L'Orfeo de Rossi redécouvert à l'Opéra Royal de Versailles
Francesca Aspromonte (Eurydice) et Ray Chenez (la Nourrice) © Opéra national de Lorraine
Ce week-end à Versailles, le public de l’Opéra Royal a pu assister à la représentation du premier opéra jamais joué en France, l’Orfeo de Rossi, qui fut donné au Palais-Royal le 2 mars 1647 à l’instigation de Mazarin, devant un public qui comptait le futur Roi Soleil lui-même. L’opéra n’avait jamais été rejoué en France depuis, jusqu’à l’actuelle mise en scène, déjà donnée à l’Opéra de Nancy il y a quelques semaines. Mais l’intérêt de la soirée est loin de se limiter à l’exhumation d’une curiosité historique. Rossi était l’un des musiciens les plus célébrés de son temps, et ce vendredi soir, les richesses de sa partition ont brillé grâce aux talents de la metteuse en scène Jetske Mijnssen, de l’ensemble Pygmalion, dirigé par son fondateur Raphaël Pichon, et d'un plateau vocal de grande qualité.
Scénographe et chef d’orchestre se sont accordés pour épurer le livret d’origine, qui s’étendait sur six heures, et multipliait les intrigues secondaires, le resserrant sur le triangle amoureux Eurydice/Orphée/Aristée. L’œuvre reste malgré tout extrêmement riche en revirement de tonalités, et le tragique peut y céder le pas au burlesque en un clin d’œil. De plus, la trame en est beaucoup plus complexe que celle de son célèbre prédécesseur de près d’un demi-siècle, L’Orfeo de Monteverdi, qui concentre quant à lui son intrigue sur le seul Orphée. Dans la version de Rossi, le personnage d’Aristée, berger épris d’Eurydice, et dont la jalousie entraînera la perte de cette dernière, prend une importance très grande, constituant un protagoniste à part entière, et les personnages bouffes secondaires abondent également, permettant les changements de registres.
Orfeo mis en scène par Jetske Mijnssen © Opéra national de Lorraine
Sur la scène, les trois chanteuses principales se montrent à la hauteur de leur partition. La soprano Judith Van Wanroij incarne le rôle-titre avec noblesse, et la mezzo Giuseppina Bridelli est un Aristée névrosé et passionnel, capable de susciter aussi bien l’apitoiement du public sur sa déception amoureuse que la répulsion face aux extrêmes meurtriers auxquels la jalousie le mène. Quant à la soprano Francesca Aspromonte, son interprétation extraordinaire de l’air de l’agonie saisissante de douleur et de vulnérabilité, qui précédait le tomber de rideau de l’entracte, n’était pas pour peu dans les applaudissements effusifs qui ont suivi. Du côté des seconds rôles, les contre-ténors travestis Ray Chenez (la Nourrice) et Dominique Visse (La vieille fille), ainsi que le baryton Marc Mauillon (Momus) donnent une performance aussi survoltée que désopilante, assurant les parties comiques de l’œuvre avec brio. Quant à la basse caverneuse de Luigi de Donato (Pluton), elle confie une autorité lugubre au monarque infernal.
La scénographie conçue par Jetske Mijnssen et son décorateur Ben Baur est épurée, lisible et élégante. Si les costumes modernes et la décoration évoquent un mariage bourgeois contemporain, lorsqu'un simple rideau noir vient masquer la scène et ses boiseries, tout s’efface alors pour laisser place au domaine mythique des enfers, peuplé de mystérieuses créatures à masques d’animaux dessinant leurs silhouettes difformes sur l’arrière-plan. La metteuse en scène a souhaité rapprocher l’œuvre de notre époque tout en laissant une part importante à l’imaginaire, et en conservant une dimension intemporelle. Son dispositif réussit à tenir cette ambiguïté tout en restant cohérent.
Orfeo de Luigi Rossi, mise en scène de Jetske Mijnssen, direction musicale de Raphaël Pichon. Vendredi 19, samedi 20 février, Opéra Royal de Versailles. L'Orfeo sera joué en 2017 au Théâtre de Caen et à l'Opéra national de Bordeaux.
(Cover : © Opéra national de Lorraine)