She's so Pretty Yende, aux Champs-Élysées
Pretty Yende revient à Paris, après son éblouissante Lucia à Bastille, son interview Ôlyrix dans laquelle elle retrace son parcours et présente ses projets et notamment avant sa participation à Benvenuto Cellini (réservez dès à présent vos places pour Bastille). Preuve de son nouveau statut de tout premier plan, la soprano est également à l'affiche de Rome, Munich, New York, Berlin ou encore le TCE pour la saison prochaine.
La jeune Sud-Africaine qui a grandi dans les townships avant de devenir la star des plateaux lyriques (et même des plateaux télé) a tout pour plaire, sa voix protéiforme se mariant avec une présence et un sourire rayonnants. Ce premier récital parisien est l'une de ces performances devant lesquelles le spectateur se laisse transporter.
D'autant que le répertoire du récital est particulièrement bien choisi en soi (les airs sublimes du bel canto élaborent un discours festif et éploré), et pour elle : Pretty Yende confirme sa maîtrise des opéras italiens, notamment des compositeurs Rossini et Donizetti qui ont fait d'elle une star Bastille jusqu'au Met, mais elle trace également la prochaine étape de son parcours avec Massenet. Les récitals ont cette vertu de préparer un artiste à des prises de rôle, une raison pour attendre impatiemment d'entendre Pretty Yende en français (sa prononciation est pour l'instant parfois honorable, mais parfois non : sa comtesse Adèle au Met et sa Micaëla à Los Angeles remontent déjà à quatre ans) et, qui sait, dans du Verdi, qui n'a pas été chanté mais dont l'orchestre a joué l'ouverture de Nabucco : un indice ?
C'est un retour aux sources qui ouvre la soirée : la comtesse Adèle du Comte Ory de Rossini, le rôle par lequel Pretty Yende a fait ses débuts au Met en janvier 2013. L'air "En proie à la détresse" donne d'emblée la couleur, à la fois légère et puissamment passionnée de cette voix. Maîtresse de son jeu avant même d'entrer sur scène, elle incarne l'opéra du visage et des mains, impatiente et mutine, triste et froncée. La voix s'envole et redescend par toutes les notes de multiples gammes, allongeant déjà les phrases d'immenses trilles découverts.
De Rossini, Pretty Yende se devait de chanter son grand air, avec lequel elle voyage à travers le monde : "Una voce poco fa" de Rosine dans Le Barbier de Séville. L'air est introduit avec l'ouverture de l'opéra, interprétée méticuleusement par l'Orchestre National de Picardie (que Les Grandes Voix et le TCE avaient déjà sollicité pour accompagner le récital Alagna-Kurzak en début d'année). Sous la baguette souple et limpide de Quentin Hindley, la phalange Picarde tient sa juste place derrière la cantatrice, suspendue à ses lèvres, lui laissant l'entière liberté sur les cadences, s'harmonisant à ses moindres accents et nuances. Yende construit un discours sur chaque air, par sa maîtrise absolue. Un exemple : elle élabore un propos rien qu'avec le placement des consonnes, d'abord amenuisées dans un souffle chaud, puis de plus en plus chuintantes, claquantes, percussives, roulées, fricatives. Elle se joue du public et des notes qu'elle pointe du doigt, appelle des yeux, maintient puis fait exulter.
Après les palpitations de l'amour Rossinien, le cœur de Bellini se déchire. Yende passe du barbier bouffe au seria de Béatrice de Tende, rendant toute la douleur de celle qui a dû épouser le Duc de Milan, alors qu'elle aime Orombello. La sublime difficulté de cet air "Respiro io qui..." demande une agilité vocale virtuose, mais qui doit renforcer le sentiment éploré. Les aigus de Yende sont toujours aussi rayonnants et elle sait transformer les trilles bouffes en des soubresauts de douleur. Une même virtuosité se métamorphose de Rossini à Bellini, de Rosine à Béatrice, de l'espérance au désespoir. Pourtant, que ce choix était risqué ! Si Yende se confronte aux plus grandes sopranos de tous les temps avec Rosine, deux légendes planent également sur l'ombre de Béatrice : Giuditta Pasta pour laquelle Bellini composa le rôle et Dame Joan Sutherland qui le ressuscita en 1961 à La Scala de Milan.
Bouclant une éblouissante trinité de compositeurs bel cantistes en interprétant Donizetti, Pretty Yende glisse sur Linda di Chamounix et son air "O luce di quest’anima" (une fois encore amené en parfaite condition par le prélude orchestral). L'air confirme le judicieux choix du répertoire et la palette expressive de la diva : Linda di Chamounix est un opéra "semi-seria" : entre le bouffe du Barbier de Séville et le sérieux de Beatrice di Tenda.
Le programme reprend alors une couleur locale, avec Massenet : bercé par de vibrants violoncelles et des tutti sirupeux, "Le dernier sommeil de la Vierge" (extrait orchestral de l'oratorio La Vierge, 1880) mène à un air de Manon : "Je marche sur tous les chemins... Obéissons quand leur voix appelle", qui passe en un sourire et un suraigu battant.
Comment conclure autrement ce récital qu'avec Lucia di Lammermoor de Donizetti : « Il dolce suono... Spargi d’amaro pianto ». Comme à Bastille en début de saison, Pretty Yende ne fait qu'un avec le personnage, elle atteint cet endroit unique où le travail vocal se transmute en expiration naturelle d'un sentiment. Le souffle est toujours aussi long, embrassant le registre des lugubres graves poîtrinés aux suraigus sifflés. Le dialogue toujours souverain avec une flûte qui ne veut rivaliser. Ses longs sons filés résonnent, même les dents serrées, de toute la puissance d'un serment. Puissant sentiment de déjà-vu, renforcé par la robe de mariée que revêt l'artiste dans cette seconde partie, la robe de Lucia après celle de Rosine, roses rouge.
Depuis son entrée et jusqu'au triomphe final, en passant par chacun des airs (recevant bouquets de fleurs et rappels dès l'entracte), le public éclate en bravi sonores. Longtemps immobile sous les ovations, Pretty lance "Spargi d'amaro pianto" d'un sourire. Il résume les qualités de la soirée et soulève un tonnerre du public qui se mêle aux cymbales.
Trois rappels récoltent pour bis "Ombre légère qui suis mes pas" (Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer). Le public éclate de rire devant ce dialogue de vocalise de la soprano avec elle-même, ponctué de "c'est bien !" d'autocongratulation. La chanteuse et le chef sont obligés de se concentrer pour trouver à l'improviste un second bis, balayant les partitions du pupitre. Ce sera de nouveau "Spargi d'amaro pianto". Ç'aurait pu être n'importe quel air, pourvu que ce soit elle qui le chante.
Preuve de sa confiance absolue en un succès éclatant, le Théâtre des Champs-Élysées a déjà programmé un récital de Pretty Yende le 13 juin 2018 et vous pouvez dès à présent réserver vos places à ce lien.