Une Carmen unique au TCE
Carmen est un chef-d’œuvre de l’art lyrique : malgré la controverse qu’il a suscitée à sa création (une opérette qui finit mal !), l'opus est devenu un succès international et l’un des plus joués dans le monde. L’Orchestre National de France, dirigé par la chef australienne, Simone Young, l’interprète vaillamment : les tempi rapides et les enchaînements serrés rythment l’œuvre en un feu d’artifice de couleurs orchestrales.
Le rôle de Carmen, de par sa tessiture, requiert des aigus amples de soprano dramatique et les graves puissants d’un contralto, ce que Marie-Nicole Lemieux (qui nous avait déjà soufflé la semaine précédente dans Rodelinda à Versailles : notre compte-rendu est à cette adresse) parvient à réaliser grâce à sa voix riche, son timbre exceptionnel et une technique parfaite. La Carmen de Lemieux est unique, non conventionnelle, évitant les clichés (pas de jupe à relever, pas de postures aguicheuses). Son interprétation est subtile. Grâce à une palette sonore impressionnante, elle fait évoluer son personnage tout au long de l’œuvre. La Habanera est toute en délicatesse, la Séguédille aux aigus brillants, le trio des cartes fait entendre de magnifiques sons de poitrine, l’intensité vocale est à son paroxysme dans le duo final. Ses intentions de jeu émanent de la musique et nous touchent de par leur sincérité. Son énergie débordante entraîne ses partenaires dans le jeu. Marie-Nicole Lemieux confiait en interview : « Je n’imagine pas qu’aujourd’hui un metteur en scène veuille monter une Carmen ayant mon physique ». Après cette soirée, on souhaiterait vivement que l’un d'eux ait cette audace !
Marie-Nicole Lemieux (© Geneviève Lesieur)
Michael Spyres est un Don José très convainquant, donnant le change à cette Carmen. Son français est irréprochable, soutenant pleinement le drame. Sa voix remarquablement placée dans le masque peut réaliser des nuances extrêmes, tantôt vaillantes, tantôt délicates, convoquant notamment la voix mixte pour un aigu crescendo et diminué dans « la fleur que tu m’avais jetée ». Son interprétation est intense, voire même extrême : il se met en danger dans le dernier acte, se livrant corps et âme pour terminer sur une apothéose dramatique.
Michael Spyres (© Vincent Pontet)
À côté de ces deux fortes personnalités vocales et dramatiques, les autres chanteurs s’en tirent honorablement. Vannina Santoni est une Micaëla crédible au beau timbre très couvert, Jean-Sébastien Bou (retrouvez ici la passionnante interview qu'il vient de nous accorder et dans laquelle il revient sur Carmen et bien d'autres projets) incarne avec sa belle voix un Escamillo simple, humain montrant toutefois quelques fragilités. Chantal Santon-Jeffery (Frasquita) et Ahlima Mhamdi (Mercédès) sont remarquables dans le trio des cartes. Francis Dudziak et Rodolphe Briand forment un duo de contrebandiers épatant et résonnant avec la voix très timbrée et affirmée de Jean Teitgen en Zuniga. Investi, le Chœur de Radio France offre de très beaux sons, en compagnie de l'enthousiaste Maîtrise, visiblement joyeuse de jouer et chanter ainsi.
Jean-Sébastien Bou (© MatejaLux)