Florian Sempey aux Chorégies d’Orange: un récital sous le soleil des cigales
La programmation réunit de manière à la fois chronologique, linguistique et expressive une panoplie d’œuvres, de personnages et d’airs qui ont déjà permis au jeune chanteur (né en 1988) de construire sa spécificité de baryton et d’homme de scène (découvrir son interview pour Ôlyrix). Remaniée à la marge depuis l’annonce précoce du programme, elle réunit des morceaux - bien - choisis pour leur potentiel lyrique (vocal et expressif), depuis Haendel (Rinaldo, Argante « Sibilar di angli d’Aletto »), jusqu’à Gounod (Roméo et Juliette, Mercutio : « Mab, la reine des mensonges ») et Meyerbeer (Le pardon de Ploërmel, Hoël : « Ô, puissante magie »), en passant par un détour ternaire mozartien (La Flûte Enchantée, Papageno : « Papagena, Papagena ! », Les Noces de Figaro ; Le Comte Almaviva : « Hai già vinta la causa ! », Così fan Tutte, Guglielmo : “Rivolgete a lui lo sguardo”). Une deuxième période encadre une page de Donizetti (Lucia di Lammermoor, Enrico : « Cruda, funesta smania ») par deux airs de Rossini, l’un en français, l’autre en italien (Le Comte Ory, Raimbaud : « Dans ce lieu solitaire », Le Barbier de Séville, Figaro : « Largo al factotum »).
Florian Sempey (© Pierre Virly)
Il fait chaud, très chaud, cela se voit, mais cela ne s’entend pas, tant le baryton, d’origine bordelaise puis formé à l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris, a de la vigueur, de l’endurance et une générosité vocale à toute épreuve, y compris climatique. Le chanteur est instinctif, relié par tous ses sens au lieu dans lequel il cherche à s’intégrer, en entrant en communication concrète avec l’ensemble de ce qui le constitue comme lieu vivant. Il salue le public, en regardant chacun dans les yeux, sans omettre ses partenaires, les cigales. Il amène et reconstitue des petits univers d’opéra et d’émotion avec lui, et montre une grande aisance à commuter de l’un à l’autre, sans pourtant zapper, tant une ligne directrice traverse le récital, dans le filigrane de sa relation immédiate à la musique.
Avec Haendel, les vocalises crépitent sous une puissance vocale mise en réserve, comme solution proposée pour donner à l’extrait sa noblesse baroque. Avec la trilogie mozartienne, toute une grammaire de situations émotionnelles est maîtrisée. Avec Gounod, Massenet et Meyerbeer, nous sommes ramenés dans la maison française du chanteur, qui use d’un timbre soyeux, gouailleur ou incandescent et d’un débit soigné de French lover. L’assistance féminine semble bien avoir envie d’être sa Rosalinde, pour côtoyer un tel réservoir de vie.
Florian Sempey (© Pierre Virly)
Dans la deuxième partie, il retrouve sa maison italienne, avec Rossini et Donizetti. Il fait sauter la serrure de son coffre, pour en restituer la densité vocale et dramatique comme l’éclat truculent et jubilatoire. Son jeu d’acteur tient de la précision du mime et du stand up, parsemé de quelques menu sketchs complices. Il faut bien lutter contre la déshydratation, l’éblouissement, le vent, les pluies de feuilles et les « petites » (les cigales, comme on dit en Provence…). Son « grand auditeur » et complice préféré est le pianiste Jeff Cohen, qui lui offre en contrepoint sa propre forme d’élégance. L’une comme l’autre restent inaltérées lors de l’interprétation d’un bis où l’on découvre la complaisante scatologie infantile du Rossini de « La chanson du bébé ».
Florian Sempey chante comme on accomplit un grand saut dans le vide et dans la vie. Il y habite de tout son corps, son cœur et son sourire, lequel ne s’assombrit que pour laisser la parole au texte. Son chant, concret, semble se nourrir des êtres, des œuvres et des lieux phares qui peuplent les mondes lyriques, et qu’il a pu rêver et aimer depuis l’enfance.