Blanche-Neige émerveille petits et grands à l'Opéra du Rhin
Blanche-Neige composé par Marius Felix Lange d’après le conte des frères Grimm et créé en 2011 à l’Opéra de Cologne est certes un opéra pour enfant, mais cette production fait toutefois l'excellent choix d'offrir un spectacle lyrique sans rogner aucunement sur les exigences musicales ou scéniques. Les voix, l'instrumentation et la mise en scène sont tout aussi exigeantes que le reste des productions de la saison ; l'opéra n'est aucunement simplifié ou "vulgarisé", le pari est fait que la jeunesse mérite une véritable œuvre de qualité. Blanche-Neige est beau, clair, évident en ce qui concerne les décors, accessoires, la scénographie et les timbres (des qualités à souhaiter pour toutes les productions).
La scène est un miroir dans un miroir. Les spectateurs voient les personnages de l'autre côté du miroir, au sein duquel eux-mêmes se regardent dans un miroir (surtout la reine obsédée de savoir si elle est la plus belle). Le narrateur se met à la frontière entre le miroir et l'avant-scène pour conter les événements aux spectateurs (ce narrateur incarné par Jean-Gabriel Saint-Martin se révèle être en fait la voix sonore du miroir lui-même). Creusant un thème très visible pour les enfants, la mise en scène de Waut Koeken remplit entièrement le plateau de tous types de miroirs.
Avant le début du "pestacle", le directeur s'avance pour faire une annonce au public. Les enfants ne savent pas que ce personnage bien réel n'appartient pas à l'histoire et qu'il est pourtant porteur d'une mauvaise nouvelle. Il annonce en effet que Louise Pingeot, l'interprète du rôle-titre, a été victime d'un léger refroidissement saisonnier. C'est peut-être là le fruit d'une nouvelle malice de la marâtre, quoi qu'il en soit, l'interprète a tout de même tenu à assurer la représentation, confiante dans les encouragements du public et dans l'amour miraculeux du Prince charmant. Elle a bien fait et la magie a dû opérer puisque son chant ne paraît jamais à la peine.
Blanche-Neige (Louise Pingeot) et le Chasseur (Georgios Papadimitriou) (© Alain Kaiser)
Blanche-Neige est heureusement épargnée par le chasseur (interprété par Georgios Papadimitriou avec un accent très prononcé, incompréhensible mais très amusant avec son vieux tromblon garni de pouêts, d'un lance-pierre, d'une tapette et de cuillères à dégustation). Lorsque Blanche-Neige se perd en forêt pour échapper à la Reine criminelle, le décor est un ensemble menaçant de miroirs brisés (mais pas effrayant pour les bambins). Blanche-neige chante presque en récitant dans le médium, avec l'implication qu'elle met dans son jeu, avant de lancer des aigus placés et vibrés. Elle construit un timbre enfantin, articulé du bout des lèves, résonnant dans un aigu de petite fille.
Blanche neige et les animaux (© Alain Kaiser)
D'abord accompagnée d'animaux grands comme des hommes qui réjouissent les enfants du public (écureuil, chien, souris et une mention spéciale pour la poulette aussi dodue qu'ingénue), elle croise ensuite sept interprètes qui s'accroupissent pour faire les sept nains, marchant en canard. Ces nains qui chantent harmonieusement n'ont pas les noms qu'on leur connaît traditionnellement et ne sont pas mineurs mais ils s'appellent Ourson, Pic, Api, Oups, Chouquette, Rubi et Quartz et sont souffleur de verre, menuisier, poète, etc.
Les 7 nains s'interrogent sur le moyen de réveiller Blanche-Neige (© Alain Kaiser)
Coline Dutilleul en Reine et belle-mère de Blanche-Neige se déguise et la piège d'abord en lui offrant une guêpière rouge qui l'étouffe puis elle se présente en tant que Germaine, la huitième naine et donne un chapeau rouge tout aussi oppressant, enfin vient la fameuse pomme rouge empoisonnée. Le vibrato rapide de la chanteuse convient au caractère éruptif du personnage. Bien présente dans les graves, elle est aussi sonore dans les passages joués que chantés, grâce au placement idoine de sa voix et à un jeu expressif.
La Reine (Coline Dutilleul) (© Alain Kaiser)
Le Prince Adelar surgit alors, juché sur un cheval à bascule grandeur nature. Il s'extasie devant la beauté de Blanche-Neige endormie, avec sa voix de ténor lyrique (la voix de Camille Tresmontant, qui incarne aussi un courtisan aux côtés du bel organe de baryton-basse d'Antoine Foulon). Le chevalier entre dans la mêlée avec les nains qui protègent Blanche-Neige. Tous les personnages tombent à terre dans un chaos tel que Blanche-Neige est secouée, ce qui lui fait cracher le morceau de pomme. Elle s'éveille et part avec le prince sur son cheval pour l'épouser. La narcissique reine en brise son miroir de rage. Le livre de cette histoire est refermé par le narrateur dans une cadence parfaite.
Blanche-Neige épouse le Prince charmant (Camille Tresmontant) (© Alain Kaiser)
Enfin, en ce qui concerne le plateau vocal, mention doit être faite de la voix tonnante d'Emmanuel Franco qui chante le rôle du marchand ambulant. Certes, sa prononciation est à couper au couteau, ce qui est regrettable face à un jeune public qui ne peut pas lire les sur-titres défilant à vitesse d'adulte. Les enfants se dissipent donc dans les récitatifs, mais ils sont bientôt calmés et éblouis par sa voix.
La Reine déguisée (Coline Dutilleul) et Blanche-Neige (Louise Pingeot) dans la forêt de miroirs brisés (© Alain Kaiser)
La musique délaisse les repères mélodiques et harmoniques traditionnels qu'on aurait attendus, a fortiori dans un opéra pour enfants. Seuls les mélomanes particulièrement avertis détecteront les mélodies ou harmonies. La fosse est davantage un catalogue de timbres, illustrant des caractères et des personnages. Placé sous la direction limpide de Vincent Monteil (qui dirige l'Opéra Studio dont tous les interprètes de cette production sont des membres actuels ou anciens), l'Ensemble orchestral de l’Académie supérieure de musique - HEAR et du Conservatoire de Strasbourg rend avec l'application nécessaire cette partition agréable et pédagogique qui présente les instruments les uns à la suite des autres, ou bien par petits ensembles. Les instrumentistes font preuve du même sérieux et des mêmes qualités d'implication que nous avions déjà pu remarquer lors de la création de Mririda à la Cité de la Musique et de la Danse au début de la saison (il s'agit d'ailleurs de noter la remarquable fidélité de l'Opéra National du Rhin à ses interprètes : outre l'orchestre, de nombreux chanteurs de cette Blanche-Neige étaient présents sur Mririda : Louise Pingeot, Coline Dutilleul, Camille Tresmontant, Antoine Foulon, Francesca Sorteni, Diego Godoy).
C'est à vous de retrouver votre âme d'enfant et de nous partager vos premiers émerveillements musicaux dans les commentaires :