La Flûte à Sanxay ou Mozart au cœur du Poitou
Au tournant des années 2000, Christophe Blugeon et son frère Mathieu ont eu l'idée de monter un festival d'opéra dans les ruines du théâtre gallo-romain de Sanxay, au bord de la Vonne (qui participe de la magie acoustique des lieux). Leur objectif était à la fois de combler un vide dans la région Poitou-Charentes, la seule de métropole à être jusqu'alors dépourvue de scène lyrique, et démontrer que le genre opératique n'était pas réservé à une élite urbaine. Les contraintes financières et la jauge de la « salle » (plus de 2.500 places) incitent à une juste prudence dans la programmation, surtout quand on se refuse à tout compromis dans la qualité du spectacle. Sans négliger le rayonnement de la manifestation, qui rivalise en nombre de spectateurs avec Orange et Aix-en-Provence, le public local n'est pas méprisé : le prix des billets, sans commune mesure avec les rendez-vous méridionaux, reste tout à fait raisonnable (on compte même des places au prix d'une entrée de cinéma tout en haut des gradins, dans la verdure).
Les saluts (© DR)
La Flûte enchantée de Mozart réglée par Stefano Vizioli tire habilement parti des contraintes du site et des conditions de plein air. S'appuyant sur le décor naturel, la scénographie de Keito Shiraishi constitue un support efficace pour l'imagination, et s'inscrit harmonieusement dans la conception générale du spectacle, où une troupe de danseurs cambodgiens de l'Amrita Performing Arts vient illustrer un parallèle imaginé entre cette tradition orientale et le drame de Schikaneder. La poésie onirique des lumières de Nevio Cavina met en relief les projections vidéos colorées, simples mais évocatrices des situations et des personnages (à l'exemple des étoiles pour la reine de la nuit) et souligne les ressorts comiques de l'intrigue. La production n'oublie pas que dans son singspiel (l'opéra-comique allemand : parlé-chanté) maçonnique, Mozart s'adressait à la part enfantine de son public pour l'élever spirituellement – le serpent qui menace Tamino prend ainsi l'allure d'un redoutable dinosaure fluorescent sorti de Jurassic Park, tandis que des figurants déguisés en volatiles chamarrés caquettent autour de l'oiseleur Papageno, témoins de la fantaisie des costumes dessinés par Sébastien Maria-Clergerie.
Paolo Fanale (© DR)
Avec son timbre lumineux et sa ligne claire et élégante, Paolo Fanale s'affirme comme l'un des meilleurs ténors de sa génération, idéal dans le belcanto italien comme dans le registre mozartien, et son Tamino rayonne avec un évident naturel dès la rêverie sur le portrait de sa promise. La noblesse de l'incarnation préserve cependant avec justesse l'innocence du prince. En Pamina, Tatiana Lisnic dévoile une chair vocale contrastant avec les interprétations plus légères qui prévalent parfois dans le rôle, sans pour autant appuyer la dramatisation. Quant à Giorgio Caoduro, il s'avère impossible de résister à la gouaille de son Papageno, magnifiée par une belle plénitude de moyens. Plus qu'un cisèlement intellectuel du texte, le baryton italien investit admirablement les sentiments de son personnage et dégage une chaleur savoureuse, sinon latine.
Giorgio Caoduro et Mélanie Boisvert, Papageno et Papagena (© DR)
Le Sarastro de Luiz-Ottavio Faria se reconnaît par sa solidité, tandis que Christina Poulitsi fait ça et là entendre l'effort d'une virtuosité néanmoins sans accroc en Reine de la nuit. L'estimable trio de dames présente l'avantage de distinguer les solistes, de la première, Andreea Soare, ancienne pensionnaire de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris, à la troisième, bien poitrinée de Svetlana Lifar, en passant par la seconde, Aline Martin. Mélanie Boisvert séduit en Papagena, quand Rodolphe Briand résume la cruauté veule et ridicule de Monostatos. Mentionnons encore l'Orateur de Balint Szabo, également premier prêtre et second homme d'armes aux côtés de Yu Shao, second prêtre et premier homme d'armes, ainsi que les trois enfants issus de la maîtrise de la Chorakademie de Dortmund. Saluons enfin les chœurs préparés avec soin par Stefano Visconti, ainsi que la direction d'Eric Hull, attentive aux chanteurs.
Christina Poulitsi est la Reine de la Nuit (© DR)