Magnifique récital de Damien Guillon et du Banquet Céleste au Festival de Beaune
Pour clore ce premier week-end du Festival international d’opéra baroque de Beaune, le contre-ténor Damien Guillon a carte blanche avec Le Banquet Céleste, son ensemble de musiciens solistes spécialisés dans l’interprétation du baroque créé en 2009.
Lorsqu’il devient cantor à l’école Saint-Thomas de Leipzig en 1723, Bach a pour fonction, entre autres, de composer une Kirchenmusik pour chaque dimanche et fêtes. Au total, cela représente plus de trois-cents cantates, dont moins de deux-cents nous sont connues aujourd’hui. Ces œuvres, généralement en deux parties de structure libre, comme l’effectif instrumental – en fonction de la disponibilité des musiciens –, sont semblables à un « concerto d’église » ; la première partie précédant le sermon et la seconde partie étant exécutée par la suite. La cantate est une exégèse de la lecture de l’Évangile lu juste avant, déterminée selon un calendrier bien précis.
Gott soll allein mein Herze haben BWV 169 (Dieu seul doit posséder mon cœur) est composée en 1726 et se concentre sur l’amour de Dieu. Cette cantate commence idéalement la soirée avec une sinfonia, véritable concerto pour orgue et orchestre. Le jeu de l’organiste Kevin Manent est brillant, avec toutefois, mais rarement, un clavier un rien savonneux. L’excellent Banquet Céleste marque tout de suite par son homogénéité, à la justesse parfaite – malgré les instruments d’époque –, assurément grâce à la complicité des musiciens qui n’hésitent pas à se regarder pour être ensemble et échanger quelques sourires. Damien Guillon dirige cette introduction avec simplicité et efficacité, donnant l’impulsion nécessaire sans aucun superflu, ne manquant certainement pas de confiance en son ensemble. Le travail du texte du contre-ténor est patent, chantant avec intelligence et sincérité. Sa voix est très agréable, colorée avec rondeur et pureté, et subtilement dosée en fonction de l’expressivité recherchée. Les graves du chanteur sont très beaux mais limités, on désirerait les entendre bien davantage. Lors des récitatifs, on apprécie particulièrement le beau son rond et chaud du violoncelliste Julien Barre. L’orgue a assurément une fonction toute particulière dans cette cantate, mais il couvre un clavecin disparaissant quasiment dans les récitatifs.
Le Banquet Céleste (© DR)
Ich habe genug BWV 82 (Je suis comblé) est composée en 1727 et traite de l’histoire de Siméon, homme « juste et pieux » du récit biblique, qui reconnaît le Messie en l’enfant Jésus à l’occasion d’une visite au Temple : sa vie est ainsi accomplie et il peut mourir dans la joie. La deuxième aria est une Schlummerarie (aria du sommeil), une sorte de berceuse accompagnant le mourant. La cantate débute par un très chantant solo de hautbois, très musicalement interprété par Patrick Beaugirard. L’entrée de Damien Guillon trahit une intention légèrement différente que celle insufflée précédemment par le hautbois, un peu moins introspective, pour cependant la retrouver dès la seconde partie de l’aria, Ich hab ihn erblickt (Je l’ai contemplé), jusqu’au da capo. Cette première aria, grâce à la voix de Damien Guillon et son ensemble, transmet un réel sentiment de plénitude et de contemplation. La communication du contre-ténor lors des récitatifs paraît toujours sincère, racontant vraiment son texte auprès de son public, très attentif. Là encore, le travail minutieux d’homogénéité est remarquable entre les musiciens, et ici particulièrement entre la voix et le premier violon Louis Creach, tant dans la justesse que dans l’intention. La Schlummerarie nous enveloppe chaudement de son et de musique, invitant à fermer les yeux, avec les moments de silences suspendant le discours.
Une œuvre instrumentale d’un contemporain de Bach fait office de pause musicale et profane : le Concerto TWV 53-1 de Telemann, concerto pour deux hautbois, violon et orchestre en mi mineur. Sans chef, les musiciens du Banquet Céleste sont très à l’écoute les uns des autres, communicant toujours par le regard. Cette œuvre très concertante pétille, entre les bois et les cordes. Les deux violons, jouant la même partie dans l’enjoué dernier mouvement, ont une intention musicale absolument identique, dans le son et jusque dans la gestuelle.
Damien Guillon (© BdeDiesbach21)
Pour terminer, Damien Guillon propose Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust BWV 170 (Bienheureuse paix, bien-aimée béatitude), composée en 1726. La cantate traite du désir de mener une vie vertueuse, le désir d’entrer au ciel et d’éviter l’enfer, critiquant l’attitude des pharisiens et prévenant des conséquences sur l’âme des égarés. Damien Guillon, de retour sur scène, est toujours aussi communicatif auprès de ses spectateurs. Conscient de la faiblesse de ses graves, il les arrondit pour leur donner plus de volume, leur ajoutant en beauté sans réellement suffire pour contenter les spectateurs un peu éloignés, l’ensemble ne pouvant éviter de le couvrir un peu dans ces passages. Dans l’aria Wie jammern mich doch die verkehrten Herzen (Que les cœurs pervertis me font pitié), la basse continue n’est pas conviée par Bach, laissant une seule et même voix, régulière et imperturbable, aux violons et alto – superbes – la voix du chanteur et indépendamment deux autres voix à l’orgue, plus actif. Ces différentes voix, absolument autonomes, sont pourtant parfaitement équilibrées. On ressent alors très bien, tout à la fois, l’insolence de l’orgue, au touché appuyé – un peu trop dans les liés –, la douleur discrète des cordes et la pitié de la voix. Dans les parties suivantes, on admire le détaché du touché de l’organiste, très précis, très propre et véloce. Le jeu sur instruments d’époque est toujours le risque d’une justesse approximative. Pourtant, lorsque cela arrive, les musiciens corrigent instantanément. L’aria final Mir Ekelt mehr zu leben (Il me répugne de vivre plus longtemps) est très joyeuse, le départ de ce monde étant un accès à la demeure céleste, consolatrice et reposante.
Après avoir salué chacun de ses musiciens, chaudement applaudis, Damien Guillon propose un air plus optimiste comme bis, le premier de la cantate BWV 170 « Repos béni, béatitude de l’âme », l'une des plus belles arias de cantate du compositeur allemand. Le public, refusant de partir, a droit à un dernier air, le Schlummerarie, idéal pour terminer cette très belle soirée et commencer une nuit encore remplie du chant angélique de Damien Guillon.