La Nuit d’un neurasthénique & Gianni Schicchi à Montpellier
Il y a tout juste un an, l’Opéra de Montpellier présentait le premier opus d’une trilogie mise en scène par Marie-Ève Signeyrole et son équipe, et basée sur le Triptyque de Puccini : chacun des trois opéras en un acte est présenté associé à une œuvre rare. Cette idée permet certes de régler une importante contrainte budgétaire (comme nous l’avait expliqué Marie-Ève Signeyrole au cours de son interview à Ôlyrix) tout en permettant, de par ce contexte original, de jeter un regard artistique nouveau sur ces œuvres. C’est ainsi que la production de l’an passé associait Royal Palace de Kurt Weill à Il Tabarro. Cette année, c’est La Nuit d’un neurasthénique, opéra radiophonique de Nino Rota, qui est associé à Gianni Schicchi. L’intrigue de Rota suit l’épouvantable nuit d’un neurasthénique, qui a loué les chambres adjacentes à la sienne pour bénéficier d’un calme absolu, mais qui voit ces dernières sous-louées par un portier malhonnête à un Commandeur et à un couple d’amants. Sa musique, très intéressante, constitue une sorte de patchwork empruntant au jazz, à Rossini (dans les ensembles au débit de parole rapide, notamment), à Gershwin, à Puccini ou encore à la comédie musicale.
La Nuit d’un neurasthénique par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Cette association fonctionne merveilleusement bien, comme une évidence : le même humour noir et grinçant parcourt les deux œuvres, et l’on imagine bien cet irritable neurasthénique, suffisamment riche pour louer les chambres d’un hôtel pour les laisser vides, et qui n’est pas nommé dans la première pièce, être ce Buoso Donati dont les proches convoitent l’héritage avec un éclatant cynisme. L’idée de faire du portier et des amants de la première pièce le rusé Gianni Schicchi, sa fille Lauretta et l’amant de cette dernière, Rinuccio, est parfaitement cohérente. Le fait de faire chanter les rôles de Gherardo et Betto par les interprètes du Commandeur et du Neurasthénique, bien que justifié budgétairement parlant, brouille toutefois cette cohérence. De même, l’improbable continuité entre les deux œuvres aurait pu donner lieu à une transition plus évidente, aspect qui est ici assez peu exploité, les deux œuvres étant traitées de manière tout à fait distinctes.
La Nuit d’un neurasthénique par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
La Nuit d’un neurasthénique prend place, comme il se doit, dans un hôtel. Ce ne sont toutefois pas trois chambres qui sont présentées par la géniale scénographie de Fabien Teigné, mais une seule, dans laquelle les trois actions se superposent : comme le dit le texte, les cloisons sont si fines que les protagonistes ont l’impression de vivre dans une unique chambre, il n'y a donc qu'un pas pour les faire dormir dans le même lit ! Un affichage au mur indique simplement dans quelle chambre l’action se situe. Selon l’évolution (rapide, grâce à ce dispositif) de l’intrigue, le lit s’escamote, un lavabo ou une baignoire surgissent, le mur laisse apparaître par transparence ce qui se passe derrière, et dévoile notamment le chœur du personnel de l’hôtel, affublé de masques de moutons, rappelant ceux que le Neurasthénique compte, caché sous son lit, dans l'espoir de trouver le sommeil.
La Nuit d’un neurasthénique par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Afin de rendre l’angoisse de ce dernier, il est filmé en gros plan lorsqu’il est allongé dans son lit ou lorsqu’il se trouve face à la glace de son cabinet de toilette. Des images entêtantes d’eau qui coule ou de ventilateurs en fonctionnement rappellent l’univers visuel de la série Breaking Bad
Gianni Schicchi par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Dans la seconde partie, le mort se trouve momifié dans des couvertures et manipulé sans ménagement, au beau milieu d’un champ dans lequel ses proches creusent déjà une tombe. Ces derniers retournent la terre, salissant leurs habits bourgeois, non pour la cultiver honnêtement mais pour y cacher leurs larcins ou bien à la recherche du testament qu’ils ont bon espoir de spolier grâce à Schicchi, qui lui est crasseux dès son arrivée. Une projection en fond de scène montre d’abord un paysage agricole avant de suivre un vol d’oiseaux, qui illustre magnifiquement le célébrissime air de Lauretta.
Gianni Schicchi par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Mais ces oiseaux, que Lauretta nourrit sur ordre de son père (qui l’éloigne ainsi de la coupable ruse par laquelle il compte s’emparer de la fortune de Donati) viennent se poser sur un fil électrique, façon Hitchcock, agissant dès lors comme d’inquiétants charognards : il n’est pas surprenant que la jeune fille revienne peu après indiquer à son père que les volatiles sont repus ! Quant à Schicchi, il finit ravi du tour joué aux héritiers honnis, acceptant les enfers pour avoir ainsi permis le bonheur de sa fille : il descend dans la tombe creusée pour Buoso avant qu’un torrent de terre ne tombe des cintres pour la refermer.
Gianni Schicchi par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Le plateau vocal est emmené par deux Bruno, tous deux acteurs magnifiques. Dans la première partie, c’est Bruno Pratico qui interprète le rôle-titre de sa voix ample au large vibrato dont la ligne vocale manque toutefois de tenue. Dans le Puccini, il incarne Betto, étalant là encore son potentiel comique. Sur cet opus, c’est Bruno Taddia qui tient le rôle-titre, parfaitement goguenard et dynamique scéniquement, et très juste vocalement, puissant dans ses profonds et brillants médiums, mais moins à l’aise dans les graves. Il passe en voix de tête avec naturel pour émettre un bel et vibrant aigu tenu. La Lauretta de Giuliana Gianfaldoni a une voix riche et agile aux aigus lumineux et vibrés avec goût. Son air Oh mio babbino caro manque toutefois de volume et de lyrisme pour transporter l’auditoire. Rinuccio est chanté par Davide Giusti d’une voix claire et puissante, au vibrato léger. Ses aigus sont éclatants et bien projetés. Sa longue ligne vocale sert bien ce rôle démonstratif, et compense une approximation rythmique qui lui complique la tâche dans sa première intervention soliste du second opus.
Gianni Schicchi par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Kevin Amiel chante le Commandeur et Gherardo de son timbre à la chaleur latine. Romina Tomasoni est Zita, avec sa belle voix grave, à la fois ample et tranchante. Julien Véronèse prête sa haute stature et sa voix profonde au vieux Simone qu’il interprète avec beaucoup d’humour. Perrine Madoeuf est Nella, avec sa voix ronde et charnue, qui descend dans des graves somptueux. Julie Pasturaud chante La Ciesca de sa voix intense et vibrante. Aimery Lefèvre campe Marco, affichant un beau timbre qui tend toutefois à s’étrangler lorsqu’un volume important est requis. Enfin, Laurent Sérou est le notaire, dont il va chercher les notes moirées au plus profond de l’œsophage.
Gianni Schicchi par Marie-Ève Signeyrole (© Marc Ginot)
Le chef Francesco Lanzillotta dirige la soirée d’un geste précis et élégant, trouvant le rythme adéquat pour ces œuvres noires. Les ensembles (particulièrement complexes dans Gianni Schicchi