfo pour le Teatro Valle de Rome. Intitulé « Cendrillon ou le triomphe de la bonté » par le librettiste Jacopo Ferretti, ce dramma giocoso s'inspire du conte éponyme de Charles Perrault, mais repose également sur le livret de Charles-Guillaume Étienne pour l'opéra féerie Cendrillon (1810) de Nicolas Isouard et sur celui de Francesco Fiorini pour l'opera buffa Agatina (1814) de Stefano Pavesi.
Rossini n'a que vingt-cinq ans mais il doit enchaîner les compositions d'opéras à un rythme effréné, et a déjà l'habitude de réutiliser des extraits de ses précédents ouvrages dans les nouveaux. Pour gagner du temps, il intègre dans La Cenerentola l'ouverture de la Gazzetta, réadapte l'air final du comte Almaviva du Barbier, tout en faisant appel à Luca Agolini pour écrire deux récitatifs secs et trois airs (« Vasto teatro è il mondo » d'Alidoro à l'acte I, le chœur « Ah, della bella incognita » et « Sventurata ! » de Clorinda à l'acte II).
Lors de la première représentation le 27 janvier 1817, le public accueillit l'opéra avec quelque tapage, sans atteindre toutefois le fiasco de la création du Barbier de Séville l'année précédente dans la même ville. Par ailleurs, les créateurs des rôles principaux de La Cenerentola étaient très proches du premier casting du Barbier, renforçant les nombreuses similitudes entre les deux ouvrages. Très rapidement, La Cenerentola gagne en popularité à travers toute l'Italie, puis en Europe et dans le monde : dès 1826, il est donné à Buenos Aires et à New York, puis en février 1844, il devient le premier opéra interprété en Australie.
Clés d'écoute de l'opéra
Du conte à l'opéra
La Cenerentola s'inspire du conte de Charles Perrault, mais Jacopo Ferretti a exclu les ressorts fantastiques tels que la marraine, le Carosse-citrouille ou les chaussures en verre, et a transformé la méchante marâtre en un beau-père avide et maladroit, un baron rêvant de gloire et de gourmandises, sous le nom comique de Don Magnifico. Jacopo Ferretti a réalisé un livret d'opéra plus réaliste, mais également à l'humour en demi-teinte caractéristique du dramma giocoso.
Genre apparu dès le XVIIIe siècle chez Mozart (Don Giovanni et Cosi fan tutte), le dramma giocoso reste présent au siècle romantique dans la production de Rossini – L'Extravagant quiproquo (1811), La Cenerentola (1817) et Le Voyage à Reims (version italienne créée en 1825) – et perdure jusque dans les années 1830 avec L'Élixir d'amour de Donizetti. Du conte de Perrault, La Cenerentola de Rossini ne retient que les situations des personnages, car le véritable moteur de l'action (la recherche d'une épouse pour le Prince Ramiro) devient rapidement un jeu de rôle dont l'issue est heureuse. L'opéra s'ouvre avec la première énonciation de l'air « Una volta c'èra un re » (acte I, scène 1) de la Cenerentola, une chanson mélancolique d'allure populaire appréciée de la jeune fille, interrompue de façon intempestive par Clorinda et Tisbe dont les incursions comiques instaurent d'emblée le caractère du dramma giocoso.
Rossini joue ainsi sur la dichotomie entre des personnages comiques aux mœurs légères et ceux, plus sentimentaux et d'une certaine manière, moins caricaturaux, que sont le Prince et l'héroïne. Le thème de Cendrillon connaîtra par la suite une certaine fortune dans le domaine lyrique sous la plume de Massenet (1899), Pauline Viardot (1904) et Leo Blech (1905), mais également dans le genre du ballet sous la plume de Johann Strauss II (1901) ou encore Prokofiev (1945).
Un opéra d'ensembles
La Cenerentola se distingue des précédents ouvrages de Rossini par un foisonnement d'ensembles aussi variés que brillants dans l'écriture vocale et orchestrale, allant du duo au septuor avec chœur. Si l'opéra se finit par un grand air de l'héroïne (cavatine « Nacqui all'affanno, al pianto » puis cabalette « Non più mesta »), celle-ci n'a en réalité, comme les autres personnages, que peu d'airs au sens propre, tous s'illustrant davantage dans des ensembles. À titre d'exemple, le duo entre Don Magnifico et Dandini à l'acte II (« Un segreto d'importanza ») constitue un trait d'humour en termes de situation dramatique (le valet enlève son déguisement face au baron), mais également de style musical : rares sont les airs où deux personnages masculins rivalisent à ce point de prouesses de débit de parole et de vocalises ! Rossini crée l'illusion d'un « duel de basses-bouffes » grâce au registre le plus grave du baryton-basse de Dandini et au babillage incessant de Don Magnifico.
La plupart des ensembles de La Cenerentola obéissent à une structure spécifique : à l'entrée de chaque personnage correspond une formule mélodique caractéristique reprise et répétée, comme dans le sextuor « Questo è un nodo avvilupatto » (acte II, scène 2). Le motif piqué de Dandini est peu à peu repris par les autres personnages, puis une vocalise ornée est reprise en écho par chacun. Mais la scène la plus exceptionnelle et propre à La Cenerentola est sûrement le fameux septet avec chœur venant clore le premier acte. Dandini, maître de cérémonie en faux prince, arbitre la confusion qui règne chez tous les personnages, que ce soit ceux de la Cour (le Prince, Alidoro et Angelina qui se croient dans un rêve) ou dans la belle famille de la Cenerentola (Clorinda, Tisbe et Don Magnifico qui peinent à identifier la mystérieuse invitée du Prince, qui ressemble étrangement à Angelina).