Ainsi parlait Zoroastre à Versailles
Si Zoroastre est aujourd’hui peu joué, il n’en s’agit pas moins d’une composition ayant profondément marqué l’histoire de l’opéra français. C’est en effet avec cet opéra créé en 1749 que le compositeur prend définitivement ses distances avec les formes imposées par Lully. S’il maintient la primauté du langage, la musique étant composée de manière à ce que le texte puisse être le plus compréhensible possible, il renonce au prologue pour introduire l’opéra avec une ouverture à l’italienne. Le sujet s’éloigne de la mythologie, jusque-là privilégiée, pour s’intéresser au combat de Zoroastre (connu en français sous le nom de Zarathoustra) contre le mage Abramane.
Pour cette représentation en version concert à l’Opéra Royal de Versailles, Raphaël Pichon dirige son Ensemble Pygmalion, sans baguette, mais avec des gestes nets et expressifs. Bien que peu nuancée, l’interprétation donne à entendre un formidable travail sur les équilibres et sur les textures musicales, mettant en avant les qualités individuelles de chaque musicien. Les envoûtantes clarinettes semblent hululer dans leur dialogue avec les violons. Le percussionniste interprète avec précision une partition variant les rythmes et les instruments, et dont les difficiles parties de tambourin et de castagnettes se trouvent parfaitement exécutées (à l’inverse toutefois du triangle, joué étouffé). Deux contrebasses, positionnées de part et d’autre de deux clavecins, font ressortir la chaleur de leurs graves, donnant de la profondeur à l’ensemble. Pour accompagner les récitatifs, un continuo composé des deux clavecins, de l’une des deux contrebasses et de trois violoncelles impose un rythme efficace. Seules les flûtes, pourtant bien mises en valeur par la partition, semblent en retrait, quelques décalages entre les pupitres et un contrepoint manquant de vivacité durant l’air de Céphie de l’acte I, ternissant leur prestation d’ensemble.
Emmanuelle de Negri (Erinice) (© bdllah Lasri)
Le seul reproche pouvant être fait à Nicolas Courjal, interprète du mage Abramane, serait d’écraser de son talent une distribution pourtant de grande qualité. La beauté de son timbre, la puissance de sa voix, l’attention portée au phrasé (et notamment à la prononciation des fins de phrases), mais aussi le plaisir qu’il prend à jouer un méchant odieux (notamment dans son air Que la vengeance a de douceurs à l’acte IV), rendent son interprétation étincelante. Emmanuelle de Negri, qui interprète Erinice, dispose d’une voix légère dévoilant par moment des graves charnus et des aigus puissants. Elle se montre même poignante dans son duo vocalisant avec Nicolas Courjal Volez, volez, troupe cruelle. Elle est touchante à l’acte V, lorsque le repentir lui fait aborder un répertoire pathétique, dans lequel son jeu scénique convaincant soutient sa partie vocale.
Reinoud van Mechelen (Zoroastre) (© DR)
Le rôle-titre est interprété par le ténor Reinoud van Mechelen, dont la voix douce est parfaitement couverte (mais manque parfois de justesse) et dont le timbre est à la fois brillant et onctueux, laissant entendre de beaux aigus. Si ses vocalises manquent de liant, ses notes droites tenues débouchent sur un vibrato délicat. Ses caractéristiques vocales en font un amoureux convaincant (son premier air, A mes tristes regards, est magnifique !), mais il parvient également à insuffler l’énergie attendue d’un guerrier (notamment dans l’air Accourez, jeunesse brillante). Sa prosodie de spécialiste de ce répertoire sert formidablement le texte. Face à lui, Katherine Watson incarne Amélite avec candeur et langueur, notamment grâce à des airs portés par ses vocalises aériennes et agiles et des aigus cristallins (avec une mention spéciale pour son air Non, ce n’est pas toujours pour ravager la terre). Les récitatifs en revanche souffrent d’une prononciation rendant la lecture du livret, inclus dans le programme de salle, nécessaire à la bonne compréhension du texte.
Katherine Watson (Amélite) (© Hugo Bernand)
Christian Immler chante les rôles d’Oromasès et de la Vengeance en apportant une attention et une intention à chaque note et à chaque mot. La puissance lui faisant parfois défaut, il disparaît dans l’ensemble final de l’acte IV, mais sa longueur de souffle lui permet d’interpréter une Vengeance ayant du caractère.
Christian Immler (La Vengeance / Oromasès) (© DR)
Lea Desandre incarne Céphie, la suivante d’Amélite, avec nuance et une prononciation soignée. Si ses graves sont peu puissants, ils dégagent un charme indéniable. Les aigus sont émis sur un fil avec une belle maîtrise. Renforçant le chœur entre leurs interventions solistes, Virgile Ancely et Etienne Bazola sont Zopire et Narbanor, deux lieutenants d’Abramane. Le premier dispose d’une voix chaude avec des graves puissants, tandis que le second brille plutôt par des aigus resplendissants.
Léa Desandre (Céphie) (© DR)
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