I Puritani de Bellini ouvre le Festival Radio France Montpellier Occitanie !
Né en 1801 à Catane, ville sicilienne au pied de l’Etna, Vincenzo Bellini fait une carrière à succès, d’abord à Naples puis à Milan et enfin (brièvement) à Paris. Il reçoit en 1834 deux commandes, l’une du directeur du Théâtre des Italiens (Paris), Carlo Severini, et l’autre du San Carlo de Naples. Donnant priorité à la capitale française, il envisage d'emblée de créer une version révisée de l’œuvre créée à Paris au public napolitain. Lors de soirées mondaines parisiennes, Bellini rencontre le Comte Carlo Pepoli, jeune poète italien exilé, avec qui il décide de collaborer pour cette commande. La version de Naples, en deux actes (au lieu de trois), transpose le rôle de Riccardo pour ténor et la tessiture d’Elvira se voit élargie et parfois plus virtuose. Première œuvre de Bellini composée pour le public français, aux exigences différentes que celui italien, I Puritani est une œuvre à part dans son catalogue, la couleur harmonique, ainsi que l’utilisation plus développée et plus soignée de l’orchestre, sublimant un texte souffrant de l’inexpérience de son nouveau librettiste. L’œuvre est créée le 24 janvier 1835 et reçue en grand triomphe. Il s'agit du dernier opéra du compositeur italien, qui décède en septembre 1835 à Puteaux. La version napolitaine n'est ainsi pas créée comme prévue : il faut attendre la redécouverte de cette version pour qu’elle soit créée à Londres en 1985.
Karine Deshayes, René Barbera, Jader Bignamini, Nicola Ulivieri, Celso Albelo, Orchestre national Montpellier Occitanie (© Marc Ginot)
Parmi les intrigues qui lui sont proposées, il choisit un sujet basé sur le drame historique Têtes rondes et cavaliers de Jacques-François Ancelot et Joseph-Xavier Boniface dit Saintine, créé au Théâtre national de Vaudeville (Paris) en septembre 1833. L’intrigue est la suivante : en 1649, en pleine guerre civile contre les partisans des Stuart – anglicans et royalistes –, le commandant puritain Walter Walton – calviniste et pro-Cromwell –, encouragé par son frère Giorgio, prépare les noces de sa fille Elvira avec Lord Arturo Talbot, pourtant partisan des Stuart. Mais Sir Riccardo Forth, fidèle puritain, est amoureux d’Elvira. Alors que les noces vont débuter, Lord Walton revient de mission avec une précieuse prisonnière : la reine Henriette, veuve de Charles Ier. Suivent des péripéties d’Arturo qui, préférant sacrifier son amour plutôt que sa reine, sauve cette dernière en dépit de son mariage, étrangement encouragé par le jaloux Riccardo. Le triomphe parisien des Puritains est en partie dû au talent et à l’homogénéité des quatre chanteurs principaux (Elvira, Arturo, Riccardo et Giorgio), que l’on appelle alors le « quatuor des puritains ».
Karine Deshayes, Celso Albelo (© Marc Ginot)
Karine Deshayes, en tête d’affiche, est évidemment la diva de la soirée, dans une belle et sobre robe de satin bleu marine. Sa voix est si claire, si habile, que l’on pourrait penser qu’elle est soprano. Mais il suffit de la rondeur de quelques passages graves, joliment colorés, pour rappeler qu’elle est mezzo-soprano. Sa projection naturelle lui permet de se faire entendre comme elle le souhaite, avec des piani qui peuvent sembler fragiles mais toujours présents. D’une présence scénique assumée sans excès, Karine Deshayes est très attentive à ses collègues et particulièrement au chef, semblant presque ne pas toujours comprendre ses gestes, d’où cette attention particulière. Sans doute n’est-elle pas à l’aise avec la battue « à l’allemande », avec une certaine avance du geste sur la musique, accusant fréquemment de l’avance avec les bois qui l’accompagnent. Malgré tout son talent, l’intelligibilité de son texte manque parfois de précision (dans notre ère moderne, les surtitres rendraient presque ce paramètre optionnel). Comédienne, son Elvira est vivante, certes loin de la folie, mais désespérément touchante. Chantant souvent depuis les coulisses, cette voix semblant venir de nulle part est angélique, comme si le public se trouvait dans le rêve d’Arturo.
