Trois grandes musiciennes invitent la jeunesse au voyage
Créé en 2011, le Paris Mozart Orchestra (PMO) se distingue par sa démarche citoyenne partageant la musique savante et la création, notamment avec les publics éloignés de la culture (réseau d'éducation prioritaire, hôpitaux, prisons, milieu associatif). C'est dans ce cadre que la Cité de la musique se remplissait d'adolescents un lundi à 14h30, pour un très ambitieux programme.
Concert éducatif du Paris Mozart Orchestra au Lycée Robert Doisneau de Corbeil-Essonnes
Le premier défi herculéen que doit relever cette musique, ainsi que les enseignants accompagnateurs, consiste à faire éteindre les téléphones portables sur lesquels sont rivés tous les jeunes ; puis, autre pari perdu d'avance, à leur faire maintenir le silence ou au moins le chuchotement. La musique envoûtante parvient toutefois à atténuer la dispersion, aidée par les tableaux hypnotisant du peintre voyageur Nicolas de Staël. Les toiles projetées montrent des étendues maritimes et naviguent elles aussi, de gauche et de droite, agrandies, assombries puis renforcées sur certaines couleurs. Cette projection picturale, associée à la récitation de Natalie Dessay et l'accompagnement du PMO de Claire Gibault est exactement le même concept porté par les mêmes artistes que le programme Edward Hopper / Jazz du Châtelet (chroniqué par nos soins à cette adresse). La composition d'Édith Canat de Chizy : Staël, peindre l’inaccessible… (2016) déploie toute la poésie soucieuse des étendues maritimes ainsi que des lettres de l'artiste, récitées par Dessay. L'écriture de la compositrice est immédiatement reconnaissable pour ceux qui l'ont déjà entendue. Une note pivot, une tonique fait la continuité de tous les morceaux : les instrumentistes la varient longuement et fréquemment, en partent, y retournent. La note est le port d'attache, l'atoll originaire d'où voguent des trilles et éclatent des coups de canon aux cuivres. Les tempêtes sourdent à tous les instruments avant de se dissoudre dans des lignes rapides et moirées à l'unisson.
Nicolas de Staël - La fureur de peindre (Jean Mineraud - Les dessous du visible) :
Quelques-uns des adolescents parmi le public occupent le concert en se chamaillant, bavassant, flirtant, dormant ou avec des écouteurs sur les oreilles et regardant des vidéos sur leurs téléphones. Le pari était en somme très ambitieux, d'autant que la création contemporaine ouvrait d'emblée le programme, avec des textes symbolistes en forme de traité esthétique. La deuxième escale sera d'autant plus admirable, certaines classes d'élèves du public se levant pour chanter une très belle Invitation au voyage de Duparc sur la poésie envoûtante et stimulante de Baudelaire. Leurs voix sont bien placées, justes, ensemble, et elles conservent en outre ce timbre merveilleusement juvénile des voix de têtes épurées.
Il ne nous reste qu'à espérer que cette exposition exceptionnelle à de telles musiques et artistes porte ses fruits à l'avenir. Certains de ces jeunes spectateurs n'auront certes pas retiré les fruits de l'expérience sur le moment, mais le spectacle et le contact à l'art feront peut-être leur petit bonhomme de chemin progressivement et lorsqu'ils entendront parler d'opéra, de musique classique et de salles de concert, ils sauront tout au moins qu'ils peuvent en franchir les portes.
Natalie Dessay chante L'invitation au voyage accompagnée par Maciej Pikulski. Festival de Radio France à Montpellier Le 20 juillet 2014 :