Turandot tout en contrastes au Festival Puccini de Torre del Lago
L'action se déroule à Pékin, en des temps légendaires, devant le palais impérial. Les décors de Carla Tolomeo, très bien éclairés par Valerio Alfieri sont simples mais très beaux. Le premier évoque ici la Cité interdite, où résidaient les empereurs de Chine. Une loi sévit alors : le Prince qui résoudra les trois énigmes proposées par la princesse Turandot obtiendra sa main, mais s’il échoue, il mourra. C’est-là ce qui arrive à un Prince de Perse, qui est donc décapité. Le rôle du Mandarin qui énonce la loi et annonce les choses est tenu par Carmine Monaco D’ambrosia.
Dans le tumulte, un vieillard tombe et est secouru par un jeune homme, Calaf (Amadi Lagha), qui reconnaît aussitôt son père, Timur, roi détrôné de Tartarie. Par crainte que Calaf ne se fasse assassiner, Timur garde secrets le nom et le titre de son fils et lui révèle que Liù est la seule personne qui lui soit restée fidèle. Amadi Lagha (Calaf) chante alors son premier air Non piangere Liu, avec émotion.
Angela De Lucia - Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
Timur est incarné par George Andguladze, qui malgré une très belle présence scénique est un peu effacé vocalement. Liu (Angela De Lucia) est également très présente scéniquement, notablement grâce à l'attention que le metteur en scène focalise sur elle. La voix peine toutefois à se faire entendre, dans ce lieu et avec ces partenaires principaux.
Les costumes (Fausto Puglisi) sont très beaux, de bon goût, même ceux plus simples des Tartares (Timur, Liu et Calaf), cependant que ceux de la Cour impériale chinoise sont somptueux. On procède à l’exécution. La cour paraît et Calaf est ébloui par la beauté de Turandot. Il décide alors de relever le défi des trois énigmes.
Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
L’entracte permet d’admirer le beau théâtre en plein air construit pour accueillir l’institution que représente ce Festival depuis plus de 60 ans. Un temple dédié à Puccini où les plus grands sont venus et continuent de venir. De très grandes dimensions (pouvant accueillir plus de 3.000 personnes) : malgré sans doute le souci de faire au mieux lors de la construction, la projection vocale n’y est pas favorisée. Les premiers rôles, choisis pour leur notoriété ou leur compétence à assurer avec efficacité leurs parties, sont parfaitement calibrés de ce point de vue là. Les seconds rôles souffrent déjà d’un déficit d’audibilité qui parfois nuit à la simple réception de leur prestation. Les petits rôles, confiés à de jeunes chanteurs (issus le l’académie liée au Festival ou non) sont hélas sous dimensionnés et vraiment peu audibles. Cela s’était déjà vérifié lors d’une Bohême au début de cette édition où, hormis Piotr Beczala et Karine Babajanyan dans les deux rôles principaux, seul Raffaello Raffio menait sa barque dans le rôle de Marcello et tirait véritablement son épingle du jeu.
À la reprise, dans un pavillon du palais (magnifique décor) paraissent les trois ministres (Ping, Pang et Pong) qui espèrent que l’amour touchera enfin le cœur de Turandot. Ces trois rôles inspirés par la tradition de la Commedia dell’arte sont assez importants car ils permettent d’articuler l’action. Pang (Ugo Tarquini) et Pong (Tiziano Barontini) sont deux ténors de caractère, parfaitement à leur place dans ces rôles traités sur le mode burlesque par le metteur en scène (en droit fil d’une longue tradition d’interprétation). Ping (Andrea Zaupa) est un baryton, qui a de la prestance et qui, lorsqu’il est associé aux deux autres, remplit parfaitement son office, mais qui, et cela arrive souvent pour ce rôle, lorsqu’il est tout seul est lui aussi moins sonore. Le trio est néanmoins convaincant et assure avec brio les diverses interventions tout au long de l’œuvre.
Ping, Pang et Pong - Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
Calaf que le trio va tenter de dissuader s’adresse alors (de dos dans cette mise en scène, mais parfaitement efficace) à l’empereur juché majestueusement sur son trône, en haut d’un grand escalier, pour réclamer l’épreuve. L’empereur est un rôle peu développé et est souvent confié à un chanteur moins en vue, l'enjeu est alors ici pour lui de percer l'orchestre.
