En Bref
Création de l'opéra
Viva la mamma ! Les conventions et inconvenances théâtrales (Le convenienze ed inconvenienze teatrali)
Du comique au bouffe
Le 21 novembre 1827 au Teatro Nuovo de Naples, Gaetano Donizetti crée Les conventions théâtrales (Le convenienze teatrali), un opéra-comique qu’il a composé et dont il a écrit le livret d’après une comédie à succès d'Antonio Simeone Sografi (Venise, 1794). Donizetti remanie ensuite l’opus : il y ajoute un deuxième acte basé sur Le inconvenienze teatrali du même auteur. L’œuvre devient alors un opéra-bouffe, renommé Viva la mamma ! Les conventions et inconvenances théâtrales (Le convenienze ed inconvenienze teatrali), créé au Teatro della Cannobiana de Milan le 20 avril 1831.
Contexte socio-économique
Au XIXe siècle, les compositeurs produisent leurs opéras par contrats avec des impresarios. Ils s’engagent ainsi à fournir un nombre prédéterminé d’œuvres, sur une période, dans un style et sur des thématiques prédéfinis. En janvier 1827, Donizetti s’engage ainsi auprès de l'impresario Domenico Barbaja à produire des pièces de gala, plaisantes pour le grand public. Les conventions théâtrales suivent ce cahier des charges à merveille : l’œuvre est un grand succès porté par le fameux chanteur bouffe Gennaro Luzio dans le rôle travesti de Mamma Agata. La seconde version est également couronnée de succès.
Oubli et redécouverte
Oublié à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l’ouvrage est ressuscité à Sienne en 1963. Parmi les fameuses reprises ultérieures, le Festival Castell de Peralada réunit Montserrat Caballé et Juan Pons. June Anderson l’interprète à l'Opéra de Monte-Carlo en 2004. La Scala de Milan abrite une production en 2009, mise en scène par Antonio Albanese et dirigée par Marco Guidarini avec Jessica Pratt, Simon Bailey, Christian Senn, ou encore Vincenzo Taormina. Le 17 janvier 2015, Rolando Villazon met en scène Viva la mamma! au Volksoper de Vienne. Il est repris à l'Opéra de Lyon en 2017 dans une mise en scène de Laurent Pelly.
Clés d'écoute de l'opéra
Mode d’emploi d’une troupe
Dans un théâtre de Lodi, les personnages de Donizetti répètent leurs rôles pour l’opéra Romulus et Ersilia (un nouvel opus, et non pas le drame en musique Romolo ed Ersilia composé par Johann Adolf Hasse sur un livret de Pietro Metastasio en 1765). Viva la mamma ! est ainsi une mise en abyme : un opéra représentant le fonctionnement de l’opéra à l’époque, les tracasseries d’une production et notamment les conflits liés à la répartition hiérarchisée entre les castes d’interprètes. Les chanteurs avaient en effet des statuts très distincts : primo, secondo et comprimario (premier rôle, second rôle et petit rôle), avec une répartition du nombre d’airs et de soli correspondant statutairement.
Comique de situation
La soprano se plaint, le ténor est en difficulté, et surgit Mamma Agata, rôle doublement bouffon car travesti et mesquin : pour sa fille, seconde chanteuse de la troupe, elle exige un solo et un duo avec la vedette. Le conflit ridicule enfle jusqu’à la violence physique et une mauvaise nouvelle : le musico (castrat) s’est enfui. La Mamma décide alors de le remplacer, créant un quadruple travestissement en abyme : un homme incarne la mamma qui prend le rôle d’un castrat (donc un homme qui chante dans un registre de femme) ! C’est ensuite le ténor qui s’en va, outré par la Mamma, mais le mari de celle-ci accepte d’effectuer un remplacement enthousiaste, au pied levé. La représentation est tout de même abandonnée et chacun fuit pour ne pas devoir rembourser l’impresario (une pique et des sueurs froides adressées de la part de Donizetti à ses producteurs).
Traditions d’opéra
D’autres opéras traitent des deux principaux thèmes de Viva la mamma, que sont la mise en abyme et le travestissement extrême. Concernant la représentation sarcastique du théâtre (défaillant) dans le théâtre, Goldoni en tire un drame (sans musique), L'impresario de Smyrne, en 1759. En 1786, Mozart compose Le Directeur de théâtre (Der Schauspieldirektor), un Singspiel (opéra-comique) sur un texte de Gottlieb Stephanie. L'impresario doit aussi y canaliser les rivalités entre les prime donne, culminant dans le duel vocal « Ich bin die erste Sängerin! » (c’est moi la première chanteuse). Autre exemple, Ariane à Naxos (1912) de Richard Strauss représente le désespoir d'un compositeur qui voit son drame lyrique fondu avec une Commedia dell’arte. Là aussi, la prima donna et le ténor se disputent l'importance de leurs rôles respectifs.
L’autre thème comique, un rôle de femme tenu par une voix grave, se retrouve également dans le répertoire, avec notamment les Amours de Ragonde (Jean-Joseph Mouret, 1714) ou la cuisinière dans L'Amour des trois oranges (Prokofiev, 1919). Le travesti comique de Viva la mamma offre même un travestissement mélodique : le grand air de Mamma Agata, « Assisa a piè d'un sacco » (Assise au pied d'un sac), est une parodie en version bouffonne de l’« air du saule » (canzone del salice) interprété par Desdemona dans Otello (Rossini, 1816). La version de 1827 comporte également une parodie de la cabalette qu’avait composée Giuseppe Nicolini pour que la cantatrice Giuditta Pasta orne le Tancredi de Rossini. Enfin, Donizetti se parodie lui-même, faisant répéter une cavatine de son Elvida (1826) dans ces Conventions théâtrales.