Rigoletto à l’Opéra Bastille : double face gagnant
Quinn Kelsey incarne Rigoletto à l'Opéra Bastille © Monika Ritterhaus / ONP
Ironique histoire que celle de Rigoletto, le plus beau des laids. Bouffon lucide, père infanticide, homme maudit. A la mise en scène, Claus Guth noircit le trait de cette dualité propre à Rigoletto dans une esthétique sobre, toute offerte à la puissance des performances théâtrales. Celle de l’acteur Pascal Lifschutz, double ankylosé par le remord, fardé de désespoir, hantant inlassablement la scène pour refaire l’histoire. Celles aussi, époustouflantes, de la distribution vocale qui parvient à graisser les ressorts psychologiques des rôles.
Avec une dramaturgie si bien servie, difficile de comprendre certains choix scéniques. Parfois fâcheux, souvent superflus. En guise de prélude, Pascal Lifschutz grimé en Rigoletto vieillard ouvre « sa » boîte de Pandore, un carton renfermant les reliques de son passé. La posture du flash back choisie par Claus Guth est alors limpide. Une gigantesque boîte en carton servira pourtant de décor aux trois actes. La scène de cabaret qui illustre l’appétence charnelle du Duc de Mantoue n’a que peu d’intérêt, tandis que les rails de cocaïne qu’il s’enfile, narines grandes ouvertes, semblent uniquement servir des envies de provocations. Autant de propositions qui soulignent le propos sans l'enrichir. Accompagnées par des projections surannées venant étayer l’analyse psychologique du metteur en scène, les ombres portées par les lumières d’Olaf Winter offrent avec délicatesse la vision d’une pantomime.
Olga Peretyatko (Gilda) et Quinn Kelsey (Rigoletto) © Monika Ritterhaus / ONP
En Rigoletto, Quinn Kelsey excelle. Sans rouler la bosse du monstre humain, mais en conférant au personnage toute la gravité physique et la densité qui convient, sa longueur de souffle étonne, l’émotion transpire, la voix impressionne de puissance. Sans surprise, ce sera sous un tonnerre d’applaudissements que sera cueilli le baryton aux remerciements émus. Faisant ses débuts à l'Opéra de Paris, Olga Peretyatko rend une Gilda pétulante, prisonnière de son rôle de petite fille. La technique vocale belcantiste est parfaite, les aigus sublimes et son « Caro nome » ou ses duos avec Kelsey sont pétris de grâce. Consommateur effréné de tous les plaisirs, roulant volontiers des mécaniques, le Duc de Mantoue de Michael Fabiano est diablement convaincant. Malgré le ridicule des chorégraphies des filles de revue qui servent de fond, son interprétation de « La donna è mobile » est jouissive.
Le reste de la distribution est remarquable. Du Sparafucile haineux de Rafal Siwek à la séduisante Maddelena, pourtant mal fagotée, de Vesselina Kasarova, en passant par la Giovanna d’Isabelle Druet. Si la prestation vocale des Chœurs de l’Opéra de Paris reste une nouvelle fois à saluer, l’homogénéité du jeu comme celle des déplacements souffrent, plus étonnamment, par moment.
Autre grande réjouissance de cette production, la direction ferme de Nicola Luisotti emmène l’Orchestre de l’Opéra de Paris dans une interprétation fiévreuse de la partition. Sous sa baguette, la phalange profile de formidables nuances tout en ne relâchant jamais la tension dramatique de l’œuvre de Verdi.
Rigoletto, mise en scène de Claus Guth, direction musicale de Nicola Luisotti, du 9 avril au 30 mai 2016, Opéra Bastille. Réservez vos places.
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