La foule se rassemble pour assister à la série de questions que le nouveau prétendant va subir, en face du palais. Paraît alors Turandot (Martina Serafin) qui raconte (In questa reggia) l’histoire de son aïeule, Lo-u-ling, laquelle avait péri de la main d’un étranger : elle a forgé cette épreuve afin de la venger. Martina Serafin déploie sa somptueuse voix et sait ne pas faire de Turandot le personnage d’airain glacial et monolithique parfois dépeint. Elle y met des nuances qui déjà à ce stade du récit humanisent un peu cette princesse irascible.
Martina Serafin - Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
Elle pose sa première énigme, dont le prince trouve aussitôt la réponse : l’espoir. Le trouble s’installe, mais la seconde est plus difficile. Calaf hésite, puis répond : le sang. Le trouble grandit chez Turandot qui énonce alors la troisième énigme à laquelle Calaf répond triomphalement : Turandot ! Dans cette production, et ce sera là la seule innovation d’une mise en scène par ailleurs classique mais convaincante, c’est Liu qui souffle les réponses à Calaf. C’est un séisme ! Affolée, Turandot supplie son père de la délivrer de son vœu. Calaf, inconscient ou magnanime, lui propose à son tour une énigme : si elle parvient à percer le secret de son nom avant l’aube, alors il mourra comme s’il avait échoué à l’épreuve. Ces deux personnages semblent atypiques dans l’univers puccinien, Turandot et Calaf ressemblent plus à des personnages héroïques que sentimentaux, même si l’un agit sous l’emprise d’une passion soudaine et si l’autre finit finalement terrassée par l’amour.
Amadi Lagha - Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
Après un second entracte, dans les jardins du palais, Turandot ordonne que personne ne dorme avant que ne soit découvert le nom du prince inconnu. Elle erre visible au dessus des murailles qui enserrent le palais et devant lesquelles Calaf rassemble son courage (superbe image). C’est le moment du grand air, Nessun dorma, que Amadi Lagha entonne avec conviction et raffinement. Le public transporté réclame et obtient un bis. Cette pratique rare en France, pour des raisons de logique narrative, est assez fréquente en Italie où, finalement, Nessun (nul) ne vient découvrir une histoire déjà connue mais vibrer à la manière dont elle est représentée. Le fait d’interrompre le temps de l'histoire ne pose alors aucun problème. Vient ensuite le grand air de Liu, Tu che di gel sei cinta, dont Angela De Lucia s’acquitte bien mieux que ses précédentes interventions, avant que la belle scène de reproches et d'aveu entre Calaf et Turandot, ne révèle les aspects plus sensibles des caractères et des voix : les parties en duo répondent ici avec humanité aux duretés pleines de défi à la fin d'In questa reggia.
Turandot par Alfonso Signorini (© Festival Puccini)
Mentionnons enfin la dernière partie de l'histoire, notamment pour un petit passage cocasse. En face du palais, à l’aube, Turandot et Calaf paraissent devant l’Empereur. Turandot déclare qu’elle connaît le nom de l’étranger : il s’appelle... Amour. S’ensuit un finale triomphant où l’union est désormais désirée et programmée. Une couronne apparaît alors traditionnellement qui doit réunir les deux héros. Ici, elle est censée être déposée par eux sur la tête de Liu qui après son sacrifice, gît au devant de la scène. Malencontreusement égarée, ce couronnement de Liu sans couronne désarçonne les héros et tombe un peu à plat, elle qui venait conclure la logique de personnage poursuivie par le metteur en scène. Le 16 avril 2016, Jonas Kaufmann avait longuement attendu qu'entre la soprano Angela Gheorghiu dans Tosca à Vienne après le bis d'E lucevan le stelle, au point qu'il avait déclamé au public amusé, pendant le spectacle, Non abbiamo il soprano ! Les artistes de Turandot auraient pu dire Non abbiamo la corona !
L’orchestre tient son rôle, sous une direction sans surprises (alors que le même orchestre dans La Bohême du 21 juillet était éblouissant sous la direction poétique et émouvante de James Meena). Le chœur également assure son rôle, même si les chanteurs ici réunis n’ont pas tous une expérience scénique et une concentration sur la durée (la conscience de faire image ensemble n’est pas partagée et surtout se perd au fil du temps).
Le public réserve un triomphe mérité à Martina Serafin et à Amadi Lagha, ainsi qu’au metteur en scène (homme de télévision célèbre en Italie).