Patricia Petibon chante les amours d’ici et d’ailleurs
La voix, simple et fraîche, s’élève au-dessus de minces accords, le dessin mélodique suit les contours d’une modalité celtique que les américains ont héritée de leurs ancêtres anglo-saxons. La version de Benjamin Britten du célèbre Greensleeves confirme que le programme s’articule autour des musiques populaires, chansons populaires arrangées pour voix lyrique et piano, ou bien œuvres originales composées « dans le style populaire ». Après un prélude anglophone, le récital s’oriente résolument vers le monde hispanique et ses amours passionnées. La mélodie A la mar de Nicolas Bacri est une commande de Patricia Petibon : l’écriture néo-tonale du jeune compositeur du Sud de la France s’accommode élégamment de la modalité phrygienne caractéristique de l’Espagne, qui se caractérise par un usage du second degré abaissé dont découlent des intervalles augmentés.
Salle Gaveau (© DR)
Les nombreux « Ay » qui traversent ces mélodies ibériques offrent à Patricia Petibon autant d’occasions de faire entendre la richesse de sa palette dynamique, enflant tantôt le son vers un cri, le laissant d’autres fois mourir dans un souffle pianissimo, comme dans Nesta rua d’Heitor Villa-Lobos, peut-être la plus belle pièce du programme, qui s’éteint dans un port de voix murmuré à la pointe des lèvres. Les chuintements possessifs du portugais ne sont sans doute pas étrangers à cette douce beauté. Les contrastes très expressifs de la musique hispanique font ainsi se côtoyer la mélancolie la plus tendre, et une sensualité fière et farouche portée par des rythmes enlevés, à l’image du Vito de Fernando Obradors. Autre trait caractéristique de ce répertoire, les arabesques vocaliques, exécutées ce soir avec légèreté et mordant sur des voyelles généreusement ouvertes, animent les fins de phrases d’une vivacité irrésistible, encore renforcée par le toucher gracieux de Susan Manoff. Cette dernière donne au clavier des allures de guitare lorsqu’il en est besoin.
À ces écrins poétiques succèdent les Sanglots de Poulenc sur un texte d’Apollinaire – ou plutôt, de deux textes qui s’entrecroisent à la manière d’un collage surréaliste, occasionnant de nombreuses ruptures et une conduite schizophrénique de la voix, entre un bas-médium déclamé et des accents de colorature. Ainsi Patricia Petibon se montre-t-elle aussi convaincante dans la mélodie française du XXe siècle que dans le baroque qui a lancé sa carrière, et dont elle n’hésite pas à s’affranchir des dogmes dans un vibrato exutoire aux moments opportuns.
Patricia Petibon (© Felix Broede / Deutsche Grammophon)
Ce récital se voulait cependant davantage. D’innombrables accessoires étaient cachés dans le piano et exhibés de manière incongrue par la chanteuse pour souligner tel ou tel aspect du texte chanté : une couronne posée sur sa chevelure flamboyante pour Greensleeves, une maquette de bateau sur la Canción del grumete. Ce petit jeu amusant se transforme même en un numéro de cabaret, évoquant tour-à-tour la comédie musicale pour la pétillante chanson Busy Line, ou Joséphine Baker sur une musique d’inspiration brésilienne. Toute la force de compositeurs comme De Falla, Granados ou le Britten des Folk songs tient à cette distance subtile qui sépare le modèle traditionnel de sa réécriture savante et lyrique. Les mélodies se passent fort bien d’une illustration visuelle, et mimer Blanche-Neige et les sept nains pour finalement écorcher le fameux standard Someday my prince will come est d’un intérêt limité.
La seconde partie du concert contenait malgré tout de belles trouvailles de répertoire. Entonné d’abord bouche fermée sur les accords du tétracorde phrygien, Camiña don Sancho se révèle un joyau du répertoire de Galice revisité par Henri Collet. La passion et la coquetterie des quelques vers suggestifs de La Rosa y el sauce constituent un autre moment de grâce, auquel fait écho le splendide Asturianas de Manuel de Falla donné en bis après un hommage vibrant à la pianiste Claude Lavoix récemment décédée. Notons enfin la reprise de Padam padam, valse obsédante jadis chantée par Édith Piaf, dont Patricia Petibon se plaît à imiter les accents déclamatoires sans jamais pour autant renoncer au lyrisme.
Une coproduction Philippe Maillard Productions / Les Grandes Voix / Céleste Productions