Yoncheva, le sublime velouté bulgare à la Philharmonie
Après avoir enregistré des airs de Haendel dans son dernier album (retrouvez-en ici notre chronique), la diva bulgare Sonya Yoncheva retrouve le chef Alessandro de Marchi et son Academia Montis Regalis pour un récital baroque produit par Les Grandes Voix. Elle reprend à cette occasion certains des airs de son disque (y compris l’air final de Didon et Enée de Purcell qui en composait le bonus) et y ajoute des extraits d’opéras de Rameau. La soprano comptant aujourd’hui parmi les chanteuses les plus populaires au monde, l’on s’étonnera que la salle ne soit pas pleine pour l’occasion, malgré la condamnation des sièges placés en arrière-scène.
Sonya Yoncheva (© Julian Hargreaves / Sony Music Entertainment)
L’acoustique de la grande salle de la Philharmonie sonne comme une cathédrale, obligeant le public à s’habituer à une importante réverbération, ainsi qu’au son intimiste très particulier de l’ensemble très réduit de 14 instrumentistes, qui jouent pour la plupart debout. Le chef dirige ses musiciens depuis le clavecin dont il interprète la partition. D’un coup de menton, il impulse un départ. Parfois, il redonne de l’élan en sautillant sur son siège ou en se relevant brièvement, jouant quelques mesures debout. Lorsque le clavecin n’est pas impliqué, il retrouve une battue plus classique, gardant les mains bien hautes pour être visible de tous. Ses gestes sont évocateurs, dessinant des vagues du plat de la main ou mimant un pincement de corde. Les deux hautbois ont un son brumeux, comme joués au lointain, tandis que les cordes sautillent, au propre comme au figuré. L’équilibre des pupitres empêche des accentuations trop puissantes, diminuant les reliefs de certaines pièces, comme l’ouverture de Dardanus. Le théorbe au son pincé reste en retrait, parfois totalement couvert par les autres instruments. Le bourdonnement du basson est imité par les cordes dans le menuet suivant.
Alessandro de Marchi (© Sandra Hastenteufel)
Lorsque Yoncheva paraît, elle porte un turban et une ample robe noire. Le rouge de ses lèvres et le rubis de ses boucles d’oreille sont les seules couleurs qu’elle arbore. Se déplaçant à l’avant-scène, dansant même parfois, elle offre une grande expressivité à ses airs. Le timbre présente un rare velouté. La voix est à la fois charmante et agile, aérienne et charpentée, généreuse et subtile. Les aigus sont rayonnants : la soprano, autrefois spécialiste du baroque, y a gagné en structure ce que l’évolution de sa voix lui a fait perdre en légèreté. Le vibrato se fait tantôt long et ample, tantôt court et pressé, variant ainsi les émotions infuses dans le chant. Sa gestique emprunte à la délicatesse japonaise et au charme de la séductrice Cléopâtre dont elle chante les arias (tirées de Jules César). La prononciation est précise, en italien comme en français, même si l’écho de la salle brouille les sons dès que la cantatrice tourne la tête.
Yoncheva troque ses habits sombres pour une robe blanche, évoquant autant la mariée que la bergère, au moment de chanter justement l’air de Telaïre dans Castor et Pollux, "Tristes apprêts". Elle aborde cette lamentation avec une grande richesse de sentiments, habitant son personnage et obtenant du public une qualité d’écoute qui fait cesser les toux et permet d’entendre le parquet de la scène craquer. Pour compenser la langueur de cet air, elle enchaîne avec le célèbre extrait du rôle de Zima dans les Indes galantes. Elle prend à cette occasion un plaisir manifeste à s’accompagner d’un air badin du tambourin, qu’elle ne cherche pas même à museler lorsqu’elle n’en joue pas, rappelant à son insu l’extrême technicité de cet instrument pourtant souvent considéré comme anodin et facile à manier.
Lorsqu’elle aborde le rôle de Didon (dans Didon et Enée), elle laisse retomber ses cheveux. Elle produit d’impressionnants piani, laissant sa voix résonner de manière presqu’imperceptible au fond de la gorge. Faisant claquer les « t », elle ouvre grand les « a » tissant ainsi un champ sonore évoquant le sanglot. Dès les premières notes de l’aria, la richesse de ses médiums saisit l’auditoire. Ses aigus se font tour à tour puissants et vibrants, puis subtiles et caressants. Cet air conclut le programme avant un bis tiré de Rinaldo (le très fameux "Lascia ch'io pianga") : la soprano revient en courant l’interpréter, distribuant les fleurs de son traditionnel bouquet aux instrumentistes de l’ensemble. Devant l’enthousiasme du public, elle négocie en direct avec le chef deux reprises supplémentaires. Elle reprend alors son tambourin pour les Indes galantes, dansant et virevoltant, quitte à perdre le fil du texte. Elle fait battre les cœurs des spectateurs tandis que de Marchi orchestre leurs battements de mains. C’est l’air de Theodora qui conclut une soirée mémorable.