Histoires hautement Sacrées à La Chapelle Royale de Versailles
Traversant la Cour Royale de Versailles au clair de lune, quelques fantômes semblent resurgir du Grand Siècle. C'est un privilège princier que de se promener dans ce lieu à l'heure où les touristes le désertent. Marc-Antoine Charpentier nous donne même rendez-vous au sein de la Chapelle Royale.
Ce personnage est un illustre inconnu ! En effet, tout le monde connaît son célébrissime Te Deum depuis qu'il est devenu l'indicatif de L'EuroVision, mais le reste de son catalogue est moins populaire. Dans ce lieu intime, le compositeur français nous fait vivre ou revivre les histoires de trois saintes ou martyres : Judith, Madeleine et Cécile. Elles se présentent presque comme trois sœurs avec un seul point en commun : la passion du Christ qui les dévore. Ces petites histoires que nous pouvons définir comme ''opéras sacrés'' sont concises et concentrées. Les paroles, en latin (avec sur-titrage en français présent en salle) sont émouvantes.
L'orchestre est en lien constant avec la scène, donnant un effet de proximité plaisant. Devant une toile couleur bleu nuit, trois faux blocs de pierre se dressent, dont un avec un olivier, arbre symbole de la Bible. Les chanteurs peuvent escalader ces niveaux afin de donner de l'ampleur à la mise en espace, signée Vincent Huguet. Associé à la scénographie d'Aurélie Maestre, l'ensemble est emprunt d'une religiosité que l'on retrouve dans la musique. Les airs de lamentation et de prière se démarquent par des jetés à terre et des pleurs douloureux. Les scènes finales de chaque histoire rassemblent tous les chanteurs, rappelant des tableaux de la Renaissance, remplis de couleurs chatoyantes. Les costumes choisis par Clémence Pernoud reflètent bien cette idée. Chaque chanteur est habillé d'une couleur particulière, embellissant les paroles obscures. Les lumières de Bertrand Couderc et de son assistant Anthony Auberix nous plongent dans l'ambiance d'une douce nuit aussi bien que dans un jour ensoleillé.
Marc-Antoine Charpentier
Pour la musique, la beauté du Baroque est présente. C'est un régal pour les yeux et pour les oreilles ! Dans l'orchestre typique de la période se trouvent des instruments tels que des violes de gambe, un clavecin, un théorbe ou encore un orgue. L’Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé (au clavecin) crée un climat envoûtant, au plus proche du son originel. Cet orchestre, de renommée internationale et récompensé plusieurs fois, semble un ami intime de Charpentier. Plusieurs de leurs enregistrements lui sont d'ailleurs consacrés (notamment Les Litanies de la Vierge et Ô Maria !).
Les onze chanteurs, six hommes et cinq femmes forment une véritable petite Académie. Tous armés d'un fort potentiel, ils sont maîtres de leur propre spectacle. Déplaçant eux-mêmes le décor, ils montrent une parfaite organisation. Les rôles sont bien répartis et chacun a le droit à la parole.
Dans "Judith Sive Bethulia Liberata", la soprano Caroline Weynants incarne la touchante héroïne Judith dont les aigus s'élèvent en finesse dans la Chapelle. Son jeu de scène est investi et marque le public jusqu'au bout. La soprano Violaine Le Chenadec (à retrouver en réservant ici pour L'Orfeo de Luigi Rossi in loco les 3 et 4 mars prochains avec Raphaël Pichon et Marc Mauillon) se montre elle aussi dans le même tempérament avec une voix douce et des aigus faciles. Dans le rôle du narrateur/Ozias, le ténor Davy Cornillot chante avec une voix légère mais assurée. Le décapité Holopherne, offre pour sa part le timbre sombre et impressionnant de la basse Renaud Bres.
Dans la seconde fable "Magdalena Lugens", l'alto Lucile Richardot interprète la malheureuse Madeleine, qui se lamente sur le corps du Christ. La voix est ronde et timbrée, peut-être parfois trop écrasée. La narratrice de cette histoire est la soprano Caroline Arnaud. Sa voix est contrôlée mais pourrait être encore davantage projetée. La troisième et dernière histoire ''Caecilia Virgo Et Martyr retrace la périlleuse vie de Cécile, interprétée par Judith Fa. La soprano est imprégnée par ce rôle et la voix est tout à fait adaptée.
Etienne Bazola (© DR)
Dans les "petits" rôles, le ténor Stephen Collardelle, qui chante Tiburce, se fait remarquer avec une voix légère et fluette. Puis, la voix du baryton Etienne Bazola (déjà entendu à de nombreuses reprises dans nos articles) dans le rôle de Valérien, à la fois imposant et clair. Et enfin, dans le rôle d'Almachius, la basse Nicolas Brooymans est très volontaire.
Ce concert se clôture par un somptueux trio des héroïnes, comme une réflexion sur leurs cruels sorts. Cette soirée de pré-Noël est un rendez-vous musical avec Charpentier, Dieu et la richesse inépuisable du Baroque.
Le cycle de concerts de Noël de l'Opéra de Versailles se poursuit jusqu'au dimanche 18 décembre, avec Carmina Latina.