Mithridate, une prise de risque gagnante pour le TCE
Mithridate fait partie des opéras difficiles à monter. Vocalement d’abord, les qualités exigées de ses interprètes sont gigantesques, y compris pour les seconds rôles : aucun personnage ne souffre d’être interprété par un chanteur moyen. Dramatiquement ensuite, certains personnages évoluent de manière quasi-invraisemblable (Pharnace abandonne par exemple le trône qui lui est promis ainsi que son amour pour Aspasie, pour lesquels il était jusque-là prêt à trahir père, frère et patrie, pris d’un remord soudain au moment d’achever son œuvre) au fil de vingt-deux longs airs, souvent de forme da capo (c’est-à-dire avec une reprise ornementée, de forme ABA’). Pourtant, écrit à 14 ans par un Mozart déjà génial, l’opéra n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre qui mérite que les théâtres prennent le risque de s’y frotter.
Concernant la partie musicale, le risque du Théâtre des Champs-Elysées, en l’occurrence, a payé. Pour son premier Mithridate, Emmanuelle Haïm, à la tête de son Concert d’Astrée, dirige magnifiquement l’ensemble, de sa gestique si particulière, par laquelle elle insuffle vie, nuances et majesté, tout en soignant chaque attaque, pour un résultat presque parfait (à un petit décalage entre pupitres et quelques dérapages du cor soliste près). Sur scène, Michael Spyres s’attaquait à la colossale partition du rôle-titre (qu’il reprendra en mai à la Monnaie) avec un grand atout dans sa poche : son jeu d’acteur par lequel il a su faire exister son personnage, dont la psychologie évolue à chaque air, de manière extrêmement crédible. Sur l’immense tessiture exigée par le rôle, il offre des graves et des médiums d’une chaude autorité, portés par un souffle admirable. Il doit en revanche forcer ses aigus dans la première partie, manquant dès lors parfois de justesse. Il s’y trouve cependant plus à l’aise dans la seconde, lorsque son personnage se montre plus belliqueux.
Michael Spyres et Patricia Petibon dans Mithridate (© Vincent Pontet).
Face à lui, Patricia Petibon, marraine de la prochaine édition de Tous à l’Opéra, incarne une Aspasie déchirée et déchirante, surexploitant parfois des graves manquant de puissance, mais offrant des bijoux de nuances de sa voix ample et parfaitement agile. Son amant, Xipharès, fils de Mithridate, incarné par la soprano Myrto Papatanasiu a également fait grande impression. Ses aigus d’une grande pureté sont ornés de vibratos finement ciselés. Mais cette artiste complète porte également de ravissants graves. La projection de la voix est si bien maîtrisée qu’elle parvient à piquer les notes de son premier air avec une facilité déconcertante.
Myrto Papatanasiu et Christophe Dumaux dans Mithridate (© Vincent Pontet).
Le traître Pharnace est porté à bout de bras par le contre-ténor Christophe Dumaux qui, après un premier air manquant légèrement de puissance, a su affirmer un personnage perdu dans ses propres contradictions, touchant dans le final. Manquant parfois de puissance, notamment dans les graves, il offre des aigus lumineux et des ornementations d’une grande précision. Sabine Devieilhe, qui campe Ismène, est l’une des très grandes satisfactions de la soirée. La musicalité de ses interventions, alliée à une incarnation des plus habitées lui a valu de nombreuses acclamations. Sa virtuosité, que l’on ne découvre pas, et qui s’exprime tant dans ses vocalises suraiguës que dans ses médiums charnus, s’enrichit de nuances et d’un profond caractère. Le choix du metteur en scène Clément Hervieu-Léger de ne lui couper aucun air fait office d’évidence tant elle apporte de vitalité à l’ensemble.
Les deux seconds rôles, particulièrement complexes, sont ici tout à fait soignés. Jaël Azzaretti campe un Arbate à la fois autoritaire et conciliant, usant d’un jeu tout à fait convaincant et montrant une grande sûreté dans son chant. Cyrille Dubois, dans le rôle de Marcius fait montre d’une grande vélocité et d’une belle agilité pour s’acquitter avec brio des vocalises enflammées qui lui sont réservées.
Mithridate par Clément Hervieu-Léger au TCE (© Vincent Pontet).
Le parti-pris de Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie-Française, fut en revanche plus discuté par le public au moment des saluts. La faute, comme souvent dans les mises en scènes contestées, à un trop grand nombre d’idées abandonnées dans une cohérence insuffisante, et dont la lecture en est brouillée. Sa proposition artistique prend la forme d’un hommage esthétique à Chéreau, auquel il faut ajouter la volonté de l’homme de théâtre de confronter l’œuvre lyrique à son origine, à son Racine. D’où le décor représentant une salle de théâtre en déconfiture, meublée de quelques sièges épars surplombés d’une loge, face à une scène désertée. Pour signifier ce théâtre dans le théâtre, les personnages jouent avec leurs costumes et Mithridate se relève peu après sa mort pour se joindre aux autres personnages durant l’ensemble final. Le metteur en scène pointe la puissance supérieure de l’opéra en affirmant la féminité des chanteuses travesties (pour les rôles de Xipharès et d’Arbate), loin de la représentation théâtrale des guerriers qu’elles doivent jouer : « je crois à ce lieu magique où une femme peut dire "je suis un homme" sans que personne ne s’avise d’en douter », explique-t-il d’ailleurs dans sa note d’intention. Mais voilà, ces idées servent plus la théorie artistique qu’une dramaturgie déjà complexe. Elles accentuent les invraisemblances originelles du livret. Surtout, elles n’apportent que peu de jeu durant les airs qui sont dès lors peu mis en valeur. C’est ainsi qu’il faut attendre l’avant-dernière scène pour voir la première interaction entre les personnages et le décor (lorsque Marcius pointe un projecteur sur le trône espéré par Pharnace). Du travail de mise en scène, nous retiendrons donc d’abord le goût du jeu théâtrale que le comédien a su partager avec les chanteurs, afin d’en sublimer la performance.
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