Karine Deshayes (© Marc Ginot)
Cet Arturo est incarné par le ténor espagnol Celso Albelo (récent Duc dans Rigoletto à Orange). Étrangement, il semble gagner en forme au fil de la soirée. Arrivé sur scène avec une certaine aisance, voire insolence, le début de son chant paraît débuter prudemment, avec parfois des respirations excessives, des aigus un peu bas et forcés. Pourtant, la voix est tout de suite jolie, prouvant une technique maîtrisée. Puis vient le second acte, où tout son talent peut s’exprimer, grâce à de belles mélodies seul ou en duo avec Elvira. Son monologue de la scène 4, particulièrement son « La mia canzon d’amor ! » (Ma chanson d’amour !), est très bien préparé. On regrette toutefois de ne pas ressentir « toute l’ardeur de la passion » requise par le compositeur et comme on l’aurait rêvé. Pour s’aider dans les aigus, il lui arrive de se placer sur la pointe des pieds, enlevant alors en expressivité et en spontanéité. Cependant, le long duo Elvira/Arturo de la scène suivante est très applaudi, Karine Deshayes absolument parfaite et Celso Albelo gagnant encore en assurance, tant vocalement que gestuellement.
Celso Albelo (© Christian Bernateau)
Le ténor américain René Barbera interprète le jaloux mais vaillant Riccardo, dont le timbre très agréable est apprécié, lumineux. Ses aigus sont scintillants, particulièrement son puissant contre-ré ponctuant son touchant « D’un tenero d’amor ! » (D’un tendre amour – acte I, scène 3), qui est bien sûr fort salué par le public. Heureusement que le chanteur se laisse entraîner par l’orchestre, car il semble vouloir trop souvent prendre du temps. La basse italienne Nicola Ulivieri est ici l’oncle Giorgio Valton. Pour lui aussi, il semble que le tempo aurait mérité d’être ralenti, mais les instrumentistes tiennent bon. Le timbre est joli, la technique est bonne. Il lui manque sans doute un peu de caractère et de profondeur.
Jader Bignamini, Karine Deshayes, Nicola Ulivieri (© Marc Ginot)
La pauvre, mais sauvée, reine Henriette d’Angleterre est incarnée par la mezzo-soprano italienne Chiara Amarù, au timbre agréable, dont on sent la personnalité, mais qui se trouve régulièrement couverte par l'orchestre. C’est aussi le cas, heureusement dans une moindre mesure, du Bruno du ténor russe Dmitry Ivanchey. La projection de sa belle et solide voix est pourtant bonne, mais l’orchestre ne semble pas l’écouter suffisamment pour l’accompagner comme il l’aurait fallu. Enfin, Lord Gualtiero Valton est interprété par la belle basse coréenne Kihwan Sim, puissante et profonde, aux très jolis graves.
Les Puritains en version concert (© Marc Ginot)
L’Italien Jader Bignamini dirige par une gestuelle efficace et dynamique, sobrement, impulsant le jeu dansant ou encourageant à la douceur. En bon musicien connaissant l’œuvre, il sait mettre en valeur les richesses harmoniques qui lui sont particulières. L’Orchestre national Montpellier Occitanie encore plus sobre et sérieux, joue avec de belles couleurs d’accompagnement. Les cordes sont très propres, les basses impeccables, les violons accusant néanmoins quelques imprécisions, se trouvant même parfois quasiment à contretemps. Le pupitre de bois est très à l’écoute des chanteurs qu’il double souvent. Les cuivres, aidés des percussions, sont très bien mais, entraînés par l’élan de la musique, ont trop souvent tendance à couvrir les chanteurs dans les parties tutti. Bien que les ténors des chœurs de l’Opéra national Montpellier Occitanie et de la Radio Lettone fassent d’abord un départ un rien hasardeux, ils font preuve de subtilités ou de puissance tout au long de l’œuvre.
Jader Bignamini, René Barbera (© Marc Ginot)
L’œuvre finit par un joyeux final, le public, conquis, ne pouvant résister et attendre que l’orchestre ne pose les derniers accords pour applaudir chaleureusement les solistes et les musiciens. Lors du dernier rappel, ils ont droit au lever du public, enthousiaste, sous le regard triomphateur de Celso Albelo et celui reconnaissant de Karine Deshayes.