Israël en Egypte : une soirée à Reims avec Haendel
Le ténor Samuel Boden, l’une des deux vedettes de la soirée, énonce d’emblée la situation initiale, par un bref récit : le peuple d’Israël a suivi Joseph en Egypte, et à la mort de ce dernier, ils sont faits esclaves. Lorsque le chanteur se retire, les haut-parleurs grésillants diffusent Rivers of Babylon, dans une version bien antérieure à sa reprise disco par Boney M. La première partie de l’oratorio décrit les dix fléaux que le Seigneur envoie aux Égyptiens pour libérer son peuple. L’enfer terrestre généré par la colère de Dieu invite Haendel à figurer musicalement ces calamités. Le texte tiré de l’Ancien Testament fournit à la fantaisie du compositeur de nombreuses images, qu’il distribue aussi bien aux instruments (les mouches envahissantes des violons) qu’au chœur, qui « devient le personnage principal d’une écriture radicale, unique en son genre », comme l’écrit Geoffroy Jourdain dans le programme de salle.
Les Cris de Paris, sous sa direction, sont enterrés dans la fosse d’orchestre, tandis que les musiciens, issus de la formation polymorphe Les Siècles, occupent la scène. Placée entre les deux, l’image du chef est retransmise sur des téléviseurs suspendus au balcon, entre les dorures et les tissus écarlates de la salle à l’italienne. Ces contraintes n’empêchent pas les choristes de livrer une belle performance, particulièrement dans les moments d’homophonie, lorsque l’écriture baroque cède le pas à la déclamation psalmodique et que les huit pupitres qui constituent le double-chœur s’unissent en une prière commune. Les mouvements fugués, inévitables pour un livret centré sur L’Exode, développent une rhétorique irrésistible : intervalles extrêmes, chromatismes et fausses relations donnent à voir les malheurs dévolus au peuple égyptien, comme dans le chœur "They loathed to drink".
Une création vidéo de Lidwine Prolonge est projetée sur deux écrans suspendus au-dessus de l’orchestre, qui affichent alternativement le texte chanté et sa traduction en regard, et des images de voyages à Jérusalem et en Egypte. Le surtitrage partiel qui en résulte se veut également commentaire en temps réel, exégèse moderne de cet épisode de l’Ancien Testament. Lorsque le texte est affiché, il ne suit pas l’énonciation des chanteurs, mais au contraire apparaît progressivement, comme en train de s’écrire sur un écran d’ordinateur. La dimension interprétative des images reste limitée : des flots colorés en rouge pour la Mer rouge, et des vidéos de la vallée du Nil prises depuis un bus.
Israël en Egypte (© DR)
L’image n’appartient pas au genre de l’oratorio, forme mixte entre le théâtre et l’église. La mise en espace signée Ludovic Lagarde perpétue cette ambiguïté : pas de costumes ni de décors, mais des déplacements réfléchis, un espace scénique dramatisé. Cela prend tout son sens dans la deuxième partie, où les solistes commentent chacun à leur tour le récit biblique. Deux duos parallèles louent le Seigneur : les sopranes lui accordent leur confiance, tandis que les basses révèrent ses qualités de guerrier ("The Lord Is a Man of War"), au son des hautbois et bassons qui nous rappellent qu’il est aussi le Bon Pasteur du Nouveau Testament. Chantal Santon, tant attendue, parvient à allier un timbre toujours sonore et une modestie convenable aux paroles, et à l’oratorio en général. Elle entraîne Adèle Carlier à ses côtés dans le tendre ton de la mineur. Renaud Bres et Lisandro Abadie, également choristes, forment un duo plus équilibré dans lequel leurs qualités vocales se complètent pour exprimer fierté et noblesse. Les longues vocalises se déroulent librement, ascendantes pour le Seigneur, descendantes pour Pharaon et ses capitaines, tous noyés, dans une imitation continue qui permet d’apprécier la diversité de leurs timbres.
Georg Friedrich Haendel
L’alto britannique David Allsopp souffre d'inégalités de registre que ne compensent pas ses facilités à vocaliser et la clarté de ses aigus. Son bas-médium très métallique, dont il joue avec humour lorsqu’il s’agit de raconter les affres du peuple égyptien, le dessert lorsqu’il doit rivaliser avec Samuel Boden. Ce dernier, concis et expressif à la manière d’un évangéliste dans les récits, déploie une énergie inépuisable lorsqu’il rapporte les imprécations de l’ennemi contre les Israélites en fuite. Agile dans cet air virtuose, sa présence se maintient avec la même densité jusque dans le baryton. La force de la musique de Haendel, servie par des interprètes à la hauteur, ne manque pas d’impressionner les auditeurs sans qu’il soit besoin de recourir à quelque autre médiation. Un dernier exemple s’il est besoin, admirablement réalisé par Les Cris de Paris : le mur d’eau qui s’écroule sur les égyptiens est figuré par des tenues toujours plus aigües aux sopranes, dressant ainsi un rempart sonore menaçant.
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