Madame Butterfly joue des marionnettes à La Monnaie
La production de Madame Butterfly à La Monnaie entraîne le public dans un Japon fantasmé. D'abord par la musique de Puccini qui véhicule un univers musical japonisant. Ensuite, par les choix de mise en scène qui entraînent le spectateur dans un tout autre univers, l'obligeant à quitter sa zone de confort. Les décors minimalistes sont basés sur des effets de lumières et de matières qui permettent de jouer avec les ombres. Eux aussi rappellent le Japon : un toit typé asiatique, des murs en papier. Il en va de même pour les costumes qui permettent de distinguer les nationalités, les smokings pour les américains, les kimonos et costumes inspirés d'origami pour les nippons. Certains éléments du décor semblent être hors du temps, tel le bateau de Pinkerton transformé en navire de croisière ou l'enfant de Cio-Cio-San qui est lui aussi une poupée. Cette approche n'est pas aisée à appréhender, mais elle n'en est pas moins tout à fait cohérente.
Amanda Echalaz (Cio-Cio-San) et Qiulin Zhang (Suzuki) dans Madame Butterfly (© Baus)
Le dialogue musical se mêle au dialogue narratif. La musique soutient l'action, mais il est dommage qu'elle couvre de temps en temps la voix des chanteurs. Bien sûr, l'acoustique du Palais de la Monnaie -le chapiteau utilisé par la maison d'opéra bruxelloise en attendant la rénovation de ses murs- n'est pas idéale, mais le public reste conciliant et compréhensif. Malgré les changements de rythmes et de tonalité, l'orchestre garde une cohérence et une cohésion durant tout le spectacle, dirigé par la gestique précise de son chef Roberto Rizzi Brignoli. Les discours rythmés, les dialogues langoureux et les explosions musicales se suivent en toute clarté.
Alexia Voulgaridou (Cio-Cio-San) dans Madame Butterfly (© Baus)
La marionnette remplit son rôle, même si au départ les trois hommes qui l'animent peuvent prêter à confusion. La jeune femme de bois devient vivante et incarne le personnage. Elle vole même à certains instants de joie, suscitant un rapprochement avec son surnom de Butterfly. Une interprétation réussie également grâce aux capacités vocales de la soprano Alexia Voulgaridou qui prête sa voix à la poupée. Elle n'est pas une narratrice hors de l'action, mais bien le fantôme de Butterfly qui nous hante et conte son histoire. Sa voix aiguë et puissante aux larges résonances graves passe au-dessus de l'orchestre, même dans les nombreux moments où la mise en scène la présente de dos (figurant son humilité japonaise et laissant rayonner le visage de la poupée, son double). Elle emmène le public dans son monde, particulièrement durant ses arias culminant dans le sublime "Un Bel Di Vedremo", ample, rempli d'espoir et, déjà, de tristesse. L'émotion d'une voix rayonnante au vibrato généreux et homogène est au rendez-vous, malgré la distance entre l'action et le chant ainsi que le caractère processionnel, quelque peu statique de sa marionnette.
Pinkerton, interprété par le ténor Marcelo Puente, présente bien le bel canto et Puccini lui va à merveille. Sa voix ample associée à sa posture altière et sévère sont aussi dignes et franches que la coupe de son costume militaire. Peu à l'aise dans ses aigus serrés au début de la soirée, il gagne en assurance dès le passage héroïque chanté sur l'hymne américain et jusqu'au final bouleversant. Desserrant à mesure sa rigueur musculaire et vocale pour séduire Butterfly, il conclut le drame dans un appel désespéré.
Riccardo Botta (Goro) et Alexia Voulgaridou (Cio-Cio-San) dans Madame Butterfly (© Baus)
Riccardo Botta en Goro, qui se fait entremetteur du mariage, a le timbre souriant de ces servants taquins dans les contes asiatiques. Hélas entrecoupée, sa voix convoque toutefois certaines douceurs et il sait la projeter dans les aigus de ténor presque décrochés. Interprétant Sharpless, consul des États-Unis d'Amérique à Nagasaki, le chant du baryton Aris Argiris est lui aussi entrecoupé, haché mais dans un registre grave largement vibré et sonore. De fait, il est bien plus à l'aise dans les ensembles qu'il soutient de toute sa largesse vocale et dans les récits incarnés. Avec sa voix très vibrée, Ning Liang chante les phrases rapides d'une servante Suzuki disciplinée et ordonnée. Pour sa part, Wiard Witholt a la voix stricte, le regard sévère d'un commissaire et d'un officier qui a la charge de marier Butterfy avec Pinkerton et qui semble presque annoncer le drame futur par sa contenance fermée.
Enfin saluons les deux interludes : le premier, un silence plein de sens où le fantôme rejoint son image passée et s'occupe d'elle, plein de tendresse. Le second, où la musique emporte plus encore le public dans le monde de Madame Butterfly.
Nous vous proposons la vidéo intégrale de cette production :