The Best of Berlioz in Exeter Hall à La Côte-Saint-André
Si l’on retient aujourd’hui Hector Berlioz comme un grand compositeur romantique français, il ne faut pas oublier une autre de ses nombreuses casquettes pour laquelle il était pourtant très reconnu : la direction. C’est justement en tant que chef d’orchestre qu’il est invité en 1852 à collaborer à une série de six concerts exceptionnels à l’Exeter Hall de Londres, à la tête d’un orchestre formé pour l’occasion, The New Philharmonic Society. Le programme de ce soir est un choix d’œuvres parmi ces concerts très divers, caractéristiques de Berlioz et de l’impact de sa venue en Angleterre. L’idée est originale et intéressante, toutefois, le programme surprend par son hétérogénéité de genres et d’époques, avec des transitions esthétiques entre les œuvres douteuses, voire inexistantes.
Mozart débute le concert, avec l’ouverture de sa Flûte enchantée (1791). L’Orchestre du Pays de Savoie s’échauffe rapidement, permettant d’apprécier la justesse, la précision et l’équilibre des cordes. Suit la seconde ouverture de la soirée : celle de Fidelio de Beethoven. Initialement titré Léonore, cet unique opéra du compositeur viennois a causé beaucoup de peine à son auteur, qui en fit deux versions (1805 et 1815) et quatre de l’ouverture. C’est la deuxième que l’on entend ici. Les cordes montrent encore leur belle capacité à créer une ambiance feutrée. Cependant, les graves des violoncelles, aux belles intentions mélodiques, manquent un peu pour avoir l’assise idéale. La prestation des vents est très belle, mais quelques notes d’un des instrumentistes à anche dérangent par leur justesse. L’orchestre dans son ensemble possède une riche palette de belles couleurs. C’est que justement le chef d’orchestre Nicolas Chalvin est un peintre : par ses gestes vifs qui accompagnent chaque intention de chaque pupitre, la minutie de la préparation et la maîtrise totale du chef sont visibles.
Le chef Nicolas Chalvin (© Festival Berlioz - Simon Barral-Baron)
Le Triple concerto de Beethoven, créé en 1804, n’est pas une œuvre fréquemment jouée, devant réunir un trio de solistes de qualité. Dès ses premières notes, le Guarnerius (instrument de 1748) de Jean-Marc Phillips-Varjabédian impressionne par son émission facile d’un son clair et lumineux. Le violoniste marque aussi par sa précision et sa propreté. Toutefois, son sérieux trop visible par l’absence d’expressions physiques et un jeu monotone, d’abord technique, finissent par lasser. Peut-être finit-il par l’être aussi, la toute fin de l’œuvre trahissant une baisse de clarté et d’exigence dans la justesse des aigus. Les autres membres du trio sont très différents, avec davantage de complicité. Par rapport au son puissant de l’instrument de son frère, le violoncelle Goffriller (1710) de Xavier Phillips sonne en retrait et paraît moins précis. Mais il fait preuve de beaucoup plus d’expressions, visuelles et musicales. Sa technique maîtrisée sert ses intentions et lui permet de proposer différents timbres. Il est étonnant qu’il n’ait pas profité de son solo intimiste du deuxième mouvement pour jouer moins loin du chevalet, son instrument sonnant alors toujours dans la force du concertiste. Apprécions également les phrases chantées du pianiste François-Frédéric Guy, dont le souffle est certainement aidé par ses marmonnements silencieux. Très à l’écoute du chef et de ses collègues, il leur répond toujours avec intelligence, subtilité ou virtuosité.
Le Triple Concerto (© Festival Berlioz - Simon Barral-Baron)
La deuxième partie ce concert présente deux courtes œuvres lyriques, interprétées par la souriante Adèle Charvet. Dès les premières notes du récitatif précédent l’air de Sesto « Svegliatevi nel coro », extrait du célèbre Giulio Cesare de Haendel créé à Londres en 1724, la mezzo-soprano fait preuve d’assurance et d’une agréable présence scénique. Dans la Tarentelle de Rossini (1835), son plaisir est vraiment communicatif et partagé. Son timbre est agréable, ses vocalises maîtrisées, mais la chanteuse manque malheureusement de graves et de consonnes.
Adèle Charvet, sous la direction de Nicolas Chalvin (© Festival Berlioz - Simon Barral-Baron)
Intercalé entre ses deux œuvres lyriques, le Konzertstück de Weber est assuré par la pianiste Marie-Josèphe Jude. Lors de la prestation de 1852, la soliste était Camille Moke, ex-fiancée de Berlioz. Ce dernier, dont le caractère est connu, profita de l’occasion publique pour se venger subtilement d’une rupture difficile. Heureusement, la prestation de ce soir ne pâtit d’aucune tension, bien au contraire : l’orchestre semble très à l’aise dans ce répertoire et paraît surtout y prendre un réel plaisir, saluant chaleureusement la pianiste. Celle-ci fait preuve de très belles couleurs : son toucher est poétique dans la première partie, robuste dans la deuxième, dansant et souriant dans les deux dernières. Marie-Josèphe Jude n’use d’aucun excès démonstratifs, assurant avec sérieux la partition.
Marie-Josèphe Jude (© Festival Berlioz - Simon Barral-Baron)
Pour terminer, l’orchestre interprète une joyeuse Marche nuptiale, extrait du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (1826), manifeste de la passion commune de Berlioz et du public anglais : le théâtre shakespearien. Œuvre célébrissime, popularisée pour les cérémonies de mariage depuis celui, en 1858, de la princesse Vicky, fille de la reine Victoria, et du prince Frédéric de Prusse, et toujours plaisante pour le grand public, elle est bissée entièrement, terminant ainsi sur un doublement de bonne humeur une soirée, certes hétérogène, mais riche de beaux moments de musique.